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des défiances continuelles, s'effraya d'une nouvelle qu'on répandait, et d'après laquelle il devait être nommé commandant de toutes les gardes nationales du royaume. Ces défiances pour qui ne connaissait pas Lafayette, étaient naturelles, et ses ennemis de tous les côtés s'attachaient à les augmenter. Comment se persuader en effet qu'un homme jouissant d'une telle popularité, chef d'une force aussi considérable, ne voulût pas en abuser? Cependant il ne le voulait pas; il était résolu à n'être que citoyen; et, soit vertu, soit ambition bien entendue, le mérite est le même. Il faut que l'orgueil humain soit placé quelque part; la vertu consiste à le placer dans le bien. Lafayette, prévenant les craintes de la cour, proposa qu'un même individu ne pût commander plus d'une garde de département. Le décret fut accueilli avec acclamation, et le désintéressement du général couvert d'applaudissemens. Lafayette fut cependant chargé de tout le soin de la fête, et nommé chef de la fédération en sa qualité de commandant de la garde parisienne.

Le jour approchait, et les préparatifs se faisaient avec la plus grande activité. La fête devait avoir lieu au Champ-de-Mars, vaste terrain qui s'étend entre l'Ecole-Militaire et le cours de la Seine. On avait projeté de transporter la terre du milieu sur les côtés, de manière à former un amphithéâtre qui pût contenir la masse des spectateurs. Douze mille ouvriers

y travaillaient sans relâche; et cependant il était à craindre que les travaux ne fussent pas achevés le 14. Des habitans veulent alors se joindre eux-mêmes aux travailleurs. En un instant toute la population est transformée en ouvriers. Des religieux, des militaires, des hommes de toutes les classes, saisissent la pelle et la bêche; des femmes élégantes contribuent elles-mêmes aux travaux. Bientôt l'entraîne ment est général; on s'y rend par sections avec des bannières de diverses couleurs, et au son du tambour. Arrivé, on se mêle et on travaille en commun. La nuit venue et le signal donné, chacun se rejoint aux siens, et retourne dans ses foyers. Cette douce union régna jusqu'à la fin des travaux. Pendant ce temps les fédérés arrivaient continuellement, et étaient reçus avec le plus grand empressement et la plus aimable hospitalité. L'effusion était générale, et la joie sincère, malgré les alarmes que le très petit nombre d'hommes restés inacces sibles à ces émotions s'efforçaient de répandre. On disait que des brigands profiteraient du moment où le peuple serait à la fédération pour piller la ville. On supposait au duc d'Orléans, revenu de Londres, des projets sinistres; cependant la gaieté nationale fut inaltérable, et on ne crut à aucune de ces méchantes prophéties.

Le 14 arrive enfin: tous les fédérés députés des provinces et de l'armée, rangés sous leurs chefs et

leurs bannières, partent de la place de la Bastille et se rendent aux Tuileries. Les députés du Béarn, en passant dans la rue de la Féronnerie, où avait été assassiné Henri IV, lui rendent un hommage, qui, dans cet instant d'émotion, se manifeste par des larmes. Les fédérés, arrivés au jardin des Tuileries, reçoivent dans leurs rangs la municipalité et l'assemblée. Un bataillon de jeunes enfans, armés comme leurs pères, devançait l'assemblée: un groupe de vieillards la suivait, et rappelait ainsi les antiques souvenirs de Sparte. Le cortége s'avance au milieu des cris et des applaudissemens du peuple. Les quais étaient couverts de spectateurs, les maisons en étaient chargées. Un pont jeté en quelques jours sur la Seine, conduisait, par un chemin jonché de fleurs, d'une rive à l'autre, et aboutissait en face du champ de la fédération. Le cortége le traverse, et chacun prend sa place. Un amphithéâtre magnifique, disposé dans le fond, était destiné aux autorités nationales. Le roi et le président étaient assis à côté l'un de l'autre sur des siéges pareils, semés de fleurs de lis d'or. Un balcon élevé derrière le roi portait la reine et la cour. Les ministres étaient à quelque distance du roi, et les députés rangés des deux côtés. Quatre cent mille spectateurs remplissaient les amphithéâtres latéraux; soixante mille fédérés armés faisaient leurs évolutions dans le champ intermédiaire,

et au centre s'élevait, sur une base de vingt-cinq pieds, le magnifique autel de la patrie. Trois cents prêtres revêtus d'aubes blanches et d'écharpes tricolores en couvraient les marches, et devaient servir la messe.

L'arrivée des fédérés dura trois heures. Pendant ce temps le ciel était couvert de sombres nuages, et la pluie tombait par torrens. Ce ciel, dont l'éclat se marie si bien à la joie des hommes, leur refusait en ce moment la sérénité et la lumière. Un des bataillons arrivés dépose ses armes, et a l'idée de former une danse; tous l'imitent aussitôt, et en un seul instant, le champ intermédiaire est encombré par soixante mille hommes, soldats et citoyens, qui opposent la gaieté à l'orage. Enfin la cérémonie commence; le ciel, par un hasard heureux, se découvre et illumine de son éclat cette scène solennelle. L'évêque d'Autun commence la messe; des choeurs accompagnent la voix du pontife; le canon y mêle ses bruits solennels. Le saint sacrifice achevé, Lafayette descend de cheval, monte les marches du trône, et vient recevoir les ordres du roi, qui lui confie la formule du serment. Lafayette la porte à l'autel, et dans ce moment, toutes les bannières s'agitent, tous les sabres étincellent. Le général, l'armée, le président, les députés crient: Je le jure! Le roi debout, la main tendue vers l'autel, dit: Moi, roi des Français, je jure d'em

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