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L'accueil avec lequel le public a daigne recevoir les premières éditions, est dû sur-tout à l'impartialité qui conduisit ma plume. On a jugé que cette impartialité aurait pu m'être funeste, qu'il fallait du courage pour oser tenir le langage austère de la vérité, au sein de l'effervescence de toutes les passions exaltées en sens contraire, lorsque des monstres, placés au timon de l'état, faisant la lumières guerre aux comme aux richesses, aux patriotes comme aux conspirateurs, pouvaient d'un seul coup briser l'auteur et son livre ; lorsque parmi les gens de lettres les plus distingués, les uns se réduisaient à un silence absolu les autres flagornaient les gouvernans, au risque de voir, pendant l'impression de leurs ouvrages, les panégyriques et ceux qui en étaient l'objet, s'engloutir dans le fleuve de l'oubli, par l'effet d'un nouveau mouvement révolutionnaire.

J'ai été traité de chouan par les jacobins, et de jacobin par les chouans. Cette injustice, qu'éprouveront les écrivains, lorsqu'au milieu de la détonation des idées et de la fermentation des esprits, ils voudront empêcher que les fautes d'une génération ne soient perdues pour celle qui doit la remplacer, assurerait le triomphe de l'erreur et du crime, si les ames fortes n'attendaient la récompense de leurs travaux de la droiture de leurs intentions, des suffrages précieux des hommes impartiaux, et du jugement de la postérité.

Si dans les précédentes éditions de mon ouvrage, je n'ai pas dit toutes les vérités qui m'étaient connues, j'atteste qu'aucuns motifs d'intérêt ou de parti n'en

chaînèrent ma pensée. Je ne fus arrêté que par les seules précautions sans lesquelles mon livre eût été infailliblement supprimé par nos Erostrate. Aucune puissance ne saurait l'anéantir aujourd'hui ; il ne devra sa fortune dans l'avenir qu'au degré d'intérêt qu'il inspirera,

S'il parvient aux races futures, il leur fera connaître le mécanisme des révolutions; comment la race perverse des intrigans et des factieux, s'emparant de ces crises morales au milieu desquelles la philosophie se flattait de régénérer les nations, en savent incliner les mouvemens au gré de leurs vues intéressées ; comment les intrigans et les factieux font naître des conspirations contre l'état; comment ils les supposent quand elles n'existent pas; comment une faction heureuse détrône une faction turbulente, pour être détrónée à son tour; comment un succès éphémère, pour le vulgaire, crée le crime et la vertu ; comment un vainqueur, lorsqu'il proscrit ses ennemis, lorsqu'il s'entoure de ses amis ou ses flatteurs, fait proclamer que la patrie est sauvée.

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Ainsi purlait Robespierre, lorsqu'il lançait sur l'échafaud les plus ardens républicains; ainsi parlait le comité de salut public, en ordonnant le supplice de Robespierre; ainsi parlaient les thermidoriens vouant à la mort ou à l'ignominie le comité de salut public; ainsi parlait le directoire, en déportant les représentans du peuple dans les marais de la Guyane ; ainsi parlaient les législateurs, en destituant le directoire. Une nouvelle secousse s'est annoncée le dixhuit brumaire an huit, tout annonce qu'elle sera pour nous l'aurore du bonheur.

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J'ai vu se succéder les actes révolutionnaires depuis 1789. Tous les mouvemens en sens inverse conduisaient cependant à un but semblable. Trompés tant de fois par de vaines illusions serions-nous condamnés au supplice de Tantale? ou comme Ixion, ne devonsnous embrasser jamais que des nuages? Quand s'arrêtera le barbare Arimane, dont la fatale influence présida si long-tems à nos destinées! Le génie du bien, si souvent et si vainement invoqué, ramenera-t-il enfin parmi nous la morale et la vertu exilées ; viendra-t-il étouffer la discorde, briser les glaives et les torches ardentes, enchaîner la guerre et la mort?

Comme la lumière fatigue l'organe des ophtalmiques, la vérité déplait aux fourbes et aux faibles; mais l'homme que la nature appèle aux grandes choses la recherche, c'est l'élément qui lui convient. Hors des atteintes de l'envie, de la calomnie, et même du poison des flatteurs, il est digne d'entendre les máles leçons de l'histoire, et d'en profiter pour remplir ses destinées.

Quelle vaste, quelle inconcevable extermination de la race humaine! que de bastilles, que d'échafauds, que de sang! Les villes sont démolies, les campagnes manquent d'habitans, nos superbes manufactures sont anéanties! La terre couvre un million de cadavres ! A peine un siècle entier fermeṛa la plaie faite à la France. Mais le trident fatal, dont les désorganisateurs jacobins ou chouans se servaient pour soulever les tempêtes de la révolution, s'est brisé dans leurs mains teintes de sang ou gonflées de rapines. Le repos, le doux repos est le vœu de tous ; ils n'ont plus ni assignats à distribuer, ni châteaux à brûler, ni

églises à démolir, ni domaines nationaux à vendre

pour rien.

Presque toutes les réputations révolutionnaires sont usées. Dix ans d'expérience ont appris au peuple que des phrases séditieuses et même patriotiques ne lui procurent pas le bonheur.

La force et l'énergie fondent les empires, la prudence et la justice les consolident. Rome fut bátie par le fils du dieu de la guerre, mais le successeur de Romulus, Numa, pour donner des lois à la nouvelle ville, eut recours à la nimphe Egérie.

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Lorsque les anciens historiens nous disent que les 'Chinois les Indous, les Parsis, les Egyptiens, les Grecs et les Toscans furent gouvernés primitivement par les éternels habitans du ciel; si l'erreur cherche dans leur récit l'origine fabuleuse de la mythologie, l'observateur attentif n'y trouve que l'ingénieux emblême des vertus célestes dont furent environnés les hommes que les peuples chargèrent du fardeau de l'administration publique, lorsqu'à la suite des grandes commotions physiques ou morales, qui plusieurs fois bouleversèrent le globe, ils courbèrent leurs têtes sous le joug des lois, comme les fleuves rentrent dans leur lit après une longue inondation.

C'est à la sagesse et à la prudence d'appliquer le dictame sur les plaies que les passions corrosives ont envenimées ; à tempérer l'effervescence des uns, d a diminuer les regrets des autres, à présenter à tous le frein salutaire des lois, comme seul capable d'arrêter des réactions sans cesse renaissantes et qui englou

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tiraient plusieurs générations entières, sans ramener des institutions desirées ou détestées au gré des intérêts des hommes.

Oserai-je parler de religion dans un livre dont presque toutes les pages portent l'empreinte de la violence qui brise les obstacles? On ne quitte jamais les Romains, disait Montesquieu, qui les avait bien étudiés. Les institutions romaines se soutinrent aussi long-tems que le peuple romain fut le plus religieux de tous les peuples. Les deux passions qui agissent avec le plus d'empire sur le cœur de l'homme, sont l'intérêt et l'espérance; la religion roule sur ces deux pivots. Curtius ne se fût pas jeté dans un gouffre pour sauver sa patrie, s'il n'eût été persuadé que son généreux dévoúment placerait son ame parmi les génies immortels, et que, dans un ordre supérieur, il serait témoin de la gloire de ses enfans.

L'assemblée nationale constituante, en s'emparant des biens du clergé pour être le prix de la révolution protestait de son respect envers la religion chrétienne et assurait aux titulaires de chaque bénéfice une hon néte pension alimentaire. Elle montrait le discernement qui convient à des législateurs. La convention nationale, en traitant le christianisme de superstition fanatique et en réduisant les ecclésiastiques aux derniers excès de la misère, ne préparait-elle pas ellemême une partie des difficultés que devait éprouver l'établissement de ses institutions?

Nous ne connaissons aucune nation vivant en so ciété, qui n'ait présenté ses adorations au père de la

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