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conseil qui cassaient les décisions des cours souveraines, et il frappa d'exil huit d'entre elles.

La cour, inquiétée par les premiers ordres, qui lui faisaient la guerre en invoquant l'intérêt du peuple et en provoquant son intervention, eut recours, de son côté, au même moyen; elle résolut d'appeler le tiers-état à son aide, comme avaient fait autrefois les rois de France pour anéantir la féodalité. Elle pressa alors de tous ses moyens la convocation des états-généraux. Elle prescrivit des recherches sur le mode de leur réunion; elle invita les écrivains et les corps savans à donner leur avis; et, tandis que le clergé assemblé déclarait de son côté qu'il fallait rapprocher l'époque de la convocation, la cour, acceptant le défi, suspendit en même temps la réunion de la cour plénière, et fixa l'ouverture des états-généraux au 1 mai 1789. Alors eut lieu la retraite de l'archevêque de Toulouse', qui, par des projets hardis faiblement exécutés, avait provoqué une résistance qu'il fallait ou ne pas exciter ou vaincre. En se retirant, il laissa le trésor dans la détresse, le paiement des rentes de l'Hôtel-de-Ville suspendu, toutes les autorités en lutte, toutes les provinces en armes. Quant à lui, pourvu de huit cent mille francs de bénéfices, de l'archevêché de Sens et du chapeau

1. 24 août.

er

de cardinal, s'il ne fit pas la fortune publique, il fit du moins la sienne. Pour dernier conseil, il engagea le roi à rappeler Necker au ministère des finances, afin de s'aider de sa popularité contre des résistances devenues invincibles.

C'est pendant les deux années 1787 et 1788 que les Français voulurent passer des vaines théories à la pratique. La lutte des premières autorités leur en avait donné le désir et l'occasion. Pendant toute la durée du siècle, le parlement avait attaqué le clergé et dévoilé ses penchans ultramontains; après le clergé il avait attaqué la cour, signalé ses abus de pouvoir et dénoncé ses désordres. Menacé de représailles, et inquiété à son tour dans son existence, il venait enfin de restituer à la nation des prérogatives que la cour voulait lui enlever à luimême pour les transporter à un tribunal extraordinaire. Après avoir ainsi averti la nation de ses droits, il avait exercé ses forces en excitant et protégeant l'insurrection. De leur côté, le haut clergé en faisant des mandemens, la noblesse en fomentant la désobéissance des troupes, avaient réuni leurs efforts à ceux de la magistrature, et appelé le peuple aux armes pour la défense de leurs priviléges.

La cour, pressée par ces divers ennemis, avait résisté faiblement. Sentant le besoin d'agir, et en différant toujours le moment, elle avait détruit

parfois quelques abus, plutôt au profit du trésor que du peuple, et ensuite était retombée dans l'inaction. Enfin, attaquée en dernier lieu de toutes parts, voyant que les premiers ordres appelaient le peuple dans la lice, elle venait de l'y introduire elle-même en convoquant les états-généraux. Opposée, pendant toute la durée du siècle, à l'esprit philosophique, elle lui faisait un appel cette fois, et livrait à son examen les constitutions du royaume. Ainsi les premières autorités de l'état donnèrent le singulier spectacle de détenteurs injustes, se disputant un objet en présence du propriétaire légitime, et finissant même par l'invoquer pour juge.

Les choses en étaient à ce point lorsque Necker rentra au ministère1. La confiance l'y suivit, le crédit fut rétabli sur-le-champ, les difficultés les plus pressantes furent écartées. Il pourvut, à force d'expédiens, aux dépenses indispensables, en attendant les états-généraux, qui étaient le remède invoqué par tout le monde.

On commençait à agiter de grandes questions relatives à leur organisation. On se demandait quel y serait le rôle du tiers-état : s'il y paraîtrait en égal ou en suppliant; s'il obtiendrait une représentation égale en nombre à celle des deux premiers ordres; si on délibérerait par tête ou par ordre, et si le

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tiers n'aurait qu'une seule voix contre les deux voix de la noblesse et du clergé.

La première question agitée fut celle du nombre des députés. Jamais controverse philosophique du dix-huitième siècle n'avait excité une pareille agitation. Les esprits s'échauffèrent par l'importance tout actuelle de la question. Un écrivain concis, énergique, amer, prit dans cette discussion la place que les grands génies du siècle avaient occupée dans les discussions philosophiques. L'abbé Sieyes, dans un livre qui donna une forte impulsion à l'esprit public, se demanda: Qu'est le tiers-état? Et il répondit : Rien. — - Que doit-il être? - Tout.

Les états du Dauphiné se réunirent malgré la cour. Les deux premiers ordres, plus adroits et plus populaires dans cette contrée que partout ailleurs, décidèrent que la représentation du tiers serait égale à celle de la noblesse et du clergé. Le parlement de Paris, entrevoyant déjà la conséquence de ses provocations imprudentes, vit bien que le tiersétat n'allait pas arriver en auxiliaire, mais en maître, et en enregistrant l'édit de convocation, il enjoignit pour clause expresse le maintien des formes de 1614, qui annulaient tout à fait le rôle du troisième ordre. Déjà dépopularisé par les difficultés qu'il avait opposées à l'édit qui rendait l'état civil aux protestans, il fut en ce jour complètement dévoilé, et la cour entièrement vengée. Le premier,

il fit l'épreuve de l'instabilité des faveurs populaires; mais si plus tard la nation put paraître ingrate envers les chefs qu'elle abandonnait l'un après l'autre, cette fois elle avait toute raison contre le parlement, car il s'arrêtait avant qu'elle eût recouvré aucun de ses droits.

La cour, n'osant décider elle-même ces questions importantes, ou plutôt voulant dépopulariser à son profit les deux premiers ordres, leur demanda leur avis, dans l'intention de ne pas le suivre, si, comme il était probable, cet avis était contraire au tiersétat. Elle convoqua donc une nouvelle assemblée de notables, dans laquelle toutes les questions relatives à la tenue des états-généraux furent mises en discussion. La dispute fut vive: d'une part on faisait valoir les anciennes traditions, de l'autre les droits naturels et la raison. En se reportant même aux traditions, la cause du tiers-état avait encore l'avantage; car aux formes de 1614, invoquées par les premiers ordres, on opposait des formes plus anciennes. Ainsi, dans certaines réunions et sur certains points, on avait voté par tête; quelquefois on avait délibéré par province et non par ordre; souvent les députés du tiers avaient égalé en nombre les députés de la noblesse et du clergé. Comment donc s'en rapporter aux anciens usages? Les pou

1. Elle s'ouvrit à Versailles le 6 novembre, et ferma sa session le 8 décembre suivant.

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