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tatées, doivent être répétées plufieurs fois & foumifes à des variétés dont le réfultat ne fe démente pas. Les dangers de l'erreur font preffants & en grand nombre. Il eft difficile de fixer la crédibilité des obfervations, l'Auteur en donne plufieurs moïens; les fyftémateurs font très-fufpects, il eft bon de fe défier de leurs yeux comme de leurs raisonnemens. "En général on pourra toûjours fe confier à un obfervateur qui paroît aimer plus la vérité que le fyftême; & qui joint aux qualités du cœur celles que j'ai exigées pour obferver utilement. Tels font les Bonnet, les Trembley, les de Haller, les Duhamel, les de Reaumur. Tels feront tous les amis du vrai 99°

Pour infpirer une jufte défiance des obfervations des plus célebres Phyficiens, Mr. Sennebier cite l'exemple de la génération des abeilles. Il fait voir que malgré les affertions de nos habiles obfervateurs il n'y a rien encore de décidé fur ce fujet. Cet endroit nous a paru mériter d'être ici tranfcrit.

"C'eft un événement bien fingulier que de voir un fait commun étudié depuis longtems avec exactitude, par de célebres obfervatcurs, & dont le réfultat des obfervations qui paroiffent bien faites, eft abfolument oppofé. Tel eft par exemple celui que l'hiftoire des abeilles fournit à préfent; s'il n'inftruit pas fur la nuture du phénomene il prouve au moins combien l'examen eft toûjours indifpenfable dans tous les cas, & combien il eft dangereux de s'emparer

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d'une idée avant d'avoir la démonftration de fa certitude. De Reaumur avoit établi par fes obfervations, que les abeilles font de trois genres; que la Reine abeille pond des œufs particuliers qui contiennent les embryons roïaux ou féminins, que la Reine abeille dépofe elle-même ces œufs particuliers qui contiennent les embryons féminins dans des cellules qui leur font deftinées par des abeilles ouvrieres; enfin que les faux-bourdons fécondent la Reine abeille 39°

"Mais Mr. Schirach avance avec des preuves, que tout ver d'abeille ouvriere qui n'a que trois jours peut devenir une Reine; que toutes les abeilles ouvrieres font du genre féminin; que leur fexe fe développe au moïen de certaines circonftances, telles qu'une cellule plus vafte, une chaleur plus grande, un féjour plus long dans le gâteau, & une nourriture particuliere; que les œufs qui produisent la Reine abeille, ne font pas différents de ceux qui produifent les abeilles ouvrieres; que les abeilles choififfent leur Reine parmi les vers qui ont trois jours, & que la Reine-mere ne dépofe pas ces œufs roïaux dans des cellules roïales deftinées à čet ufage. Enfin Mr. Hatorf afsûre que la Reine abeille n'eft pas fécondée par les fauxbourdons, & fes obfervations fur la Reine abeille ifolée font également folides (a),

(a) Voilà donc la vérification du fentiment de Virgile qu'on avoit regardé comme une erreur ridicule & réfutée par tous les principes de la bonne

ingénieufes & exactes. Il faut encore fafpendre fon jugement. Mr. Riem prétend avoir obfervé que la Reine abeille pond trois efpéces d'œufs différents indifféremment dans toutes les cellules; mais que les abeilles ouvrieres les diftinguent & portent les œufs Toïaux dans les cellules roïales; il prétend auffi avoir vu l'accouplement des faux-bourdons avec la Reine abeille, & il paroît être dans toutes ces obfervations un obfervateur intelligent. Auffi Mr. Bonnet a renvoïé la décifion de la caufe à la nature elle-même qui l'expliquera fans doute quelque jour par le miniftére de l'un ou de l'autre de ces ob fervateurs, ou par celui de quelques autres qui fauront imaginer de nouveaux procédés.,,

Dans le fecond volume on enfeigne la maniere de jouir de fes obfervations, d'en enrichir la Phyfique, de les faire fervir à expliquer & à relever les beautés de la nature. L'obfervateur doit être Peintre, il doit favoir donner aux objets qu'il décrit des couleurs vives & un fort intérêt. Les effets conduifent à la connoiffance des caufes; les caufes font liées entre-elles par des analogies

Phyfique. Nous méprifons les anciens, & nos obfervations , que nous étalons avec tant de fuffifance, nous ramenent vers eux :

İllum adeo placuse apibus mirabere morem,
Quòd nec concubitu indulgent, nec corpora fegnes
In Venerem folvunt, aut fatus nixibus edunt:
Verùm ipfa e foliis natos &. fuavibus herbis
Ore legunt ipfæ regem, parvofque Quirites
Sufficiunt. Georg. 4.

& des rapports qui marquent dans la nature des marches & des opérations uniformes, l'obfervateur doit les fuivre & les faifir. Peintre de la nature, il doit encore en être l'interpréte.

L'art d'observer eft le germe de toutes les Sciences. Mr. Sennebier le prouve par une énumération dont toutes les parties femontent à l'œil de l'obfervateur. La Métaphyfique, la Cofmologie, la Morale, la Phyfique &c., feroient encore à naître, fi les obfervateurs ne leur avoient donné l'être. La Religion eft fi étroitement unie à la na ture qu'il eft impoffible d'étudier celle-ci, fans être renvoïé à celle-là. Le Pere commun de ces deux grands objets les a unis par des liens indivifibles. La nature eft muette aux yeux de l'Athée; la Religion en vivifiant & animant la nature, dirige & éclaire l'obfervateur. "Ces grands traits font pour le Métaphyficien ce que font les montagnes pour le Géographe; elles lui fervent de fignaux pour rapporter fes mefures; mais en lui aidant à mesurer la terre, elles contribuent auffi à fa folidité

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Telle eft la marche & le fommaire de cet ouvrage eftimable. Mr. Sennebier écrit d'une maniere qui plaît & qui attache. Son ftile n'eft point affecté, mais aifé, mâle, énergiqué. Il voit bien & avec profondeur: fes jugemens font vrais & généralement fort fages, mais dans la multitude il y en a quelquesuns qu'on pourroit réformer. Parmi les obfervations qu'il donne comme bien sû

Tom. 2 pag. 264.

F

res & péremptoires, il y en a qui font mat choifies; & parmi les idées qu'il copie des autres, il y en a qu'il eût pû laiffer à leurs Auteurs fans jaloufie contre la gloire qui en revient c'eft ainfi qu'il attribue à la Phi lofophie des chofes qu'elle n'a jamais faites, & qu'il montre en fa faveur un enthousiafme qui ne paroît pas bien éclairé. "La lumiere de la Philofophie éclaire tout ce qu'elle approche; elle aide le Littérateur qui cherche dans un manufcrit poudreux la vraie leçon d'un paffage; elle fouléve la rouille d'une médaille pour déchiffrer fon empreinte; elle eft dans les atteliers des Artistes pour échauffer leur génie, & rendre leurs compofitions fublimes.,, Si Mr. Sennebier entend par la Philofophie l'amour de la fageffe; fon raifonnement eft jufte & très-étimologique, mais aujourd'hui les chofes font changées, il faut s'expliquer, ou l'on n'est point entendu. La Philofophie naiffante a pris fon nom de philos & de fophos.; mais auffi- bien qu'alphana, elle a bien changé fur la route.

Si Mr. Sennebier imite quelques fois le ton dominant de nos Littérateurs, il a bien des chofes qui ne font qu'à lui; fur-tout certaines idées d'une originalité un peu ou trée, p. ex. les mœurs d'Abraham & de Jacob , comparées avec celles des Iroquois. Ce parallele peut étonner de la part d'un Miniftre du St. Evangile (a): mais le refte

du

(a) Un Catholique plaifant me dit un jour que ces Meffieurs étoient Evangeliques, comme

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