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REFLEXIONS

D'UN

ROYALISTE CONSTITUTIONNEL

SUR L'ORDONNANCE DE RÉFORMATION DU 4 JUIN 1814.

J'AI assisté à la séance royale du 4 juin; j'ai écouté

attentivement la lecture du préambule et du texte de l'Ordonnance de réformation qui doit, dit-on, nous tenir lieu de constitution; j'ai entendu monsieur le chancelier développer avec complaisance les principes tutélaires sur lesquels cette Ordonnance lui paraît reposer; j'ai vu enfin tous les membres de la Chambre des Pairs, et de la Chambre des Députés des départemens, s'incliner devant l'Arche Sainte, et craindre même de la fixer... Cependant je ne suis pas encore converti : je persiste à croire (1) qu'il aurait été plus convenable de nous donner une constitution solemnellement discutée, solemnellement acceptée par les représentans de la nation. Je vais

(1) Réflexions d'un Royaliste constitutionnel, § 3.

plus loin, et je trouve que cette Ordonnance de réformation, fût-elle une constitution proprement dite, ne renferme pas, à beaucoup près, toutes les garanties que nous avons droit de réclamer.

Mais puis-je et dois-je parler?... Maintenant que notre existence politique paraît irrévocablement fixée; maintenant que tous les grands corps de l'Etat ont donné l'exemple d'une soumission respectueuse, et qu'ils ont fait éclater à l'envi leurs transports de reconnaissance, m'appartient-il, à moi simple citoyen, d'interrompre ce concert presque unanime d'acclamations, et de leur prouver qu'ils ont plutôt de douloureux regrets exercer? Ne m'accusera-t-on pas d'une témérité punissable? Ne dira-t-on pas tout au moins que mes réflexions sont trop tardives, et qu'elles sont par conséquent sans utilité ?

Telles sont les deux questions que je me suis faites. Voyons donc, avant tout, s'il est utile que je prenne une seconde fois la plume; voyons également si ma franchise peut avoir quelque danger.

que

S'agit-il d'abord de l'utilité qu'elle peut avoir? Je jette les yeux sur le préambule même de l'Ordonnance de réformation; j'y remarque « que bien l'autorité ❝toute entière résidât, en France, dans la personne du «Roi, l'exercice en avait été modifié suivant la diffé❝rence des temps; et que c'était ainsi que les communes ❝avaient dû leur affranchissement à Louis-le-Gros. » J'y remarque, plus loin, « que notre Roi actuel, appré❝ciant les effets des progrès toujours croissans des lu

«mières, a reconnu que le vœu de tous les Français « pour une Charte constitutionnelle, était l'expression « d'un droit réel, et qu'en conséquence il consent à ré«tablir, avec quelques modifications, soit l'ancienne « Pairie, soit les anciennes Assemblées du Champ-de<< Mars. »

Or, en admettant pour un instant le principe que, de fait et de droit, l'autorité toute entière résidait autrefois en France, dans la personne du Roi, et que les mêmes hommes qui avaient librement élevé Pharamond sur un Pavois, s'étaient reconnus ses esclaves; grâce à la munificence de Louis-le-Gros, nous avons recouvré depuis plusieurs siècles le droit de changer de domicile, de nous marier, de commercer, de disposer de nos biens à notre grẻ; grâce à la générosité de Louis-le-Désiré, nous redevenons ce que nous étions autrefois ; nous né serons plus régis désormais que par les lois que noš Représentans auront consenties; et ces importantes concessions qui nous ont été faites par deux de nos Rois, nous les devons, soit à la différence des temps, soit au progrès toujours croissant des lumières, soit aux vœux que nous avons constamment exprimés.... Próúvons donc que nos vœux, que les lumières du siècle, que l'état actuel de la civilisation, exigent encore d'autres sacrifices de la part du Roi; et à la place d'une Ordonnance de réformation, incomplète sous quelques rapports, vicieuse sous plusieurs autres, on s'empressera de nous donner une véritable Constitution, où les droits de tous seront clairement fixés, et qui asseoira la prospérité de l'Etat sur des bases inébranlables.

Vainement dirait-on que nous ne devons pas compter sur de nouvelles concessions; que le Roi lui-même n'aurait plus le droit d'en faire, maintenant qu'il a juré d'être fidèle à son Ordonnance de réformation.

Le Roi n'est pas lié par son serment, plus irrévocablement que ses prédécesseurs ne l'étaient par celui qu'ils prêtaient à leur avènement au trône, et qui les obligeait à gouverner selon les lois existantes; ils ne prêtaient ce serment que dans l'intérêt du peuple; ils s'engageaient à ne jamais rendre sa condition plus dure; mais ils ne s'interdisaient pas, mais ils ne pouvaient pas s'interdire la faculté de l'améliorer; et ce qui le prouve, ce sont les concessions successives de Louis-le-Gros, de St. Louis, de Philippe-le-Bel, de Louis XI, de Henri II, de Charles IX et de Louis XIV, qui se trouvent toutes rappelées dans le préambule de l'Ordonnance de réformation.

Et maintenant, le principe étant une fois consacré à l'égard de ses prédécesseurs, rien n'empêcherait le Roi de se montrer demain plus généreux qu'il n'était hier. Ce qu'il serait disposé à nous céder lui appartient-il réellement? Quand on est propriétaire d'une chose, on peut à coup sûr la donner. Ce que nous réclamons est-il au contraire dans la classe de nos droits les plus légitimes? Je ne sache pas qu'il faille respecter l'engagement téméraire qu'on aurait pris de ne jamais restituer le bien d'autrui.

A cette première observation faut-il en ajouter une seconde? C'est le discours du président de la Chambre des Députés des départemens, c'est la réponse du Roi qui me la fournit.

Je remarque en effet dans ce discours « que si les "droits et les besoins publics faisaient désirer des « améliorations, la Charte constitutionnelle, qui ren« ferme (dit-on) en elle-même les moyens de les accor«der, doit rassurer toutes les opinions, et dissiper toutes « les inquiétudes. »

Je vois aussi dans la réponse du Roi « que tout ce ❝ que lui a dit le président au sujet de la Charte consti«tutionnelle, lui offre le gage de ce concours de vo«lonté entre la Chambre et lui, qui doit assurer le « bonheur de la France. >>

Ainsi, c'est d'un côté lạ Chambre des Députés des départemens qui prévoit le cas où les droits et les be"soins publics feraient désirer des changemens, des améliorations dans la Charte constitutionnelle, et qui dit qu'elle offre les moyens de les accorder; c'est de l'autre le Roi qui déclare implicitement qu'il existe à cet égard entre lui et la Chambre un concours parfait de volonté!

Voilà par conséquent qui ne peut plus être révoqué en doute quand le vœu des Français, quand les besoins de l'Etat le demanderont, ce qu'on appelle notre Charte constitutionnelle sera réformé, révisé : c'est le Roi et la nation représentée par la Chambre des Députés des départemens, qui l'ont solemnellement déclaré, et de pareilles autorités sont l'écueil contre lequel toutes les opinions contraires viennent nécessairement se briser.

Or, si une réforme est possible, et si elle peut s'opérer dès à présent, en démontrer la nécessité, ce serait

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