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placée au milieu d'une prison obscure et marécageuse, et au centre de laquelle était fixée une pesante chaîne.

La cour, aussi aveugle dans ses craintes qu'ellel'avait été dans sa confiance, redoutait si fort le peuple, qu'à chaque instant elle s'imaginait qu'une armée parisienne marchait sur Versailles. Le comte d'Artois, la famille de Polignac, si chère à la reine, quittèrent alors la France, et furent les premiers émigrés. Bailly vint rassurer le roi, et l'engagea au voyage de Paris, qui fut résolu malgré la résistance de la reine et de la cour.

Le roi se disposa à partir. Deux cents députés furent chargés de l'accompagner. La reine lui fit ses adieux avec une profonde douleur. Les gardes du corps l'escortèrent jusqu'à Sèvres, où ils s'arrêtèrent pour l'attendre. Bailly, à la tête de la municipalité, le reçut aux portes de Paris, et lui présenta les clés, offertes jadis à Henri IV. « Ce bon roi, lui dit Bailly, avait conquis son peuple; c'est aujourd'hui le peuple qui a reconquis son roi. » La nation, législatrice à Versailles, était armée à Paris. Louis XVI, en entrant, se vit entouré d'une multitude silencieuse et enrégimentée. Il arriva à l'Hôtelde-Ville', en passant sous une voûte d'épées croisées sur sa tête en signe d'honneur. Son discours

1. 17 juillet.

fut simple et touchant. Le peuple, qui ne pouvait plus se contenir, éclata enfin, et prodigua au roi ses applaudissemens accoutumés. Ces acclamations soulagèrent un peu le cœur du prince; il ne put néanmoins dissimuler un mouvement de joie en apercevant les gardes du corps placés sur les hauteurs de Sèvres; et à son retour la reine, se jetant à son cou, l'embrassa comme si elle avait craint de ne plus le revoir.

Louis XVI, pour satisfaire en entier le vœu public, ordonna le retour de Necker et le renvoi des nouveaux ministres. M. de Liancourt, ami du roi, et son conseiller si utile, fut élu président de l'assemblée. Les députés nobles, qui, tout en assistant aux délibérations, refusaient encore d'y prendre part, cédèrent enfin, et donnèrent leur vote. Ainsi s'acheva la confusion des ordres. Dès cet instant on pouvait considérer la révolution comme accomplie. La nation, maîtresse du pouvoir législatif par l'assemblée, de la force publique par elle-même, pouvait désormais réaliser tout ce qui était utile à ses intérêts. C'est en refusant l'égalité de l'impôt qu'on avait rendu les états-généraux nécessaires; c'est en refusant un juste partage d'autorité dans ces états qu'on y avait perdu toute influence; c'est enfin en voulant recouvrer cette influence qu'on avait soulevé Paris, et provoqué la nation tout entière à s'emparer de la force publique.

CHAPITRE III

TRAVAUX DE LA MUNICIPALITÉ DE PARIS.-LAFAYETLE COMMANDANT DE LA GARDE NATIONALE; SON CARACTère et son rôLE DANS LA RÉVOLUTION.

MASSACRE DE FOULON ET DE BERTHIER. RETOUR DE NECKER.-SITUATION ET DIVISION DES PARTIS ET DE LEURS CHEFS. MIRABEAU; SON CARACTÈRE, SON PROJET ET SON GÉNIE.-LES BRIGANDS.-TROUBLES DANS LES PROVINCES ET LES CAMPAGNES.-NUIT DU 4 AOUT.-ABOLITION DES DROITS FÉODAUX ET DE TOUS LES PRIVILÉGES.-DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME. DISCUSSION SUR LA CONSTITUTION ET SUR LE veto.RASSEMBLEMENT TUMULTUEUX AU PALAIS-ROYAL.

AGITATION A PARIS

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Cependant tout s'agitait dans le sein de la capitale, où une nouvelle autorité venait de s'établir. Le même mouvement qui avait porté les électeurs à se mettre en action, poussait toutes les classes à en faire autant. L'assemblée avait été imitée par l'Hôtel-de-Ville, l'Hôtel-de-Ville par les districts, et les districts par toutes les corporations. Tailleurs, cordonniers, boulangers, domestiques, réunis au Louvre, à la place Louis XV, aux Champs-Élysées, délibéraient en forme, malgré les

défenses réitérées de la municipalité. Au milieu de ces mouvemens contraires, l'Hôtel-de-Ville, combattu par les districts, inquiété par le Palais-Royal, était entouré d'obstacles, et pouvait à peine suffire aux soins de son immense administration. Il réunissait à lui seul l'autorité civile, judiciaire et militaire. Le quartier-général de la milice y était fixé. Les juges, dans le premier moment, incertains sur leurs attributions, lui adressaient les accusés. Il avait même la puissance législative, car il était chargé de se faire une constitution. Bailly avait pour cet objet demandé à chaque district deux commissaires qui, sous le nom de représentans de la commune, devaient en régler la constitution. Pour suffire à tant de soins, les électeurs s'étaient partagés en divers comités : l'un, nommé comité des recherches, s'occupait de la police; l'autre, nommé comité des subsistances, s'occupait des approvisionnemens, tâche la plus difficile et la plus dangereuse de toutes. Bailly fut obligé de s'en occuper jour et nuit. Il fallait opérer des achats continuels de blé, le faire moudre ensuite, et puis le porter à Paris à travers les campagnes affamées. Les convois étaient souvent arrêtés, et on avait besoin de détachemens nombreux pour empêcher les pillages sur la route et dans les marchés. Quoique l'état vendît les blés à perte, afin que les boulangers pussent rabaisser le prix du pain, la multitude

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