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biens présents et à venir; il en fait une condition par laquelle le donateur a voulu obliger le donataire d'une manière directe et expresse. Puis il constate que Ribière a tout envahi dans la succession, qu'il a pris les biens, les meubles, les titres; qu'il n'a rien décrit ni inventorié; de là il conclut que, puisque tout l'actif est entre ses mains, il doit supporter tout le passif. C'est sa faute, s'il en est ainsi : il s'est mis dans cette situation par son fait. Seulement une réserve est faite en sa faveur pour prouver qu'eu égard aux forces réelles de la succession, telle qu'il pourra les constater, l'avancement d'hoirie dépasse les limites de la portion disponible.

Voilà le sens de l'arrêt et il est clair qu'il est fort éloigné de la pensée qu'on lui attribue. Il ne fait que décider une chose fort simple, à savoir, que celui qui détient tout l'actif, doit payer tout le passif. Aussi le pourvoi a-t-il été rejeté sans difficulté par la Chambre des requêtes. Le demandeur n'avait réussi à lui donner une couleur qu'en le faisant porter sur des points autres que ceux qui avaient déterminé l'arrêt de la Cour d'appel.

On cessera donc d'argumenter de ces décisions pour énerver l'autorité d'une règle qui est trop dans la nature des choses et dans la justice, pour ne pas triompher des méprises dont l'environnent quelquefois des esprits distraits.

2428. Nous venons de voir bien des points par lesquels le donataire universel des biens présents et à venir se rapproche ou s'éloigne de la condition du légataire.

Touchons à un autre point de contact, et voyons si le donataire de biens présents et à venir a le droit de se mettre de sa propre autorité en possession des biens du donateur, ou bien s'il doit demander la délivrance aux héritiers du donateur?

Pour prendre cette question dans ce qu'elle a de plus vif, nous supposons que le donataire est étranger et qu'il se trouve en présence d'un héritier à réserve.

Dans l'ancien droit, il est certain que le donataire de biens présents et à venir était saisi de plein droit, à l'instar de l'héritier contractuel auquel on l'assimilait

sur ce point d'une manière complète. La coutume de Bourbonnais est formelle : « Donations, conventions, institutions d'héritiers et autres choses faites en contrat de mariage, sont bonnes et valables... posé aussi » que lesdites donations soient faites à personnes étrangères, bâtards ou autres ; et saisissent telles dis» positions, les cas advenus (1). » On peut y joindre celles d'Auvergne (2) et de Nivernais (3).

Quelle était la raison de ce point de droit? La même que celle qui avait porté à donner la saisine à l'institution contractuelle (4). Elle était prise du lien formé par le contrat, de l'irrévocabilité du titre (5).

Sous le Code Napoléon, nous avons de plus le grand principe d'après lequel les conventions suffisent à transférer la propriété sans tradition, ainsi que nous l'avons dit en parlant de l'institué contractuel (6). La volonté qui suffisait dans l'ancien droit est encore plus puissante sous le Code Napoléon, et elle doit produire des effets non moins énergiques. Il ne sert de rien de comparer le donataire universel au légataire universel. La comparaison est fautive par des motifs qui sautent aux yeux. Au moment du décès et lorsque le légataire universel devient propriétaire, il trouve l'héritier réservataire investi et saisi par la toute-puissance de la loi. Il faut donc que, par une demande en délivrance, il fasse passer la saisine de l'héritier à lui. Au contraire, dans le cas de donation, le donateur s'engage irrévocablement envers le donataire à un moment où l'héritier n'a (en ce qui concerne le disponible) rien d'acquis, et le droit du donataire précède celui de l'héritier. Il n'a donc pas à demander à ce dernier quelque chose que le contrat l'a empêché d'avoir et que ce même contrat a donné au donataire.

2429. Du reste, la jurisprudence laisse peu de doute

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sur ce point, au moins par les doctrines qui sont établies dans ses décisions. Étudions l'espèce suivante : Nous disons tout de suite qu'elle n'est pas rendue dans le cas d'un concours du donataire universel avec un héritier à réserve. C'était avec un héritier non réservataire que le donataire universel disputait sur la saisine; mais l'on verra que les raisons de décider sont prises dans un ordre d'idées qui embrasse toutes les hypothèses.

Le 29 novembre 1817, le comte Colaud fit à sa femme par acte notarié une donation de l'usufruit de tous les biens meubles et immeubles qui lui appartiendraient au jour de son décès.

Le sieur Colaud décède en 1819. Sa veuve se met en possession de tous les biens frappés de son usufruit.

Le sieur Mondet, héritier du sang, en 1830, prétend que la veuve était dans la position d'un légataire universel et non d'un donataire entre vifs, qu'elle aurait dû se faire consentir la délivrance et qu'elle doit restituer tous les fruits perçus. Pour bien préciser l'état de la question, on notera qu'à la vérité il s'agit, dans l'espèce actuelle, d'une donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage; mais il n'échappera à personne que la question est exactement la même que si la donation avait été faite par contrat de mariage; il y a plus, et si on reconnaît qu'il faut accorder la saisine, dans le cas de donation entre mari et femme faite constante matrimonio, alors que le titre du donataire est révocable par sa nature, il en résulte un argument à fortiori en faveur du donataire par contrat de mariage dont le titre est irrévocable.

Ceci posé, revenons aux faits du procès.

Le 27 février 1833, le tribunal de la Seine débouta l'héritier de sa demande,

Attendu que les donations universelles dont il s'agit, étant soumises, comme les autres donations entre vifs, à la forme des contrats en général, en produisent les effets, qui sont, d'après le principe consacré ⚫ par les art. 938, 1138 et 1583, de transférer la propriété au moment même où le consentement des parties est donné, et sans qu'il soit besoin de tradition

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....... que si par les donations de biens à venir faites » aux époux on ne leur transfère pas la propriété d'un objet corporel, on leur donne au moins un droit de succession; que cette manière de disposer, qualifiée institution contractuelle par les anciennes coutumes, était considérée comme la cession gratuite de tout ou partie de la succession, et donnait la saisine; ce qui » dispensait de la délivrance,........ que d'après l'art. 1093 les donations de biens à venir, faites entre époux par contrat de mariage, sont soumises aux mêmes règles que celles qui leur sont faites dans le contrat » par des tiers... que les époux durant le mariage pouvant se faire des donations de biens à venir, ces donations doivent avoir les mêmes caractères et produire » les mêmes effets que celles de semblable nature » insérées dans le contrat de mariage, etc., etc., etc.

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Sur l'appel, arrêt de la Cour de Paris du 29 août 1834, qui confirme, « considérant que les dispositions faites aux époux aux termes de l'art. 1096 code civil, > constituent une véritable donation entre vifs opérant » saisine, et non un legs sujet à la nécessité d'une » demande en délivrance.

Devant la Cour de cassation, sur les conclusions de M. Nicod avocat-général, arrêt de la Chambre des requêtes du 5 avril 1836 (1) qui rejette le pourvoi, attendu que la loi n'admet que deux manières de disposer à titre gratuit de ses biens, par testament et » par donation, et que ces deux modes sont régis par » des règles spéciales et différentes; que si le testament » est la loi dictée par le testateur, la donation est un » contrat qui intervient entre le donateur et le donataire;

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Attendu que la donation faite entre époux durant » le mariage diffère à la vérité de la donation ordinaire » entre vifs en ce sens qu'elle peut toujours être révoquée par la seule volonté du donateur; mais que ce >> contrat n'en saisit pas moins le donataire d'un droit qui remonte nécessairement, quant à son exercice et

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(1) Devill., 37, 1, 35. Palais, 27, 1226.

» à ses effets, à la date de l'acte qui le renferme, lorsque l'époux donateur décède sans l'avoir révoqué; qu'ainsi > l'époux survivant n'est pas obligé de demander la dé>> livrance de l'objet compris dans la donation (1)... v

2430. Puisque le donataire universel a une saisine de droit, une saisine conventionnelle, qui le dispense de la demande en délivrance, il s'ensuit qu'il fait les fruits siens dès l'instant du décès, et qu'on ne saurait lui appliquer l'art. 1005 du Code Napoléon qui règle la situation du légataire universel à l'égard du réserva

taire.

De plus, les créanciers du défunt ont le droit de l'actionner directement pour les dettes dont il est tenu, et il doit répondre à leur action. Seulement, s'il croit avoir besoin de temps pour prendre qualité, il peut obtenir un délai raisonnable. Ce délai passé, il faut qu'il accepte ou répudie. Revêtu d'une qualité que lui imprime le contrat ab origine, et dont les créanciers ont le droit de se prévaloir, il ne saurait laisser indéfiniment en suspens le réglement définitif d'une situation qui touche aux plus pressants intérêts de la succession et des tiers.

2431. Arrivons maintenant à la question de savoir si le donataire universel, peut, avant la mort du donateur, renoncer à la donation ou contracter sur les choses données.

Cette question est voisine de celle que nous avons agitée dans les mêmes termes, à l'égard de l'héritier

(1) En ce sens voyez l'opinion de M. Rigaud, Revue éir., t. IX, p. 995. « Quoique les donations faites par contrat de mariage ne produisent d'effet réel qu'au moment du décès du donateur, le

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» donataire est néanmoins saisi irrévocablement, dès le moment » de la donation, du droit de prendre, lors du décès du donateur, > les biens qui lui ont été donnés. Ainsi l'époux donataire n'est » pas tenu de demander aux héritiers de l'époux donateur la dé» livrance des biens dont on lui a fait donation par contrat de mariage.» V. aussi M. Chabot sur l'art. 724, C. Nap., n° 13 et M. Zachariæ, § 739, note 66, t. V, p. 540.

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