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aristocrates et de leurs contre-sens continuels, je ne prévoyais pas encore jusqu'où ils pouvaient aller.

« Lorsqu'on apprit la nouvelle de l'arrestation du roi à Varennes, le côté droit, dans les comités secrets, arrêta de ne plus voter, de ne plus prendre aucune part aux délibérations ni aux discussions de l'assemblée. Malouet ne fut pas de cet avis. Il leur représenta que tant que la session durerait et qu'ils y assisteraient, ils avaient l'obligation de s'opposer activement aux mesures atten tatoires à l'ordre public et aux principes fondamentaux de la monarchie. Toutes ses instances furent inutiles; ils persistèrent dans leur résolution, et rédigèrent secrètement un acte de protestation contre tout ce qui s'était fait. Malouet protesta qu'il continuerait à protester à la tribune, et à faire ostensiblement tous ses efforts pour empêcher le mal. Il m'a dit qu'il n'avait pu ramener à son avis que trente-cinq à quarante membres du côté droit, et qu'il craignait bien que cette fausse mesure des plus zélés royalistes n'eût les plus funestes conséquences.

«Les dispositions générales de l'assemblée étaient alors si favorables au roi, que, pendant qu'on le conduisait à Paris, Thouret étant monté à la tribune pour dé. terminer la manière dont le roi serait gardé (j'étais à la séance), le plus grand silence régnait dans la salle et dans les galeries. Presque tous les députés, même du côté gauche, avaient l'air consterné en entendant lire ce fatal décret; mais personne ne disait rien. Le président allait le mettre aux voix; tout à coup Malonet se leva, et, d'un air de dignité, s'écria : - Qu'allez-vous faire, messieurs? Après avoir arrêté le roi, on vous propose de le constituer prisonnier par un décret! Où vous conduit cette démarche? Y pensez-vous bien? Vous ordonneriez d'emprisonner le roi! Non! Non! s'écrièrent plusieurs membres du côté gauche en se levant en tu

multe : nous n'entendons pas que le roi soit prisonnier ; et le décret allait être rejeté à la presque unanimité, lorsque Thouret s'empressa d'ajouter :

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L'opinant a mal saisi les termes et l'objet du décret. Nous n'avons pas plus que lui le projet d'emprisonner le roi, c'est pour sa sûreté et celle de la famille royale que nous proposons des mesures. » Et ce ne fut que d'après cette explication que le décret passa, quoique l'emprisonnement soit devenu très réel, et se prolonge aujourd'hui sans pudeur.

« A la fin de juillet, les constitutionnels, qui soupçonnaient la protestation du côté droit, sans cependant en avoir la certitude, poursuivaient mollement leur plan de révision. Ils redoutaient plus que jamais les jacobins et les aristocrates. Malouet se rendit à leur comité de révision. Il leur parla d'abord comme à des hommes à qui il n'y avait rien à apprendre sur les dangers et les vices de leur constitution; mais il les vit moins disposés à de grandes réformes. Ils craignaient de perdre leur popularité. Target et Duport argumentèrent contre lui pour défendre leur ouvrage. Il rencontra le lendemain Chapellier et Barnave, qui refusèrent d'abord dédaigneusement de répondre à ses provocations, et se prêtèrent enfin au plan d'attaque dont il allait courir tous les ris ques. Il proposa de discuter, dans la séance du 8, tous les points principaux de l'acteconstitutionnel, et d'en démontrer tous les vices. « Vous, messieurs, leur dit-il, répondez-moi, accablez-moi d'abord de votre indignation; défendez votre ouvrage avec avantage sur les articles les moins dangereux, même sur la pluralité des points auxquels s'adressera ma censure, et, quant à ceux que j'aurai signalés comme antimonarchiques, comme empêchant l'acte du gouvernement, dites alors que ni l'assemblée ni le comité n'avaient besoin de mes observations à cet

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NOTES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES.

égard; que vous entendiez bien en proposer la réforme, et sur-le-champ proposez-la. Croyez que c'est peut-être notre seule ressource pour maintenir la monarchie et revenir avec le temps à lui donner tous les appuis qui lui sont nécessaires. » Cela fut ainsi convenu; mais la protestation du côté droit ayant été connue, et sa persévérance à ne plus voter ôtant toute espérance aux constitionnels de réussir dans leur projet de révision, que les jacobins contrariaient de toutes leurs forces, ils y renoncèrent. Malouet, qui n'avait pas eu avec eux de communications régulières, n'en fit pas moins son attaque. Il rejeta solennellement l'acte constitutionnel comme antimonarchique, et d'une exécution impraticable sur plusieurs points. Le développement de ces motifs commençait à faire une grande impression, lorsque Chapellier, qui n'espérait plus rien de l'exécution de la convention, la rompit et cria au blasphème, en interrompant l'orateur, et demandant qu'on le fît descendre de la tribune; ce qui fut ordonné. Le lendemain il avoua qu'il avait eu tort; mais il dit que lui et les siens avaient perdu toute espérance, du moment où il n'y avait aucun secours à attendre du côté droit.

« Il fallait bien vous faire cette longue histoire, pour que vous ne perdissiez pas toute confiance en mes pronostics. Ils sont tristes maintenant; le mal est extrême, et, pour le réparer, je ne vois ni au dedans ni au dehors qu'un seul remède, qui est la réunion de la force à la

raison. >>

(Mémoires de Bouillé, page 282 et suiv.)

FIN DES NOTES DU TOME PREMIER..

TABLE

DES CHAPITRES CONTENUS DANS LE TOME PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

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État moral et politique de la France à la fin du dix-huitième siècle. — Avéne-
ment de Louis XVI. Maurepas, Turgot et Necker ministres. - Calonne.
Assemblée des notables. De Brienne ministre. - Opposition du parle-
ment, son exil et son rappel. · Le duc d'Orléans exilé. — Arrestation du
conseiller d'Espréménil. - Necker est rappelé et remplace de Brienne. -
Nouvelle assemblée des notables.-Discussions relatives aux états-généraux.
- Formation des clubs. Causes de la révolution. — Premières élections
des députés aux états-généraux. Incendie de la maison Réveillon.- Le
duc d'Orléans; son caractère.

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CHAPITRE II.

Convocation et ouverture des états-généraux. - Discussion sur la vérifica-
tion des pouvoirs et sur le vote par ordre et par tête.-L'ordre du tiers-état
se déclare assemblée nationale. — La salle des états est fermée, les députés
se rendent dans un autre local. Serment du jeu de paume. Séance
royale du 23 juin. — L'assemblée continue ses délibérations malgré les
ordres du roi. - Réunion définitive des trois ordres. - Premiers travaux

de l'assemblée.

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Agitations populaires à Paris. - Le peuple délivre des

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V.

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