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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

CHAPITRE PREMIER.

ÉTAT MORAL ET POLITIQUE DE LA FRANCE A LA FIN DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
—AVÉNEMENT DE LOUIS XVI. — MAUREPAS, TURGOT ET NECKER, MINIS-
TRES. CALONNE. ASSEMBLÉE DES NOTABLES.--DE BRIENNE, MINISTRE.—
OPPOSITION DU PARLEMENT, SON EXIL ET SON RAPPEL, — le duc d'or-
LÉANS EXILE.
.-ARRESTATION DU CONSEILLER D'ESPRÉMÉNIL.-
.NECKER
EST RAPPELÉ ET REMPLACE DE BRIENNE. — NOUVELLE ASSEMBLÉE DES
NOTABLES. DISCUSSIONS RELATIVES AUX ÉTATS-GÉNÉRAUX.
TION DES CLUBS.CAUSES DE LA RÉVOLUTION. PREMIÈRES ÉLECTIONS
DES DÉPUTÉS Aux États-génÉRAUX. — INCENDIE DE LA MAISON RÉVEIL-

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LE DUC D'ORLÉANS; SON CARActère,

w FORMA

ON connaît les révolutions de la monarchie française; on sait qu'au milieu des Gaules à moitié sauvages, les Grecs, puis les Romains, apportèrent leurs armes et leur civilisation; qu'après eux, les barbares y établirent leur hiérarchie militaire; que

cette hiérarchie, transmise des personnes aux terres, y fut comme immobilisée, et forma ainsi le système féodal. L'autorité s'y partagea entre le chef féodal appelé roi, et les chefs secondaires appelés vassaux, qui à leur tour étaient rois de leurs propres sujets. Dans notre temps, où le besoin de s'accuser a fait rechercher les torts réciproques, on nous a suffisamment appris que l'autorité fut d'abord disputée par les vassaux, ce que font toujours ceux qui sont le plus rapprochés d'elle; que cette autorité fut ensuite partagée entre eux, ce qui forma l'anarchie féodale; et qu'enfin elle retourna au trône, où elle se concentra en despotisme sous Louis XI, Richelieu et Louis XIV. La population française s'était progressivement affranchie par le travail, première source de la richesse et de la liberté. Agricole d'abord, puis commerçante et manufacturière, elle acquit une telle importance qu'elle forma la nation tout entière. Introduite en suppliante dans les états-généraux, elle n'y parut qu'à genoux, pour y être taillée à merci et miséricorde; bientôt même Louis XIV annonça qu'il ne voulait plus de ces assemblées si soumises, et il le déclara aux parlemens, en bottes et le fouet à la main. On vit dès lors à la tête de l'état un roi muni d'un pouvoir mal défini en théorie, mais absolu dans la pratique; des grands qui avaient abandonné leur dignité féodale pour la faveur du monarque, et qui se disputaient

par l'intrigue ce qu'on leur livrait de la substance des peuples; au-dessous une population immense, sans autre relation avec cette aristocratie royale qu'une soumission d'habitude et l'acquittement des impôts. Entre la cour et le peuple se trouvaient des parlemens investis du pouvoir de distribuer la justice et d'enregistrer les volontés royales. L'autorité est toujours disputée : quand ce n'est pas dans les assemblées légitimes de la nation, c'est dans le palais même du prince. On sait qu'en refusant de les enregistrer, les parlemens arrêtaient l'effet des volontés royales; ce qui finissait par un lit de justice et une transaction, quand le roi était faible, et par une soumission entière, quand le roi était fort. Louis XIV n'eut pas même à transiger, car sous son règne aucun parlement n'osa faire des remontrances : il entraîna la nation à sa suite, et elle le glorifia des prodiges qu'elle faisait elle-même dans la guerre, dans les arts et les sciences. Les sujets et le monarque furent unanimes, et tendirent vers un même but. Mais Louis XIV était à peine expiré, que le régent offrit aux parlemens l'occasion de se venger de leur longue nullité. La volonté du monarque, si respectée de son vivant, fut violée après sa mort, et son testament cassé. L'autorité fut alors remise en litige, et une longue lutte commença entre les parlemens, le clergé et la cour, en présence d'une nation épuisée par de

longues guerres, et fatiguée de fournir aux prodigalités de ses maîtres, livrés tour à tour au goût des voluptés ou des armes. Jusque-là elle n'avait eu du génie que pour le service et les plaisirs du monarque; elle en eut alors pour son propre usage, et s'en servit à examiner ses intérêts. L'esprit humain passe incessamment d'un objet à l'autre. Du théâtre, de la chaire religieuse et funèbre, le génie français se porta vers les sciences morales et politiques; et alors tout fut changé. Qu'on se figure, pendant un siècle entier, les usurpateurs de tous les droits nationaux se disputant une autorité usée; les parlemens poursuivant le clergé, le clergé poursuivant les parlemens; ceux-ci contestant l'autorité de la cour; la cour, insouciante et tranquille au sein de cette lutte, dévorant la substance des peuples au milieu des plus grands désordres; la nation, enrichie et éveillée, assistant à ces divisions, s'armant des aveux des uns contre les autres, privée de toute action politique, dogmatisant avec audace et ignorance, parce qu'elle était réduite à des théories; aspirant surtout à recouvrer son rang en Europe, et offrant en vain son or et son sang pour reprendre une place que la faiblesse de ses maîtres lui avait fait perdre: tel fut le dix-huitième siècle.

Le scandale avait été poussé à son comble lorsque Louis XVI, prince équitable, modéré dans ses

par

goûts, négligemment élevé, mais porté au bien un penchant naturel, monta fort jeune sur le trône1. Il appela auprès de lui un vieux courtisan pour lui donner le soin de son royaume, et partagea sa confiance entre Maurepas et la reine, jeune princesse autrichienne, vive, aimable, et exerçant sur lui le plus grand ascendant. Maurepas et la reine ne s'aimaient pas; le roi, cédant tantôt à son ministre, tantôt à son épouse, commença de bonne heure la longue carrière de ses incertitudes. Ne se dissimulant pas l'état de son royaume, il en croyait les philosophes sur ce point; mais, élevé dans les sentimens les plus chrétiens, il avait pour eux le plus grand éloignement. La voix publique, qui s'exprimait hautement, lui désigna Turgot, de la société des économistes, homme simple, vertueux, doué d'un caractère ferme, d'un génie lent, mais opiniâtre et profond. Convaincu de sa probité, charmé de ses projets de réformes, Louis XVI a répété souvent : « Il n'y a que moi et Turgot qui << soyons les amis du peuple. » Les réformes de Turgot échouérent par la résistance des premiers ordres de l'état, intéressés à conserver tous les genres d'abus que le ministre austère voulait détruire. Louis XVI le renvoya avec regret. Pendant sa vie, qui ne fut qu'un long martyre, il eut

1. 1774.

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