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événemens. Elle se composait de vingt-quatre membres, et allait se mettre en marche, lorsque Mirabeau, plus véhément que jamais, l'arrête : « Dites <«< au roi, s'écrie-t-il, dites-lui bien què les hordes «< étrangères dont nous sommes investis ont reçu << hier la visite des princes, des princesses, des fa« voris, des favorites, et leurs caresses, et leurs << exhortations, et leurs présens. Dites-lui que toute << la nuit ces satellites étrangers, gorgés d'or et de « vin, ont prédit, dans leurs chants impies, l'asser<< vissement de la France, et que leurs vœux bru«taux invoquaient la destruction de l'assemblée << nationale. Dites-lui que dans son palais même, << les courtisans ont mêlé leurs danses au son de <«< cette musique barbare, et que telle fut l'avant« scène de la Saint-Barthélemi!

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Dites-lui que ce Henri dont l'univers bénit la << mémoire, celui de ses ayeux qu'il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris « révolté, qu'il assiégeait en personne; et que ses «< conseillers féroces font rebrousser les farines que << le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé.»

La députation allait se rendre auprès du roi, lorsqu'on apprend qu'il arrive de son propre mouvement, sans gardes et sans escorte. Des applaudissemens retentissent : « Attendez, reprend Mirabeau << avec gravité, que le roi nous ait fait connaître ses << bonnes dispositions. Qu'un morne respect soit le

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premier accueil fait au monarque dans ce mo<< ment de douleur. Le silence des peuples est la « leçon des rois ! »

Louis XVI se présente alors accompagné de ses deux frères. Son discours simple et touchant excite le plus vif enthousiasme. Il rassure l'assemblée , qu'il nomme pour la première fois assemblée nationale; se plaint avec douceur des méfiances qu'on a conçues : « Vous avez craint, leur dit-il; eh bien! c'est moi qui me fie à vous. » Ces mots sont couverts d'applaudissemens. Aussitôt les députés se lèvent, entourent le monarque, et le reconduisent à pied jusqu'au château. La foule se presse autour de lui, les larmes coulent de tous les yeux, et il peut à peine s'ouvrir un passage à travers ce nombreux cortége. La reine, en ce moment, placée avec la cour sur un balcon, contemplait de loin cette scène touchante. Son fils était dans ses bras; sa fille, debout à ses côtés, jouait naïvement avec les cheveux de son frère. La princesse, vivement émue, semblait se complaire dans cet amour des Français. Hélas! combien de fois un attendrissement réciproque n'a-t-il pas réconcilié les coeurs pendant ces funestes discordes! Pour un instant tout semblait oublié; mais le lendemain, le jour même, la cour était rendue à son orgueil, le peuple à ses méfiances, et l'implacable haine recommençait son

cours.

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La paix était faite avec l'assemblée, mais il restait à la faire avec Paris. L'assemblée envoya d'abord une députation à l'Hôtel-de-Ville, pour porter la nouvelle de l'heureuse réconciliation opérée avec le roi. Bailly, Lafayette, Lally-Tolendal, étaient du nombre des envoyés. Leur présence répandit la plus vive allégresse. Le discours de Lally fit naître des transports si vifs, qu'on le porta en triomphe à une fenêtre de l'Hôtel-de-Ville pour le montrer au peuple. Une couronne de fleurs fut placée sur sa tête, et il reçut ces hommages vis-à-vis la place même où avait expiré son père avec un bâillon sur la bouche. La mort de l'infortuné Flesselles, chef de la municipalité, et le refus du duc d'Aumont d'accepter le commandement de la milice bourgeoise, laissaient un prévôt et un commandantgénéral à nommer. Bailly fut. désigné, et au milieu des plus vives acclamations il fut nommé successeur de Flesselles, sous le titre de maire de Paris. La couronne qui avait été sur la tête de Lally passa sur celle du nouveau maire; il voulut l'en arracher, mais l'archevêque de Paris l'y retint malgré lui. Le vertueux vieillard laissa alors échapper des larmes, et il se résigna à ses nouvelles fonctions. Digne représentant d'une grande assemblée en présence de la majesté du trône, il était moins capable de résister aux orages d'une commune, où la multitude luttait tumultueusement contre ses magis

trats. Faisant néanmoins abnégation de lui-même, il allait se livrer au soin si difficile des subsistances, et nourrir un peuple qui devait l'en payer par tant d'ingratitude. Il restait à nommer un commandant de la milice. Il y avait dans la salle un buste envoyé par l'Amérique affranchie à la ville de Paris. Moreau de Saint-Méry le montra de la main, tous les yeux s'y portèrent, c'était celui du marquis de Lafayette. Un cri général le proclama commandant.. . On vota aussitôt un Te Deum, et on se transporta en foule à Notre-Dame. Les nouveaux magistrats, l'archevêque de Paris, les électeurs, mêlés à des gardes-françaises, à des soldats de la milice, marchant sous le bras les uns des autres, se rendirent à l'antique cathédrale, dans une espèce d'ivresse. Sur la route, des enfans-trouvés tombèrent aux pieds de Bailly, qui avait beaucoup travaillé pour les hôpitaux; ils l'appelèrent leur père. Bailly les serra dans ses bras, en les nommant ses enfans. On arriva à l'église, on célébra la cérémonie, et chacun se répandit ensuite dans la cité, où une joie délirante avait succédé à la terreur de la veille. Dans ce moment, le peuple venait visiter l'antre, si long-temps redouté, dont l'entrée était maintenant ouverte. On parcourait la Bastille avec une avide curiosité et une sorte de terreur. On y cherchait des instrumens de supplice, des cachots profonds. On y venait voir surtout une énorme pierre

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