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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

1789

LES CONSTITUANTS.

LIVRE DIXIÈME.

I

Il semble que la Providence, qui a imposé la dure loi du travail aux peuples et aux individus, comme pour exercer leur force et accroître le prix de leurs conquêtes, se plaise à accumuler devant les pas des législateurs et des novateurs tous les obstacles et tous les périls, pour leur rendre impossible, si elle n'était pas divine, l'œuvre de vérité et de justice qu'elle les presse pourtant d'accomplir. On peut affirmer, en lisant comme nous le faisons dans le cœur des principaux acteurs de la rénovation de 1789, qu'à l'exception des hommes dont la foi allait jusqu'au fanatisme et

LES CONSTITUANTS. 3.

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jusqu'à l'extrémité des hasards, tels que Pétion, Danton, Robespierre, les chefs de la faction orléaniste, les Jacobins, tous les autres, depuis le roi jusqu'à Necker et à Mirabeau, regardaient déjà avec regret derrière eux, avec terreur devant eux, et que s'il leur eût été donné de revenir en arrière ou d'arrêter le mouvement qu'ils avaient imprimé et qui les emportait eux-mêmes, ils n'auraient pas hésité à regagner le bord et à renoncer à la régénération par l'effroi et par l'excès du bouleversement. Les factieux, en cinq mois, avaient pris la place des philosophes on ne cherchait plus à se convaincre, mais à se détruire.

Le roi, devenu le captif et le jouet du peuple de Paris, ne servait plus qu'à décorer, sous les vains noms de monarchie et de gouvernement, les caprices et les violences du régime insurrectionnel, et à porter la responsabilité du malheur public. Ses ministres, traînés à sa suite à Paris, n'avaient pas autant d'autorité que la dernière des sections du dernier des districts de la capitale. La popularité de M. Necker s'était évanouie depuis qu'il avait donné au peuple tout ce qu'il avait à lui donner, c'est-à-dire une révolu. tion. Ce ministre n'avait su ni la prévoir ni la contenir. Après avoir livré le gouvernement aux notables, la couronne aux états généraux, la monarchie à l'Assemblée nationale, enfin le roi lui-même à l'insurrection et à M. de la Fayette le 6 octobre, il ne lui restait plus qu'à assister à sa propre impuissance et à recueillir cette reconnaissance des factions. qui se change si vite en dérision après leur victoire. Son nom, dans le conseil, ne rappelait au roi que les dates. successives de sa déchéance, les degrés dans sa chute, tous marqués par la présence, par l'ascendant et par la déception de ce ministre, fatal à la monarchie. Ce nom de Necker ne rappelait plus au peuple lui-même que le simulacre de l'autorité royale; il n'était plus propre qu'à entretenir sa

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colère quand il n'excitait pas son dédain; il n'était plus que le caissier de l'Assemblée nationale, responsable de la détresse du trésor, de la disette et de la banqueroute. Il cherchait en vain à se déguiser à lui-même son impuissance, et à rejeter sur ses collègues la défaveur publique. « Je ne conçois pas, » disait-il à M. de Montmorin, « comment M. de Saint-Priest ne se retire pas du ministère, << au point d'impopularité où il est descendu. Mais il me semble, lui répondit amèrement M. de Montmorin, « que vous en avez bien vous-même votre bonne part. Sans rôle politique désormais, imposé au roi, odieux aux royalistes, dédaigné des révolutionnaires, oublié du peuple, importun seulement aux ambitieux de l'assemblée qui désiraient sa place, le ministère tout entier était anéanti en lui.

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II

L'Assemblée n'était pas moins impuissante. Applaudie quand elle avait voulu tout usurper, populaire et soutenue par une sédition unanime quand elle avait paru menacée, violée à Versailles par la populace, ramenée en triomphe comme une dépouille aussi de la monarchie à Paris, à la suite du roi, elle était désormais captive de ses libérateurs. Au lieu de délibérer dans le voisinage de quelques régiments rassemblés par des ministres, elle allait délibérer au milieu d'une séduction permanente ou d'une armée pópulaire, qui lui dicteraient leurs volontés. La représentation de la France ne serait plus que la représentation de la faction dominante à Paris.

Paris lui-même ne se gouvernait plus. En attendant qu'une constitution nouvelle eût défini le pouvoir muni'cipal, le maire Bailly, les représentants des districts, les orateurs des sections, le commandant général et les bataillons de la garde civique n'étaient que des autorités insurrectionnelles, précaires, mobiles, anarchiques, nées du mouvement national du 14 juillet, et qui ne parlaient de la loi qu'au nom de l'insurrection. Une insurrection plus profonde, qui avait soulevé la garde nationale avec la Fayette jusqu'à Versailles, le 5 octobre, pouvait à chaque instant demander leur titre à ces municipaux, et le déchirer dans leur main. Le seul titre était l'épée de la Fayette, et on vient de voir comment elle avait arrêté le peuple sur la place de Grève, et couvert le roi et l'Assemblée à Versailles! A cette anarchie s'ajoutait la disette des subsistances, qui est à elle seule une éternelle sédition qui ferme l'oreille du peuple à toute sagesse, et qui donne à toute heure tous les citoyens pour complices à toutes les factions.

Ainsi, plus de roi, si ce n'est pour servir de provocation aux ennemis de la royauté; plus de ministres, si ce n'est pour servir de jouet à une assemblée; plus d'assemblée, si ce n'est pour servir d'instrument à la turbulence d'une capitale affamée; plus d'armée, si ce n'est pour exciter l'embauchage militaire et les conflits perpétuels entre les soldats du roi et les soldats citoyens du peuple; plus de pouvoir municipal, si ce n'est pour sanctionner les soulèvements mobiles et souvent sanguinaires des villes; plus de constitution entre celle qui venait de s'écrouler et celle qui n'était pas née encore, et par conséquent plus de loi, et ce qui est plus sinistre encore, plus de fortune publique, plus de travail, plus de pain. Tel était l'état de Paris et de la France, le terrible interrègne de toute chose, excepté de

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