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rejeté par la noblesse, accueilli par le tiers-état, il agita la Provence, sa patrie, et vint bientôt se montrer à Versailles.

La cour ne voulut point influencer les élections; elle n'était point fâchée d'y voir un grand nombre de curés; elle comptait sur leur opposition aux grands dignitaires ecclésiastiques, et en même temps sur leur respect pour le trône. D'ailleurs elle ne prévoyait pas tout, et dans les députés du tiers elle apercevait encore plutôt des adversaires pour la noblesse que pour elle-même. Le duc d'Orléans fut accusé d'agir vivement pour faire élire ses partisans, et pour être lui-même nommé. Déjà signalé parmi les adversaires de la cour, allié des parlemens, invoqué pour chef, de son gré ou non, par le parti populaire, on lui imputa diverses menées. Une scène déplorable eut lieu au faubourg SaintAntoine; et comme on veut donner un auteur à tous les événemens, on l'en rendit responsable. Un fabricant de papiers peints, Réveillon, qui par son habileté entretenait de vastes ateliers, perfectionnait notre industrie et fournissait la subsistance à trois cents ouvriers, fut accusé d'avoir voulu réduire les salaires à moitié prix. La populace menaça de brûler sa maison. On parvint à la disperser, mais elle y retourna le lendemain; la maison fut envahie, incendiée, détruite 1. Malgré les menaces

1. 27 avril.

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faites la veille par les assaillans, malgré le rendezvous donné, l'autorité n'agit que fort tard, et agit alors avec une vigueur excessive. On attendit que le peuple fût maître de la maison; on l'y attaqua avec furie, et on fut obligé d'égorger un grand nombre de ces hommes féroces et intrépides, qui depuis se montrèrent dans toutes les occasions, et qui reçurent le nom de brigands.

Tous les partis qui étaient déjà formés s'accusèrent on reprocha à la cour son action tardive d'abord, et cruelle ensuite; on supposa qu'elle avait voulu laisser le peuple s'engager, pour faire un exemple et exercer ses troupes. L'argent trouvé sur les dévastateurs de la maison de Réveillon, les mots échappés à quelques-uns d'entre eux, firent soupçonner qu'ils étaient suscités et conduits par une main cachée; et les ennemis du parti populaire accusèrent le duc d'Orléans d'avoir voulu essayer ces. bandes révolutionnaires.

Ce prince était né avec des qualités heureuses; il avait hérité de richesses immenses; mais, livré aux mauvaises mœurs, il avait abusé de tous ces dons de la nature et de la fortune. Sans aucune suite dans le caractère, tour à tour insouciant de l'opinion ou avide de popularité, il était hardi et ambitieux un jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé avec la reine, il s'était fait ennemi de la cour. Les partis commençant à se former, il avait laissé prendre son

nom, et même, dit-on, jusqu'à ses richesses. Flatté d'un avenir confus, il agissait assez pour se faire accuser, pas assez pour réussir, et il devait, si ses partisans avaient réellement des projets, les désespérer de son inconstante ambition.

CHAPITRE II.

CONVOCATION ET OUVERTURE DES ÉTATS-GÉNÉRAUX.

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DISCUSSION SUR LA VÉRIFICATION DES POUVOIRS ET SUR LE VOTE PAR ORDRE ET PAR TÊTE. L'ORDRE DU TIERS-ÉTAT SE DÉCLARE ASSEMBLÉE NATIONALE.

LA SALLE

DES ÉTATS EST FERMÉE, LES DÉPUTÉS SE RENDENT DANS UN AUTRE LOCAL. —SERMENT DU JEU DE PAUME.-SÉANCE ROYALE DU 23 JUIN. — L'ASSEMBLÉE CONtinue ses délIBÉRATIONS Malgré les ordres du Roi. — RÉUNION DÉFInitive des troiS ORDRES. PREMIERS TRAVAUX de l'asSEMBLÉE. AGITATIONS POPULAIRES A PARIS.-LE Peuple délivRE DES GARDES FRANÇAISES ENFERMÉS A L'ABBAYE.-COMPLOTS DE LA COUR; DES TROUPES S'APPROCHENT DE PARIS. RENVOI DE NECKER.-JOURNÉES DES 12, 13 ET 14 JUILLET. — PRISE DE LA BASTILLE. — LE ROI SE REND A L'assemblée, et de la A PARIS.—RAPPEL DE NECKER.

Le moment de la convocation des états-généraux arrivait enfin; dans ce commun danger, les premiers ordres, se rapprochant de la cour, s'étaient groupés autour des princes du sang et de la reine. Ils tâchaient de gagner par des flatteries les gentilshommes campagnards, et en leur absence ils raillaient leur rusticité. Le clergé tâchait de capter les plébéiens de son ordre, la noblesse militaire ceux

du sien. Les parlemens, qui avaient cru occuper le premier rôle dans les états-généraux, commençaient à craindre que leur ambition ne fût trompée. Les députés du tiers-état, forts de la supériorité de leurs talens, de l'énergique expression de leurs cahiers, soutenus par des rapprochemens continuels, stimulés même par les doutes que beaucoup de gens manifestaient sur le succès de leurs efforts, avaient pris la ferme résolution de ne pas céder.

Le roi seul, qui n'avait pas goûté un moment de repos depuis le commencement de son règne, entrevoyait les états-généraux comme le terme de ses embarras. Jaloux de son autorité, plutôt pour ses enfans, auxquels il croyait devoir laisser ce patrimoine intact, que pour lui-même, il n'était pas fâché d'en remettre une partie à la nation, et de se décharger sur elle des difficultés du gouvernement. Aussi faisait-il avec joie les apprêts de cette grande réunion. Une salle avait été préparée à la hâte. On avait même déterminé les costumes, et imposé au tiers-état une étiquette humiliante. Les hommes ne sont pas moins jaloux de leur dignité que de leurs droits: par une fierté bien juste, les cahiers défendaient aux députés de condescendre à tout céré monial outrageant. Cette nouvelle faute de la cour tenait, comme toutes les autres, au désir de maintenir au moins le signe quand les choses n'étaient

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