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encore. C'était dans le club Breton 1 qu'il s'agitait avec le plus de véhémence. Une conviction sincère était le mobile du plus grand nombre de ses membres; des prétentions personnelles commençaient néanmoins à s'y montrer, et déjà les mouvemens de l'intérêt individuel succédaient aux premiers élans du patriotisme. Barnave, jeune avocat de Grenoble, doué d'un esprit clair, facile, et possédant au plus haut degré le talent de bien dire, formait avec les deux Lameth un triumvirat qui intéressait par sa jeunesse, et qui bientôt influa par son activité et ses talens. Duport, ce jeune conseiller au parlement, qu'on a déjà vu figurer, faisait partie de leur association. On disait alors que Duport pensait tout ce qu'il fallait faire, que Barnave le disait, et que les Lameth l'exécutaient. Cependant ces jeunes députés étaient amis entre eux, sans être encore ennemis prononcés de personne.

Le plus audacieux des chefs populaires, celui qui, toujours en avant, ouvrait les délibérations les plus hardies, était Mirabeau. Les absurdes institutions de la vieille monarchie avaient blessé des esprits justes et indigné des cœurs droits; mais il n'était pas possible qu'elles n'eussent froissé quelque ame ardente et irrité de grandes passions. Cette ame fut celle de Mirabeau, qui, rencontrant dès

1. Ce club s'était formé dans les derniers jours de juin. Il s'appela plus tard Société des amis de la Constitution.

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sa naissance tous les despotismes, celui de son père, du gouvernement et des tribunaux, employa sa jeunesse à les combattre et à les haïr. Il était né sous le soleil de la Provence, et issu d'une famille noble. De bonne heure il s'était fait connaître par ses désordres, ses querelles et une éloquence emportée. Ses voyages, ses observations, ses immenses lectures, lui avaient tout appris, et il avait tout retenu. Mais outré, bizarre, sophiste même quand il n'était pas soutenu par la passion, il devenait tout autre par elle. Promptement excité par la tribune et la présence de ses contradicteurs, son esprit s'enflammait d'abord ses premières vues étaient confuses, ses paroles entrecoupées, ses chairs palpitantes, mais bientôt venait la lumière; alors son esprit faisait en un instant le travail des années; et à la tribune même, tout était pour lui découverte, expression vive et soudaine. Contrarié de nouveau, il revenait plus pressant et plus clair, et présentait la vérité en images frappantes ou terribles. Les circonstances étaient-elles difficiles, les esprits fatigués d'une longue discussion ou intimidés par le danger, un cri, un mot décisif s'échappait de sa bouche, sa tête se montrait effrayante de laideur et de génie, et l'assemblée éclairée ou raffermie rendait des lois, ou prenait des résolutions magnanimes.

Fier de ses hautes qualités, s'égayant de ses vices,

tour à tour altier ou souple, il séduisait les uns par ses flatteries, intimidait les autres par ses sarcasmes, et les conduisait tous à sa suite par une singulière puissance d'entraînement. Son parti était partout, dans le peuple, dans l'assemblée, dans la cour même, dans tous ceux enfin auxquels il s'adressait dans le moment. Se mêlant familièrement avec les hommes, juste quand il fallait l'être, il avait applaudi au talent naissant de Barnave, quoiqu'il n'aimât pas ses jeunes amis; il appréciait l'esprit profond de Sieyes, et caressait son humeur sauvage; il redoutait dans Lafayette une vie trop pure; il détestait dans Necker un rigorisme extrême, une raison orgueilleuse, et la prétention de gouverner une révolution qu'il savait lui appartenir. Il aimait peu le duc d'Orléans et son ambition incertaine; et comme on le verra bientôt, il n'eut jamais avec lui aucun intérêt commun. Seul ainsi avec son génie, il attaquait le despotisme qu'il avait juré de détruire. Cependant, s'il ne voulait pas les vanités de la monarchie, il voulait encore moins de l'ostracisme des républiques; mais n'étant pas assez vengé des grands et du pouvoir, il continuait de détruire. D'ailleurs, dévoré de besoins, mécontent du présent, il s'avançait vers un avenir inconnu, faisant tout supposer de ses talens, de son ambition, de ses vices, du mauvais état de sa fortune,

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