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niâtre des parlemens, il commença sa carrière avec assez d'avantage. Les notables, engagés par leurs promesses, consentirent avec empressement à tout ce qu'ils avaient d'abord refusé: impôt territorial, impôt du timbre, suppression des corvées, assemblées provinciales, tout fut accordé avec affectation. Ce n'était point à ces mesures, mais à leur auteur, qu'on affectait d'avoir résisté; l'opinion publique triomphait. Calonne était poursuivi de malédictions, et les notables, entourés du suffrage public, regrettaient cependant un honneur acquis au prix des plus grands sacrifices. Si M. de Brienne eût su profiter des avantages de sa position, s'il eût poursuivi avec activité l'exécution des mesures consenties par les notables, s'il les eût toutes à la fois et sans délai présentées au parlement, à l'instant où l'adhésion des premiers ordres semblait obligée, c'en était fait peut-être : le parlement, pressé de toutes parts, aurait consenti à tout, et cette transaction, quoique partielle et forcée, eût probablement retardé pour long-temps la lutte qui s'engagea bientôt.

Rien de pareil n'eut lieu. Par des délais imprudens, on permit les retours; on ne présenta les édits que l'un après l'autre; le parlement eut le temps de discuter, de s'enhardir, et de revenir sur l'espèce de surprise faite aux notables. Il enregistra, après de longues discussions, l'édit portant la seconde abolition des corvées, et un autre permettant la

libre exportation des grains. Sa haine se dirigeait surtout contre la subvention territoriale; mais il craignait, par un refus, d'éclairer le public, et de lui laisser voir que son opposition était tout intéressée. Il hésitait, lorsqu'on lui épargna cet embarras en présentant ensemble l'édit sur le timbre et sur la subvention territoriale, mais surtout en commençant la délibération par celui du timbre. Le parlement put ainsi refuser le premier sans s'expliquer sur le second; et, en attaquant l'impôt du timbre qui affectait la majorité des contribuables, il sembla défendre les intérêts publics. Dans une séance où les pairs assistèrent, il dénonça les abus, les scandales et les prodigalités de la cour, et demanda des états de dépenses. Un conseiller, jouant sur le mot, s'écria : « Ce ne sont pas des états, mais des états-généraux qu'il nous faut! » Cette demande inattendue frappa tout le monde d'étonnement. Jusqu'alors on avait résisté parce qu'on souffrait; on avait secondé tous les genres d'opposition,favorables ou non à la cause populaire,pourvu qu'ils fussent dirigés contre la cour, à laquelle on rapportait tous les maux. Cependant on ne savait trop ce qu'il fallait désirer: on avait toujours été si loin d'influer sur le gouvernement, on avait tellement l'habitude de s'en tenir aux plaintes, qu'on se plaignait sans concevoir l'idée d'agir ni de faire une révolution. Un seul mot prononcé offrit un but

inattendu; chacun le répéta, et les états-généraux furent demandés à grands cris.

D'Espréménil, jeune conseiller, orateuremporté, agitateur sans but, démagogue dans les parlemens, aristocrate dans les états-généraux, et qui fut déclaré en état de démence par un décret de l'assemblée constituante, d'Espréménil se montra dans cette occasion l'un des plus violens déclamateurs parlementaires. Mais l'opposition était conduite secrètement par Duport, jeune homme doué d'un esprit vaste, d'un caractère ferme et persévérant, qui seul peut-être, au milieu de ces troubles, se proposait un avenir, et voulait conduire sa compagnie, la cour et la nation, à un but tout autre que celui d'une aristocratie parlementaire.

Le parlement était divisé en vieux et jeunes conseillers. Les premiers voulaient faire contre-poids à l'autorité royale pour donner de l'importance à leur compagnie; les seconds, plus ardens et plus sincères, voulaient introduire la liberté dans l'état, sans bouleverser néanmoins le système politique sous lequel ils étaient nés. Le parlement fit un aveu grave: il reconnut qu'il n'avait pas le pouvoir de consentir les impôts; qu'aux états-généraux seuls appartenait le droit de les établir; et il demanda au roi la communication des états de recettes et de dépenses.

Cet aveu d'incompétence et même d'usurpation,

puisque le parlement s'était jusqu'alors arrogé le droit de consentir les impôts, cet aveu dut étonner. Le prélat ministre, irrité de cette opposition, manda assitôt le parlement à Versailles, et fit enregistrer les deux édits dans un lit de justice 1. Le parlement de retour à Paris, fit des protestations, et ordonna des poursuites contre les prodigalités de Calonne. Sur-le-champ une décision du conseil cassa ses arrêtés et l'exila à Troyes 2.

Telle était la situation des choses le 15 août 1787. Les deux frères du roi, Monsieur et le comte d'Artois, furent envoyés, l'un à la cour des comptes et l'autre à la cour des aides, pour y faire enregistrer les édits. Le premier, devenu populaire par les opinions qu'il avait manifestées dans l'assemblée des notables, fut accueilli par les acclamations d'une foule immense, et reconduit jusqu'au Luxembourg au milieu des applaudissemens universels. Le comte d'Artois, connu pour avoir soutenu Calonne, fut accueilli par des murmures; ses gens furent attaqués, et on fut obligé de recourir à la force armée.

Les parlemens avaient autour d'eux, une clientèle nombreuse, composée de légistes, d'employés du palais, de clercs, d'étudians, population active, remuante, et toujours prête à s'agiter pour leur cause. A ces alliés naturels des parlemens se joi

I. 6 août.

2. 15 août.

gnaient les capitalistes, qui craignaient la banqueroute; les classes éclairées, qui étaient dévouées à tous les opposans; et enfin la multitude, qui se range toujours à la suite des agitateurs. Les troubles furent très graves, et l'autorité eut beaucoup de peine à les réprimer.

Le parlement,séant à Troyes, s'assemblait chaque jour, et appelait les causes. Ni avocats ni procureurs ne paraissaient, et la justice était suspendue, comme il était arrivé tant de fois dans le courant du siècle. Cependant les magistrats se lassaient de leur exil, et M. de Brienne était sans argent. Il soutenait avec assurance qu'il n'en manquait pas, et tranquillisait la cour inquiète sur ce seul objet; mais il n'en avait plus, et, incapable de terminer les difficultés par une résolution énergique, il négociait avec quelques membres du parlement. Ses conditions étaient un emprunt de 440 millions, réparti sur quatre années, à l'expiration desquelles les états-généraux seraient convoqués. A ce prix, Brienne renonçait aux deux impôts, sujet de tant de discordes. Assuré de quelques membres, il crut l'être de la compagnie entière, et le parlement fut rappelé le 10 septembre.

Une séance royale eut lieu le 20 du même mois. Le roi vin en personne présenter l'édit portant la création de l'emprunt successif, et la convocation des états-généraux dans cinq ans. On ne s'était point expliqué sur la nature de cette séance, et on ne

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