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«et sous ses successeurs, l'arbitraire des justices sei«gneuriales; et qu'enfin, sous Louis XIV, toutes les « parties de l'administration publique ont été réglées «par des ordonnances pleines de sagesse... >>

Ah! pour l'honneur de la France, et surtout pour l'honneur de ses anciens Rois, effaçons à jamais des annales de notre histoire, effaçons même, s'il est possible, de notre souvenir, ces honteux monumens de la pusillanimité de nos pères, et de la tyrannie de leurs chefs... Quand Louis-le-Gros vendit aux communes une liberté qu'il aurait dû leur donner, il ne répara qu'à demi la sanglante injure que ces prédécesseurs avaient faite à la nation : quand Louis IX porta de nouveaux coups au despotisme féodal en ordonnant qu'on pourrait appeler à lui des décisions arbitraires des seigueurs; quand Philippe-le-Bel convoqua les États-généraux du royaume à la place des anciennes assemblées du Champ-de-Mars, l'un et l'autre se bornèrent à modifier les abus que la faiblesse des successeurs de Charlemagne avaient laissé successivement introduire: quand Louis XI, Henri II et Charles IX posèrent les premières bases de l'ordre judiciaire, ils ne firent autre chose que remplir un devoir sacré, même pour des monarques absolus: quand Louis XIV enfin organisa à la fois toutes les branches de l'administration, qu'il avait trouvées plongées dans le chaos, il ferma simplement la bouche aux justes murmures qui s'élevaient contre ses ancêtres.... S'il faut en croire cependant les rédacteurs du préambule de l'Ordonnance de réformation, ce sont là autant d'actes de la munificence de nos Rois! C'est dire

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en d'autres termes, qu'un Roi dont l'autorité serait ef fectivement absolue, pourrait tenir le peuple dans l'esclavage, et n'avoir d'autre règle de conduite que son caprice: or, c'est avoir presque prouvé que cette autorité n'a jamais pu être sans limites. On nous présente ceş concessions comme volontaires; on veut que nous en témoignions notre respectueuse gratitude! Quant à moi, je n'y puis voir qu'une lente et tardive justice rendue à une nation qui pouvait exiger davantage; et si reconnaître une partie de ses droits c'est mériter d'être appelés ses bienfaiteurs, qu'on me marque du moins la place assignée dans le ciel aux Trajans, aux Marc-Aurèles, aux Henris IV.

Au surplus,où a-t-on pris qu'autrefois l'autorité toute entière résidait en France dans les mains du Roi? Tout se réunit pour déposer contre cette singulière assertion,

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Puisqu'on parle d'autrefois, il m'est permis, de remonter jusqu'à l'origine de la monarchie. Or, les conquérans des Gaules descendaient des Germains; et les Germains, au rapport de Tacite, étaient loin d'accorder à leurs chefs une autorité sans limites (1). Du temps de Clovis la puissance des Rois de France était encore très-restreinte; car à Reims un simple soldat put s'opposer à ce que le Roi disposât d'une partie du butin sans son consentement. Plus tard, sous Charle

(1) Nec Regibus infinita, aut libera potestas; et duces exemplo, magisquàm imperio præsunt. -Rex vel princeps audiuntur auctoritate suadendi, magis quàm jubendi potestate. TACIT. de Mor., Germ., cap. 7, 11.

magne, c'étaient les représentans de la nation qui fai saient les lois; et le Roi, dit-on, n'assistait même à leurs assemblées que quand il y était appelé (1).

A la vérité, les autres monumens de notre histoire font foi qu'à une époque postérieure les Rois de France exercèrent un pouvoir sans limites; mais ils attestent aussi que la nation n'y donna point son consentement; et dès-lors ce fut de leur part une usurpation, dont leurs successeurs ne sauraient se faire un titre régulier, qui n'autoriserait pas le Roi actuel à nous dicter lui-même les lois d'après lesquelles nous devons être désormais gouvernés.

Voilà pour les faits. S'agit-il des principes? Ils sont incontestables: on est aujourd'hui bien d'accord sur ce point, que la souveraineté est l'union de toutes les volontés particulières; qu'ainsi elle réside essentiellement dans la nation, ou, autrement, dans l'aggrégation des différens individus dont se compose la société; que la nation peut bien déléguer l'exercice d'une portion de la souveraineté à un ou à plusieurs chefs, selon qu'elle se constitue en monarchie ou en république; mais qu'elle en conserve toujours la partie la plus importante, c' dire le droit de faire des lois; que ces chefs étant de véritables mandataires, leur autorité ne peut dépasser les bornes dans lesquelles elle a été originairement renfermée; et que quand même on les aurait investis, à

c'est-à

(1) On lit en effet, dans les Capitulaires de Charlemagne, que Capitularia sunt quæ Franci pro lege tenendá judicaverun!; et que' lex consensu populi fit et constitutione regis.

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une époque quelconque, d'une puissance illimitée, la nation peut révoquer son mandat, et ressaisir la portion de l'autorité qui constitue sa souveraineté. Ce sont là des règles tracées par la nature et par la raison'; ce sont là des maximés avouées par tous les publicistes qui n'avaient pas, lâches imitateurs de Hobbes et de Grotius vendu leur plume à la tyrannie; et en ma qualité de Français, j'ai l'amour-propre de croire qu'on peut les proclamer aussi hautement sous l'ombre tutélaire des Lys, que sous les platanes de l'Académie.

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Avoir prouvé que les Rois de France me tenaient pas seulement leur couronne de Dieu et de leurs pères de Dieu et de leur épée, qu'ils la tenaient encore plus particulièrement de la nation; avoir prouvé qu'à l'origine de la monarchie leur puissance était limitée, et que le droit de faire les lois appartenait aux' représentans de la nation; avoir prouvé enfin qu'il est contre l'essence même des choses que l'autorité d'un Roi soit absolue, c'est avoir démontré, ce me semble, qu'on nous a présenté notre charte constitutionnelle sous une formé tout à fait vicieuse."

En effet, j'accorde pour un instant que le contrat qui lie le peuple au monarque, et qui est ainsi la première pièce de l'édifice, ne doit pas être passé plus solemnellement que celui qui règle les intérêts et les devoirs des citoyens entre eux; j'accorde enfin qu'une charte constitutionnelle est tout simplement une loi ordinaire : pour une loi, il faut le concours du Roi et de la nation; quand il s'agit d'une charte constitutionnelle, ce concours est donc également nécessaire.

Et ce qu'il est essentiel de remarquer, dans notre charte constitutionnelle on a tout à la fois admis le principe et repoussé la conséquence: en même temps qu'on y dit, article 15, que la puissance, législative s'exerce collectivement par le Roi et par les deux Chambres, on y suppose que le Roi peut régler nos droits politiques par une simple Ordonnance de réformation, qu'il ne soumet à l'acceptation ni du peuple, ni de ses représentans. Ou je me trompe fort, ou c'est détruire d'une main ce qu'on a édifié de l'autre; c'est décider, contre toutes les lois de la logique, que l'on peut faire le plus quand on ne peut pas faire le moins; c'est vouloir enfin que daus notre pacte social tout soit constitutionnel, hors la charte constitutionnelle.

Mais, objecte-t-on, ce droit de concourir à la confection des lois ne résulte pour la natiou que de la concession qui vient de lui être faite par le Roi dans son Ordonnance de réformation; ainsi il est tout simple que cette concession n'ait point un effet rétroactif; ainsi tout ce qu'on a fait à cet égard est conséquent,

Rien de plus vicieux qu'un pareil raisonnement. D'abord, j'ai établi tout à l'heure que la puissance légis lative appartenait de fait et de droit à la nation, indé pendamment de toute concession; ensuite, des aveux précieux ont été consignés sur cela dans le discours de M. le chancelier, et dans le préambule de l'Ordonnance de réformation. J'y lis d'un côté : « Loin du Roi l'idée ❝ que la souveraineté doive être dégagée des contre-poids

salutaires qui, sous des dénominations différentes, ont « constamment existé dans notre constitution!» J'y re

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