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mées le 23 juin, il était certain que le vote par devenait inévitable; toute réclamation était donc inutile et impolitique. Pourtant le cardinal de Larochefoucauld protesta au nom de la minorité, et assura qu'il ne s'était réuni que pour délibérer sur les objets généraux, et en conservant toujours le droit de former un ordre. L'archevêque de Vienne répliqua avec vivacité que la minorité n'avait rien pu décider en l'absence de la majorité du clergé, et qu'elle n'avait pas le droit de parler au nom de l'ordre. Mirabeau s'éleva avec force contre cette prétention, dit qu'il était étrange qu'on protestât dans l'assemblée contre l'assemblée; qu'il fallait en reconnaître la souveraineté, ou se retirer.

Alors s'éleva la question des mandats impératifs. La plupart des cahiers exprimaient le vœu des électeurs à l'égard des réformes à opérer, et rendaient ce vœu obligatoire pour les députés. Avant d'agir, il fallait fixer jusqu'à quel point on le pouvait; cette question devait donc être la première. Elle fut prise et reprise plusieurs fois. Les uns voulaient qu'on retournât aux commettans; les autres pensaient qu'on ne pouvait recevoir des commettans que la mission de voter pour eux, après que les objets auraient été discutés et éclaircis par les envoyés de toute la nation, mais ils ne croyaient pas qu'on pût recevoir d'avance un avis tout fait. Si on croit en effet ne pouvoir faire la loi que dans

un conseil général, soit parce qu'on trouve plus de lumières en s'élevant, soit parce qu'on ne peut avoir un avis que lorsque toutes les parties de la nation se sont réciproquement entendues, il s'ensuit qu'alors les députés doivent être libres et sans mandat obligatoire. Mirabeau, acérant la raison par l'ironie, s'écria que ceux qui croyaient les mandats impératifs avaient eu tort de venir, et n'avaient qu'à laisser leurs cahiers sur leurs bancs, et que ces cahiers siégeraient tout aussi bien qu'eux. Sieyes, avec sa sagacité ordinaire, prévoyant que, malgré la décision très juste de l'assemblée, un grand nombre de membres se replieraient sur leurs sermens, et qu'en se réfugiant dans leur conscience ils se rendraient inattaquables, proposa l'ordre du jour, sur le motif que chacun était juge de la valeur du serment qu'il avait prêté. « Ceux qui se croient obligés par leurs cahiers, dit-il, seront regardés comme absens, tout comme ceux qui avaient refusé de faire vérifier leurs pouvoirs en assemblée générale.>> Cette sage opinion fut adoptée. L'assemblée, en contraignant les opposans, leur eût fourni des prétextes, tandis qu'en les laissant libres, elle était sûre de les amener à elle, car sa victoire était désormais certaine.

L'objet de la nouvelle convocation était la réforme de l'état, c'est-à-dire, l'établissement d'une constitution, dont la France manquait, malgré tout

ce qu'on a pu dire. Si on appelle ainsi toute espèce de rapports entre les gouvernés et le gouvernement, sans doute la France possédait une constitution; un roi avait commandé et des sujets obéi; des ministres avaient emprisonné arbitrairement; des traitans avaient perçu jusqu'aux derniers deniers du peuple; des parlemens avaient condamné des malheureux à la roue. Les peuples les plus barbares ont de ces espèces de constitution. Il y avait eu en France des états-généraux, mais sans attributions précises, sans retours assurés, et toujours sans résultats. Il y avait eu une autorité royale, tour à tour nulle ou absolue. Il y avait eu des tribunaux ou cours souveraines qui souvent joignaient au pouvoir judiciaire le pouvoir législatif; mais il n'y avait aucune loi qui assurât la responsabilité des agens du pouvoir, la liberté de la presse, la liberté individuelle, toutes les garanties enfin qui, dans l'état social, remplacent la fiction de la liberté naturelle 1..

Le besoin d'une constitution était avoué et généralement senti; tous les cahiers l'avaient énergiquement exprimé, et s'étaient même expliqués formellement sur les principes fondamentaux de cette constitution. Ils avaient unanimement prescrit le gouvernement monarchique, l'hérédité de mâle en

1. Voyez la note 3 à la fin du volume.

mâle, l'attribution exclusive du pouvoir exécutif au roi, la responsabilité de tous les agens, le concours de la nation et du roi pour la confection des lois, le vote de l'impôt, et la liberté individuelle. Mais ils étaient divisés sur la création d'une ou de deux chambres législatives; sur la permanence, la pério dicité, la dissolution du corps législatif; sur l'existence politique du clergé et des parlemens; sur l'étendue de la liberté de la presse. Tant de questions, ou résolues ou proposées par les cahiers, annoncent assez combien l'esprit public était alors éveillé dans toutes les parties du royaume, et combien était général et prononcé le vœu de la France pour la liberté. Mais une constitution entière à fonder au milieu des décombres d'une antique législation, malgré toutes les résistances, et avec l'élan désordonné des esprits, était une œuvre grande et difficile. Outre les dissentimens que devait produire la diversité des intérêts, il y avait encore à redouter la divergence naturelle des opinions. Une législation tout entière à donner à un grand peuple excite si fortement les esprits, leur inspire des projets si vastes, des espérances si chimériques, qu'on devait s'attendre à des mesures ou vagues ou exagérées, et souvent hostiles. Pour mettre de la suite dans les travaux, on nomma un comité chargé

1. Note 4 à la fin du volume.

d'en mesurer l'étendue et d'en ordonner la distribution. Ce comité était composé des membres les plus modérés de l'assemblée. Mounier, esprit sage, quoique opiniâtre, en était le membre le plus laborieux et le plus influent; ce fut lui qui prépara l'ordre du travail.

La difficulté de donner une constitution n'était pas la seule qu'eût à vaincre cette assemblée. Entre un gouvernement mal disposé et un peuple affamé qui exigeait de prompts soulagemens, il était difficile qu'elle ne se mêlât pas de l'administration. Se défiant de l'autorité, pressée de secourir le peuple, elle devait, même sans ambition, empiéter peu à peu sur le pouvoir exécutif. Déjà le clergé lui en avait donné l'exemple, en faisant au tiers-état la pro. position insidieuse de s'occuper immédiatement des subsistances. L'assemblée à peine formée nomma un comité des subsistances, demanda au ministère des renseignemens sur cette matière, proposa de favoriser la circulation des denrées de province à province, de les transporter d'office sur les lieux où elles manquaient, de faire des aumônes, et d'y pourvoir par des emprunts. Le ministère fit connaître les mesures efficaces qu'il avait prises, et que Louis XVI, administrateur soigneux, avait favorisées de tout son pouvoir. Lally-Tolendal proposa de faire des décrets sur la libre circulation; à quoi Mounier objecta que de tels décrets exige

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