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sont élancés sur leurs traces. Les uns étudient l'histoire immémoriale de notre planète, et se préparent à éclai rer l'histoire de l'espèce humaine par celle du globe qu'elle habite. D'autres, saisis d'un ardent amour de l'humanité, cherchent à soumettre les élémens à l'homme pour améliorer sa condition. Déjà nous avons vu la puissance de la vapeur traverser les mers, réunir les mondes; nous allons la voir bientôt parcourir les continens eux-mêmes, franchir tous les obstacles terrestres, abolir les distances, et rapprochant l'homme de l'homme, ajouter des quantités infinies à la puissance de la société humaine!

A côté de ces vastes travaux sur la nature physique, il s'en prépare d'aussi beaux encore sur la nature morale. On étudie à la fois tous les temps et tous les pays. De jeunes savans parcourent toutes les contrées. Champollion expire, lisant déjà les annales jusqu'alors impénétrables de l'antique Égypte. Abel Remusat succombe

au moment où il allait nous révéler les secrets du monde oriental. De nombreux successeurs se disposent à les suivre. J'ai devant moi le savant vénérable qui enseigne aux générations présentes les langues de l'Orient. D'autres érudits sondent les profondeurs de notre propre histoire, et tandis que ces matériaux se préparent, des esprits créateurs se disposent à s'en emparer pour refaire les annales des peuples. Quelques-uns plus hardis cherchent après Vico, après Herder, à tracer l'histoire philosophique du monde ; et peut-être notre siècle verra-t-il le savant heureux qui, profitant des efforts de ses contemporains, nous donnera enfin cette histoire générale, où seront révélées les éternelles lois de la société humaine.

Pour moi, je n'en doute pas, notre siècle est appelé à produire des œuvres dignes des siècles qui l'ont précédé.

Les esprits de notre temps sont profondément érudits, et ils ont de plus une immense expérience des hommes et des choses. Comment ces deux puissances, l'érudition et l'expérience, ne féconderaient-elles pas leur génie ? Quand on a été élevé, abaissé par les révolutions, quand on a vu tomber ou s'élever des rois, l'histoire prend une tout autre signification. Oserai-je avouer, Messieurs, un souvenir tout personnel? Dans cette vie agitée qui nous a été faite à tous depuis quatre ans, j'ai trouvé une seule fois quelques jours de repos dans une retraite profonde. Je me hâtai de saisir Thucydide, Tacite, Guichardin; et, en relisant ces grands historiens, je fus surpris d'un spectacle tout nouveau. Leurs personnages avaient, à mes yeux, une vie que je ne leur avais jamais connue. Ils marchaient, parlaient, agissaient devant moi, je croyais les voir vivre sous mes yeux, je croyais les reconnaître, je leur aurais donné des noms contemporains. Leurs actions, obscures auparavant, prenaient un sens clair et profond; c'est que je venais d'assister à une révolution, et de traverser les orages des assemblées délibérantes.

Notre siècle, Messieurs, aura pour guides l'érudition et l'expérience. Entre ces deux muses austères, mais puissantes, il s'avancera glorieusement vers des vérités nouvelles et fécondes. J'ai, du moins, un ardent besoin de l'espérer : je serais malheureux si je croyais à la stérilité de mon temps. J'aime ma patrie, mais j'aime aussi, et j'aime tout autant mon siècle. Je me fais de mon siècle une patrie dans le temps, comme mon pays en est

une dans l'espace, et j'ai besoin de rêver pour l'un et pour l'autre un vaste avenir.

Au milieu de vous, fidèles et constans amis de la science, permettez-moi de m'écrier: Heureux ceux qui prendront part aux nobles travaux de notre temps ! heureux ceux qui pourront être rendus à ces travaux, et qui contribueront à cette œuvre scientifique, historique et morale, que notre âge est destiné à produire ! La plus belle des gloires leur est réservée, et surtout la plus pure, car les factions ne sauraient la souiller. En prononçant ces dernières paroles, une image me frappe. Vous vous rappelez tous qu'il y a deux ans, un fléau cruel ravageait la France, et, atteignant à la fois tous les âges et tous les rangs, mit tour à tour en deuil l'armée, la science, la politique. Deux cercueils s'en allèrent en terre presque en même temps; ce fut le cercueil de M. Casimir Périer et celui de M. Cuvier. La France fut émue en voyant disparaître le ministre dévoué qui avait épuisé sa noble vie au service du pays. Mais, quelle ne fut pas son émotion en voyant disparaître le savant illustre qui avait jeté sur elle tant de lumières ! Une douleur universelle s'exprima par toutes les bouches : les partis eux-mêmes furent justes! Entre ces deux tombes, celle du savant ou de l'homme politique, personne n'est appelé à faire son choix, car c'est la destinée qui, sans nous, malgré nous, dès notre enfance, nous achemine vers l'une ou vers l'autre; mais je le dis sincèrement, au milieu de vous, heureuse la vie qui s'achève dans la tombe de Cuvier, et qui se recouvre, en finissant, des palmes immortelles de la science!

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

Je me propose d'écrire l'histoire d'une révolution mémorable, qui a profondément agité les hommes, et qui les divise encore aujourd'hui. Je ne me dissimule pas les difficultés de l'entreprise, car des passions que l'on croyait étouffées sous l'influence du despotisme militaire, viennent de se réveiller. Tout à coup des hommes accablés d'ans et de travaux ont senti renaître en eux des ressentimens qui paraissaient apaisés, et nous les ont communiqués, à nous, leurs fils et leurs héritiers. Mais si nous avons à soutenir la même cause, nous n'avons pas à défendre leur conduite, et nous pouvons séparer la liberté de ceux qui l'ont bien ou

mal servie, tandis que nous avons l'avantage d'avoir entendu et observé ces vieillards, qui, tout pleins encore de leurs souvenirs, tout agités de leurs impressions, nous apprennent à les comprendre. Peutêtre le moment où les acteurs vont expirer est-il le plus propre à écrire l'histoire : on peut recueillir leur témoignage sans partager toutes leurs passions.

Quoi qu'il en soit, j'ai tâché d'apaiser en moi tout sentiment de haine, je me suis tour à tour figuré que, né sous le chaume, animé d'une juste ambition, je voulais acquérir ce que l'orgueil des hautes classes m'avait injustement refusé; ou bien qu'élevé dans les palais, héritier d'antiques priviléges, il m'était douloureux de renoncer à une possession que je prenais pour une propriété légitime. Dès lors je n'ai pu m'irriter; j'ai plaint les combattans, et je me suis dédommagé en adorant les âmes généreuses.

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