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voirs de l'état n'avaient-ils pas été dans une révolution continuelle? L'autorité royale, souveraine d'abord, puis vaincue et dépouillée, se relevant de nouveau avec le secours du peuple, et ramenant tous les pouvoirs à elle, présentait une lutte perpétuelle, et une possession toujours changeante. On disait au clergé, qu'en se reportant aux anciens temps, il ne serait plus un ordre; aux nobles, que les possesseurs de fiefs seuls pourraient être élus, et qu'ainsi la plupart d'entre eux seraient exclus de la députation; aux parlemens eux-mêmes, qu'ils n'étaient que des officiers infidèles de la royauté; à tous enfin, que la constitution française n'était qu'une longue révolution, pendant laquelle chaque puissance avait successivement dominé; que tout avait été innovation, et que, dans ce vaste conflit, la raison seule devait décider.

Le tiers-état comprenait la presque totalité de la nation, toutes les classes utiles, industrieuses et éclairées ; s'il ne possédait qu'une partie des terres, du moins il les exploitait toutes; et, selon la raison, ce n'était pas trop que de lui donner un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres.

L'assemblée des notables se déclara contre ce qu'on appelait le doublement du tiers. Un seul bureau, celui que présidait Monsieur, frère du roi, vota pour ce doublement. La cour alors, prenant, disait-elle, en considération l'avis de la minorité,

l'opinion prononcée de plusieurs princes du sang, le vœu des trois ordres du Dauphiné, la demande des assemblées provinciales, l'exemple de plusieurs pays d'états, l'avis de divers publicistes, et le vœu exprimé par un grand nombre d'adresses, la cour ordonna que le nombre total des députés serait de mille au moins; qu'il serait formé en raison composée de la population et des contributions de chaque bailliage, et que le nombre particulier des députés du tiers-état serait égal à celui des deux premiers ordres réunis. (Arrêt du conseil du 27 décembre 1788.)

Cette déclaration excita un enthousiasme universel. Attribuée à Necker, elle accrut à son égard la faveur de la nation et la haine des grands. Cependant cette déclaration ne décidait rien quant au vote par tête ou par ordre, mais elle le renfermait implicitement; car il était inutile d'augmenter les voix si on ne devait pas les compter; et elle laissait au tiers-état le soin d'emporter de vive force ce qu'on lui refusait dans le moment. Elle donnait ainsi une idée de la faiblesse de la cour et de celle de Necker lui-même. Cette cour offrait un assemblage de volontés qui rendait tout résultat décisif impossible. Le roi était modéré, équitable, studieux, et se défiait trop de ses propres lumières; aimant le peuple, accueillant volontiers ses plaintes, il était cependant atteint quelquefois de terreurs paniques

et superstitieuses, et croyait voir marcher, avec la liberté et la tolérance, l'anarchie et l'impiété. L'esprit philosophique, dans son premier essor, avait dû commettre des écarts, et un roi timide et religieux avait dû s'en épouvanter. Saisi à chaque instant de faiblesses, de terreurs, d'incertitudes, l'infortuné Louis XVI, résolu pour lui à tous les sacrifices, mais ne sachant pas les imposer aux autres, victime de sa facilité pour la cour, de sa condescendance pour la reine, expiait toutes les fautes qu'il n'avait pas commises, mais qui devenaient les siennes parce qu'il les laissait commettre. La reine, livrée aux plaisirs, exerçant autour d'elle l'empire de ses charmes, voulait que son époux fût tranquille, que le trésor fût rempli, que la cour et ses sujets l'adorassent. Tantôt elle était d'accord avec le roi pour opérer des réformes, quand le besoin en paraissait urgent; tantôt au contraire, quand elle croyait l'autorité menacée, ses amis de cour dépouillés, elle arrêtait le roi, écartait les ministres populaires, et détruisait tout moyen et toute espérance de bien. Elle cédait surtout aux influences d'une partie de la noblesse qui vivait autour du trône ets'y nourrissait de grâces et d'abus. Cette noblesse de cour désirait sans doute, comme la reine elle-même, que le roi eût de quoi faire des prodigalités; et, par ce motif, elle était ennemie des parlemens quand ils refusaient les impôts, mais

elle devenait leur alliée quand ils défendaient ses priviléges en refusant, sous de spécieux prétextes, la subvention territoriale. Au milieu de ces influences contraires, le roi n'osant envisager en face les difficultés, juger les abus, les détruire d'autorité, cédait alternativement à la cour ou à l'opinion, et ne savait satisfaire ni l'une ni l'autre.

Si pendant la durée du dix-huitième siècle, lorsque les philosophes, réunis dans une allée des Tuileries, faisaient des vœux pour Frédéric et les Américains, pour Turgot et pour Necker; si, lorsqu'ils n'aspiraient point à gouverner l'état, mais seulement à éclairer les princes, et prévoyaient tout au plus des révolutions lointaines que des signes de malaise et l'absurdité des institutions faisaient assez présumer; si, à cette époque, le roi eût spontanément établi une certaine égalité dans les charges, et donné quelques garanties, tout eût été apaisé pour long-temps, et Louis XVI aurait été adoré à l'égal de Marc-Aurèle. Mais lorsque toutes les autorités se trouvèrent avilies par une longue lutte, et tous les abus dévoilés par une assemblée de notables; lorsque la nation, appelée dans la querelle, eut conçu l'espoir et la volonté d'être quelque chose, elle le voulut impérieusement. On lui avait promis les états-généraux, elle demanda que le terme de la convocation fût rapproché ; le terme rapproché, elle y réclama la pré

pondérance on la lui refusa; mais, en doublant sa représentation, on lui donna le moyen de la conquérir. Ainsi donc on ne cédait jamais que partiellement et seulement lorsqu'on ne pouvait plus lui résister; mais alors ses forces étaient accrues et senties, et elle voulait tout ce qu'elle croyait pouvoir. Une résistance continuelle, irritant son ambition, devait bientôt la rendre insatiable. Mais alors même, si un grand ministre, communiquant un peu de force au roi, se conciliant la reine, domptant les privilégiés, eût devancé et rassasié tout à coup les prétentions nationales, en donnant lui-même une constitution libre; s'il eût satisfait ce besoin d'agir qu'éprouvait la nation, en l'appelant tout de suite, non à réformer l'état, mais à discuter ses intérêts annuels dans un état tout constitué, peut-être la lutte ne se fût pas engagée. Mais il fallait devancer la difficulté au lieu d'y céder, et surtout immoler des prétentions nombreuses. Il fallait un homme d'une conviction forte, d'une volonté égale à sa conviction; et cet homme sans doute audacieux, puissant, passionné peutêtre, eût effrayé la cour, qui n'en aurait pas voulu. Pour ménager à la fois l'opinion et les vieux intérêts, elle prit des demi-mesures; elle choisit, comme on l'a vu, un ministre demi-philosophe, demi-audacieux, et qui avait une popularité immense, parce qu'alors des intentions demi-popu

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