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nous tirer du sommeil léthargique dans lequel nous sommes encore plongés; ce serait hâter l'heureux moment où nos représentations respectueuses, en éclairant le Roi sur ses véritables intérêts, lui feront aussi connaître toute l'étendue de nos droits; ce serait donc rendre un service éminent à la chose publique. Mes réflexions, si elles sont justes, seront donc utiles.

Mais puis-je toucher cette corde sans yioler le respect dû à une Ordonnance de réformation, qui paraît être dans ce moment la loi fondamentale de l'Etat?

C'est d'abord une grande question que celle de savoir si cette Ordonnance de réformation est réellement devenue la loi fondamentale de l'Etat.

Je ne recherche pas encore si, en principe, il peut exister de loi fondamentale de l'Etat là où il n'y a pas de consentement légal de la nation: je n'insiste pas sur ce que le serment qu'on a fait prêter aux membres de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés des départemens, était un serment purement col lectif; sur ce que sa formule était qu'on jurait fidélité aux lois du royaume, sans autre désignation; sur ce qu'enfin ce serment, au dire de quelques personnes, n'aurait été prêté que par une partie de la Chambre des Députés des départemens.

Je m'en tiens aux lumières que me fournit le discours prononcé par le président de cette Chambre. J'y lis « que la Chambre a l'intime confiance que l'assenti«ment des Français donnera à cette Charte tutélaire

un caractère tout à fait national. Je trouve en

suite dans la réponse du Roi l'assurance « qu'il existe <<< entre lui et la Chambre, au sujet de la Charte cons«titutionnelle, un concours parfait de volonté. » Jo conclus de ce rapprochement que notre Ordonnance de réformation ne sera Charte constitutionnelle, n'aura enfin un caractère national que lorsqu'elle aura été sanctionnée par l'assentiment des Français; et, si je ne me trompe, j'arrive à la conséquence forcée qu'elle n'est pas encore loi fondamentale de l'Etat; qu'ainsi on peut en discuter le mérite, sans être taxé de té

mérité.

Il faut l'avouer cependant, le Roi vient de faire publier une Ordonnance où il est dit que « d'après les actes unanimes d'adhésion de la Chambre des « Pairs, et ceux de la Chambre des Députés des dé❝partemens, la Charte constitutionnelle sera envoyée « de suite à toutes les autorités du royaume pour être « par elles enregistrée et mise en exécution; » et jusqu'à la manifestation non équivoque d'un vou contraire, on ne saurait se le dissimuler, le silence de ces deux corps autorise à croire qu'en effet c'est là une véritable Charte constitutionnelle, une loi fondamentale de l'Etat.

Par conséquent, tant qu'elle restera ce qu'elle paraît être maintenant, il ne sera pas permis de la critiquer, soit dans sa forme, soit dans sa substance, si, semblable aux lois révélées, une Charte constitutionnelle est un de ces monumens devant lesquels nous devons humilier notre faible et orgueilleuse raison.

Mais quand il s'agit de lois révélées, c'est de l'Eter

nel lui-même que nous sommes censés les tenir; et quand il est question de Charte constitutionnelle, la main des hommes s'y fait aisément reconnaître. Mais les unes sont immuables comme leurs auteurs, et les autres portent avec elles un principe certain d'altération. Sans aller plus loin, il est donc permis de soutenir qu'une Charte constitutionnelle proprement dite peut être, comme toute autre loi, l'objet d'un examen en même temps décent et sévère.

Au surplus, lorsqu'une Charte constitutionnelle accorde aux citoyens le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, elle leur laisse par cela même la faculté de publier et de faire imprimer leurs opinions raisonnées sur la forme du gouvernement auquel ils sont soumis. Ne pas limiter celles de leurs opinions qu'il leur sera permis d'émettre, c'est les autoriser à les émettre toutes sans exception. Or, cette disposition est consignée textuellement dans l'article 8 de l'Ordonnance de réformation, qu'on appelle notre Charte constitutionnelle; d'après cela, comment s'arrêter à l'idée que sous l'empire d'une pareille Charte, il est défendu de faire passer les principes sur lesquels elle repose par le creuset salutaire de l'opinion publique ?

A la vérité on lit dans le même article qu'on n'aura ce droit qu'en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté ; mais il est évident que les seuls abus de la liberté de la presse que ces lois puissent réprimer, ce sont ceux attachés à des écrits dans lesquels on aurait répandu à pleines mains

le poison de la calomnie, dans lesquels on aurait fait l'apologie de quelques crimes, dans lesquels enfin on aurait arboré l'étendard de la révolte. Les uns et les autres n'ont pas été plutôt publiés, qu'ils doivent faire encourir à leur auteur une peine plus ou moins sévère, parce que calomnier ses concitoyens, préconiser l'inceste et l'assassinat, prêcher la désobéissance aux lois, c'est attaquer la société dans ses premiers fondemens, c'est fouler aux pieds la loi naturelle et le droit des gens; et que l'abus commence là où de pareilles barrières sont franchies.

Il doit en être tout autrement quand on se borne à critiquer des institutions de droit civil ou politique, et qu'on le fait dans les termes mesurés, en protestant de s'y soumettre jusqu'au moment où elles auront été modifiées. Dès lors il n'y a plus d'abus ; car la sûreté de la société n'est point compromise. Dès lors rien ne doit mettre des entraves à la liberté de la presse; car dans le système contraire, on irait bientôt jusqu'à dire qu'un Juif, un Calviniste ou un Luthérien ne peuvent pas écrire en faveur de leur religion; qu'un historien ne peut pas faire l'éloge du gouvernement de la République Romaine, ou de celui des Etats-Unis; qu'un publiciste enfin ne peut pas préférer à la loi Salique celle qui a placé une Elisabeth sur le trône, parce que ce sont là autant de satires indirectes, soit de la religion Catholique, soit de la charte constitutionnelle. Faire voir les conséquences d'un pareil système, c'est l'avoir suffisamment décrié.

Voici d'ailleurs qui me semble tout à fait concluant;

le droit de pétition a été consacré par l'article 53 de l'Ordonnance de réformation, et il l'a été d'une manière générale: il en résulte donc nécessairement qu'on peut l'exercer pour demander la révision de cette Ordonnance de réformation, de la même manière qu'on serait autorisé à l'exercer dans son intérêt privé; et cela, au reste, sur le fondement très-juste que nos intérêts privés sont presque toujours inséparables de l'intérêt public.

D'un autre côté, il résulte de ce qui a été dit, soit par la Chambre des Députés des départemens, soit par le Roi lui-même, que l'Ordonnance de réformation peut être effectivement soumise à une révision plus ou moins générale, plus ou moins complète. Or, maintenant, je me demande comment ce qui pourrait être la matière d'une pétition adressée à l'une des deux Chambres, ne pourrait pas être aussi l'objet d'un appel modéré, fait en même temps à la nation et à ses représentans, au commettant et à son mandataire ?

ᏚᎥ par hasard ce n'était pas assez de tant et de si puissantes raisons, il serait facile de les étayer de l'autorité de l'exemple. En Angleterre, le gouvernement veille, comme on peut le faire en France, à ce que des mains téméraires ne livrent pas au mépris public les bases sur lesquelles repose le pacte social. En Angleterre on ne s'accoutumerait pas mieux qu'en France à voir régulariser l'anarchie; et cependant, soit dans les journaux, soit dans les écrits particuliers, soit à la tribune des deux chambres, on s'y élève presque tous les jours contre le mode actuel de la re

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