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Un testateur fait à différentes personnes, au nombre desquelles se trouve son héritier ab intestat, des legs particuliers qui épuisent tout son avoir; puis il termine en disant: Dans le cas qu'il m'arrive des événements » malheureux qui empêchent mon exécuteur testamentaire de remettre à un chacun le legs que je leur fais, , ils éprouveront, en raison de ce, une diminution au ⚫ mare le franc; dans le cas contraire, ils jouiront d'une ⚫ augmentation aux mêmes conditions du marc le franc..

Cette dernière disposition contient-elle un legs universel? N'est-elle pas équivalente à celle par laquelle un testateur aurait donné à plusieurs tout le surplus éventuel de sa succession?

La cour de Bordeaux (1) s'est prononcée pour l'affirmative; elle y a vu un legs universel comprenant tout le résidu de la succession sans en rien excepter; elle a fortifié cette solution par cette observation, à savoir, que l'héritier ab intestat, se trouvant au nombre des légataires particuliers, partageait avec chacun d'eux le sort commun; qu'il était dès lors impossible de supposer que le testateur eût laissé en dehors de ses dispositions quelque portion de son hérédité qui pût s'asseoir sur sa tête par droit de succession légitime. Un pourvoi ayant été formé contre cet arrêt devant la cour de cassation (2), il a été rejeté par la chambre des requêtes le 13 août 1817.

L'objection la plus sérieuse qu'on pourrait faire contre cette décision, c'est que le testateur, en voulant que le résidu de la succession fût réparti entre ses légataires au marc le franc de l'importance des legs, semblait avoir assigné des parts qui détruisaient toute pensée de conjonction. Mais ici, comme dans les espèces précédentes, il était facile de répondre que ces parts n'avaient été prises en considération par le testateur que comme règle de partage, et pour prévenir les difficultés entre tous les ayants droit.

(1) 29 mai 1816 (Devill., 5, 2, 361).

(2) Cassat., rej., 13 août 1817 (Devill. 5, 1, 361). Junge Douai, 26 août 1847 (aprés arrêt de partage) (J. Palais, 1848, 1, p. 81). Cassat., req. (Douai), 8 août 1848 (S. Devill., 1, 66 et suiv.).

1772. Telle n'a pas été, cependant, la décision de la cour d'Orléans, dans un cas qui offre, avec le précédent, de frappantes analogies.

Le sieur Jahan fait un testament pour distribuer sa fortune à ses collatéraux; aux uns il donne de l'argent, aux autres des immeubles. Ce testament se termine par cette clause finale:

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·

Ce qui restera de ma succession, après le payement › des legs ci-dessus, appartiendra par accroissement au marc le franc à ceux de mes légataires à qui j'ai fait » des legs en deniers; s'il y avait déficit, il serait supporté entre eux de la même manière..

Là-dessus, question de savoir si les légataires des deniers, investis du résidu de la succession, sont légataires universels. Et la cour d'Orléans décide, par arrêt du 21 août 1831 (1), qu'ils ne le sont pas. Ses raisons sont tirées de ce que le legs n'avait pas été fait collectivement et sans distinction des légataires entre eux. Mais ne peuton pas dire que l'arrêt d'Orléans, en se séparant sur ce point des décisions que nous avons rapportées ci-dessus (2), s'est peut-être attaché, avec un esprit trop formaliste, à des apparences extérieures? Ce qu'il y a de certain, c'est que cette cour se trompe quand elle déclare que la disposition que nous discutons ici présente une situation semblable à celle où l'on verrait tous les légataires particuliers, épuisant une succession, se réunir entre eux et soutenir que de leur collection il résulte la. preuve d'une disposition universelle. Personne ne doute que ces légataires particuliers ne soient à cet égard dans une profonde erreur. Car l'accident de leur réunion n'ajoute rien à l'étendue précise et tout-à-fait limitée de leurs legs. Mais de là il n'y a rien à conclure contre les légataires particuliers de l'espèce jugée à Orléans, puisqu'à leurs titres particuliers et limités venait se joindre une disposition qui répartissait entre eux tout le résidu de la succession.

1773. De tout ceci sort une réflexion qui domine cette

(1) Devill., 32, 2, 146.
(2) No 1769, 1770, 1771.

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matière, et dont la cour d'Orléans n'a peut-être pas été assez pénétrée (1), c'est que le législateur n'a pas fait dépendre le caractère et les effets du legs universel entre plusieurs, des conditions étroites de conjonction auxquelles le droit d'accroissement est attaché, d'après l'article 1044 du Code Napoléon. Cet article n'est pas la loi de la matière qui nous occupe ici; il n'est fait que pour les dispositions limitées et non pour les dispositions universelles, auxquelles tout doit accroître par la puissance même de leur universalité (2). C'est donc en vain qu'on ne voudrait voir un legs universel entre plusieurs, qu'au

que les institués seraient unis re et verbis, et qu'une mention de part et portion ne figurerait pas dans le testament. Le législateur s'en rapporte sur ce point à la volonté du testateur, et c'est au juge à rechercher le caractère d'universalité que peut avoir le legs, dans les faits qui expliquent les intentions exprimées dans le testa

ment.

1774. Notre article dit que le legs universel est le don de l'universalité des biens (3); ce qui est bien différent du don de la totalité. Car ce dernier mot comprend un tout sans aucune exclusion ni exception. Le mot universalité, au contraire, n'est pas aussi énergique. Il se prend dans le sens d'une étendue, qui, de droit, embrasserait tout, si, en fait, il ne s'y rencontrait des exceptions et des retranchements. De là vient qu'un individu peut être légataire universel, et cependant se trouver grevé de legs considérables de nature à épuiser même le patrimoine (4).

De là vient encore qu'on peut instituer un légataire universel, quoiqu'il doive subir le concours d'héritiers lé

(1) La cour d'Aix l'avait tout à fait oubliée dans l'arrêt Mérindol, du 15 juin 1809, sévèrement critiqué par M. Merlin (Répert. de jurisp., v Légataire, § 2, no 18 bis, p. 756, col. 1).

(2) Suprà, n° 1768, Merlin, loc. cit. Infrà, no 2188.

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(3) Res per universitatem adquiruntur. (Caïus, comm. 2, § 97. Instit., Per quas person. nob. adquir., § 6.) Junge Ulpien, I. 1. D. Quorum bonorum.

(4) Paris, 12 mars 1806 (Devill., 2, 2, 122). Cassat.,14 juillet 1830 (Dalluz, 1830, 1, 374).

gitimaires (art. 1004). Bien que le légataire soit obligé de demander la saisine légale à ces derniers, il n'en demeure pas moins investi de tous les droits du défunt, sauf la portion indisponible, et son titre est même plus large que celui des légitimaires; car il recueille les legs caducs ou répudiés (1). Quand M. Zachariæ (2) a soutenu qu'un tel legs n'était en soi qu'un legs à titre universel, il n'a pas fait attention qu'il heurtait de front l'art. 1004 dont le texte est si clair qu'il ne laisse pas de place à la discussion.

1775. Le legs universel comprend done tous les droits (3), tant actuels qu'éventuels, qui appartenaient au défunt, sauf ce qu'il en a distrait lui-même par des dispositions positives, et sauf toujours la portion du patrimoine réservée aux légitimaires.

Je dis que le legs universel doit contenir les droits éventuels ou à venir: car l'universalité embrasse nonseulement le présent, mais même l'avenir. Un testateur peut épuiser sa fortune par des legs particuliers: alors il dispose de tout ce qu'il a, sans faire de disposition universelle. Il ne s'occupe que du présent; il ne parle que de choses circonscrites loco, natura. De là, il suit que tous ses droits à venir rentrent dans sa succession ab intestat.

Et il n'y a rien de contraire à cette règle, que c'est au légataire universel à profiter des droits à venir, dans un arrêt de la cour de cassation du 25 janvier 1819 (4), qui a décidé que le bénéfice de la loi du 5 décem

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(1) Grenier, n° 349. Toullier, t. V, n° 679. M. Coin-Delisle, no 9, sur ar l'art. 1047.

(2) § 711, t. V, p. 379.

(3) Les droits sont des biens: « Equè bonis adnumerabitur etiàm, si quid est in actionibus, petitionibus, persecutionibus ; nàm » hæc omnia in bonis esse videntur.» (Ulpien, 1. 49, D., De verbor. significat.)

(4) Aff. d'Espinay-Saint-Luc (Devill., 6, 9 et 10). Junge Cassat., 9 mai 1821 (Devill., 6, 428). Cassat., 10 février 1825 (Devill., 7, 192). Cassat., 18 février 1824 (Devill., 7, 399). Cassat., 19 mai 1824 (Devill., 7, 466). Cassat., 4 juillet 1825 (Devill., 8,

bre 1814, qui rend les biens séquestrés à ceux qui en étaient propriétaires, ou à leurs héritiers ou ayants cause, devait profiter non au légataire universel du propriétaire décédé, mais à ses héritiers naturels. La raison en est que cette loi a été dictée par la politique, et qu'en restituant des biens confisqués, elle a voulu les rendre à la famille même des individus spoliés et non à des étrangers. On a vu, du reste, au numéro précédent, combien est énergique ce droit du légataire universel, puisqu'il profite des caducités, des nullités et éventualités, même au préjudice de l'héritier à réserve, lequel doit se trouver content lorsqu'il est rempli de sa légitime. Rien n'est plus constant, en jurisprudence, que ce droit du légataire universel, même sur le réservataire.

1776. Remarquez, toutefois, que l'héritier à réserve ne serait pas dépourvu de droit et d'action pour faire rapporter une chose à la masse des biens sur laquelle doit se calculer sa réserve. Ainsi, par exemple, le léga taire universel ne pourra pas le faire déclarer non recevable à intenter une action en restitution d'objets recélés. Le légitimaire a, en sa qualité, un droit évident sur cette chose qui doit faire partie de celles sur l'ensemble desquelles sa réserve doit être prélevée (1).

Nous en dirons autant d'une action par laquelle l'héritier à réserve voudrait faire rentrer à la masse des objets aliénés par son auteur en vertu d'un titre nul. Son inté rêt est palpable, puisque le but de l'action est d'augmenter la masse sur laquelle s'exerce son droit (2).

1777. Dans ces deux derniers cas et autres analogues, on aperçoit la différence qui existe entre la situation du légitimaire et celle qu'il s'arroge lorsqu'il demande la nullité d'un legs. En effet, les legs font partie de la masse sur laquelle se calcule, la quotité disponible et la réserve (art. 922, Code Nap.); leur nullité ou leur caducité n'intéresse plus le légitimaire. Il a reçu la part qui lui était due par la nature et par la loi. Il doit se

(1) Paris, 8 novembre 1838 (Devill., 38, 2, 555). (2) Bourges, 1" février 1832 (Devill., 32, 1, 256).

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