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la terre pour perpétuer fa fécondité & fournir à nos befoins. La nature déploie à nos yeux fes richeffes auffi variées qu'inépuifables; elle eft toûjours prête à nous initier dans fes mystéres, lorfque nous la confultons avec circonfpection & que nous l'écoutons avec attention & faus prévention,,.

"Qui eft l'homme, lorfqu'il eft parvenu fur le fommet d'une très-haute montagne, qui ne fent pas tout-à-coup s'évanouir la fatigue telle qu'elle puiffe être, qu'il a reffentie pendant la route pénible qu'il a fallu gravir pour y arriver? Au spectacle magnifique qui fe préfente, il refte immobile; toutes fes facultés intellectuelles font fufpendues, & il ne fort de cet engourdiffement que par l'effet de l'enthousiasme qui nait de l'impreffion que le fublime fait toûjours fur les ames fenfibles; alors il réveille tous fes organes, développe toutes fes facultés ; & leur fervice eft toûjours au-deffous de fes défirs,,.

"L'homme foible molécule organifée (a), lorfque fufpendu, pour ainfi dire, entre le ciel & la terre, fur la pointe escarpée d'un rocher, il contemple une partie de l'Univers, l'homme, dis-je, fent alors toute

(a) L'Auteur profite à vûe d'œil par les leçons de Mr. Buffon; il va même bien plus loin que fon maître, qui n'a jamais dit que l'homme n'étoit qu'une molécule organifée. L'homme qui ne fe croit qu'une molécule organisée, eft bien mal organifé, puifqu'il n'a pas la tête bien faine.

l'importance & la dignité de fon état, & le néant de fon individu (a), il eft perfuadé que toutes les chofes qu'il découvre au loin & au-deffous de lui, font de fon domaine; il ne défire rien, parce qu'il reffent le plaifir de la domination & de la propriété : il voit l'orage fe former fous fes pieds, la foudre brifer les nues qui obfcurciffent & inondent les plaines, & y portent la fraïeur, la mort & la défolation, tandis qu'il jouit de la fé-> rénité d'une lumiere pure, & que les vents temperent l'ardeur des raions du Soleil qui prolonge fon cours pour augmenter la durée de fa jouiffance & de fa fatisfaction

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"C'eft fur les montagnes, que doivent habiter les Phyficiens, les Poëtes, les Peintres, les Muficiens, les Légiflateurs, enfin tous ceux dont les productions émanent du génie, & qui doivent exprimer fortement les chofes; ou du moins ils doivent les fréquenter fouvent, pour en rapporter le feu du génie, le germe des talents, & des connoif fances utiles 99.

(a) La grande importance, la rare dignité que celle d'une molécule organifée! & puis, le néant de l'individu avec la dignité de l'état, qui fait au moins un baragouin; car il eft évident que l'état n'est ici que la nature même de l'individu. C'eft ainfi que la creufe Philofophie du jour répand fes rêves & fon froid galimatias dans les chofes les plus propres à être faifies & fenties avec tranf port.

L'art d'obferver. Par Jean Sennebier, Miniftre du St. Evangile & Bibliothécaire de la République de Genéve. A Genéve chez Philibert 1775; fe trouve à Liége chez Orval Demazeau.

A Société des Sciences établie à Harlem

LA

avoit propofé pour prix quelle étoit la maniere de bien obferver; Mr. Sennebier obtint le premier acceffit, mais peu content de ce fuccès il a donné à cette matiere un développement qui complette aujourd'hui deux volumes in-8°. Il commence par détailler les qualités que doit avoir l'obfervateur, expofe enfuite les précautions qu'il faut prendre durant l'obfervation, & finit par le réfultat des obfervations dont il fixe la crédibilité par des regles pleines de jufteffe & de raifon. C'eft la matiere du premier volume.

L'Auteur donne d'abord une idée précife de l'objet qu'il traite, il montre la dif férence qu'il y a entre obferver & faire des expériences; les obfervations ne font point des expériences, elles en font plutôt le fruit & la conféquence. "L'obfervation eft ce regard attentif & réfléchi que l'ame porte par le moien des fens fur les objets de la nature, tels qu'ils font dans l'Univers, afin d'acquérir une connoiffance exacte de leurs qualités, de leurs caufes ou de leurs effets.

L'expérience eft cette voie d'étudier les objets de la nature par les épreuves qu'on fait fubir à ceux qu'on veut pénétrer, que l'art prépare dans ce but, & dont le résultat inftruit l'ame en agiffant fur elle par le moïen des fens.

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L'obfervateur eft un homme qui regarde la nature comme un livre, dont il doit chercher à lire rigoureufement les caracteres fans penfer à imaginer la fignification qu'ils doivent avoir il fe préfente à la nature avec fes fens, il l'examine par leur moïen comme elle s'offre à lui, il fe prête à toutes les fenfations que les objets extérieurs font naître dans fon ame: c'eft un amant qui contemple avec avidité l'objet de fon amour, mais qui croiroit lui faire injure, s'il changeoit ce qu'il admire. Celui qui fait des expériences force la nature à quitter fon aspect ordinaire, il en crée une nouvelle par les nouveaux phénoménes qu'il produit, il la met à la torture pour lui arracher fon fecret c'eft un curieux qui cherche à faire parler quelqu'un fur un fujet qu'il veut taire. L'obfervateur voit les effets de la nature livrée à elle-même. Celui qui fait des expériences voit le réfultat de fes combinaifons. Celui qui obferve, s'il obferve bien, appercevra toûjours des phénomenes invariables, parce que la nature eft conftante dans fes productions. Celui qui fait des expériences prépare le fujet de fes obfervations, qui font auffi variables que les combinaisons qu'il peut faire. L'obfervation découvre la

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vérité par des moiens connus; l'expérience la cherche par des moïens dont elle ignore fouvent l'efficace. L'obfervation fait connoître les propriétés des corps; l'expérience s'en afsûre & mefure leurs effets. L'obfervation montre les effets tels qu'ils font; l'expérience cherche comme ils font ainfi. L'obfervation offre tous les phénomenes de la nature telle qu'elle eft, pour les fujets divers des méditations qu'elle propofe, le monde fenfible tel qu'il eft; voilà fes bornes; au-lieu que l'expérience peut fe procurer mille fpectacles variés, fes bornes font celles que lui prefcrit le nombre immenfe de toutes les combinaifons, qu'on fera avec tous les êtres de l'Univers dont le Philofophe peut difpofer,,.

L'Obfervateur doit avoir du génie, des connoiffances afforties au genre d'objet dont il s'eft fait une étude particuliere. S'il ne doit pas avoir un efprit totalement géométrique, tel que celui d'un grand nombre de Savans modernes, il ne doit pas abfolument ignorer les Mathématiques. Il doit favoir douter, & ne pas confondre des vraifemblances quelquefois affez legéres avec des démonftrations, erreur fi commune parmi les Savans même du premier ordre.

En apportant ces bonnes difpofitions, il y a encore bien des précautions à prendre pour afsûrer le fuccès des obfervations. Il faut de la méthode & de l'ordre, des fens intégres & sûrs, de bons inftrumens, de l'adreffe, de la patience, une grande attention. Les obfervations pour être bien conf

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