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La noblesse ne formait qu'une seule et im1787. mense famille ; répandue dans les provinces, elle maintenait son empire par tous les ressorts de la force publique. Le levier de sa puissance reposait dans Versailles, auprès d'un monarque circonvenu par les principaux

membres de cette caste.

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et

C'était la cour, et non le roi, qui gouvernait l'état. La cour choisissait et chassait les ministres, donnait et ôtait les grandes places, dirigeait les principales affaires rapportait à la noblesse toutes les actions d'éclat. A force de sophismes, les nobles étaient parvenus à présenter leurs prérogatives comme tenant aux principes fondamentaux de la monarchie. A les entendre, la force de l'état se concentrait dans leur classe. Ils regardaient le peuple comme un troupeau considérable seulement par les services qu'on en pouvait tirer. Les non-nobles étaient exclus , par les réglemens militaires, de tous les grades de l'armée ; ils l'étaient aussi du moins par le fait, des grandes dignités ecclésiastiques. La cour ne choisissait les évêques et les abbés que parmi les nobles. On comptait un grand nombre de chapitres dans lesquels le tiers-état ne pouvait être admis. Les principales magistratures lui étaient encore fermées , parce que les cours souveraines n'admettaient que des nobles dans leurs corps, même pour les charges de maîtres des

requêtes, qui conduisaient aux intendances
et au conseil d'état. Un Colbert, un Louvois,
un Catinat, un Lhopital, un Flechier ne
seraient parvenus,
sous Louis XVI, à au-
cune place principale dans le ministère, dans la
magistrature, dans le militaire, dans l'église.

Toute la force toute la richesse, toute la gloire, toute la fécondité d'un empire résident sans doute dans le peuple. Il en est en même tems le nourricier et le souverain comme l'ouvrier est le maître de son ouvrage. Dans l'état où se trouvait la France, non-seulement la noblesse ne formait pas la force de l'empire, mais c'était une corporation oiseuse qui, ne pouvant exister par elle-même à défaut d'organes utiles s'attachait à une nation laborieuse, comme ces excroissances végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu'elles fatiguent et désèchent.

L'enfant d'un gentilhomme arrivait au monde, fait pour tous les emplois auxquels la considération était, attachée ; tandis que l'enfant duroturier, quels que fussent ses talens et son mérite, devait languir toute sa vie dans l'humiliation ou dans des places subalternes. Une pareille distribution, introduite peu-à-peu, et dont l'origine tenait aux préjugés des siècles d'ignorance, pouvait - elle subsister long-tems chez une nation aussi éclairée qu'industrieuse? Si la classe la plus nombreuse, secouant un joug importun, de

1787.

mandait aux nobles par quel ordre des des1787, tinées ils prétendaient dominer sur leurs concitoyens ? la nature et la justice n'avaient rien à lui répondre. Telle fut la cause secrète de notre révolution et de la plus grande partie de ses excès.

Si la simplicité, la modération, l'inertie, ou un attachement presque sans bornes aux anciens usages, empêchent le plus grand nombre des hommes d'examiner et d'approfondir leurs droits naturels en politique, le tems, qui rapproche et qui combine sans cesse les idées humaines, amène, quelquefois parmi le peuple, des hommes libres au sein du public esclavage. Leur génie simplifie l'érudition pour la rendre populaire, les lumières pénètrent jusques dans les campagnes, On examine ce qui fut admis jusqu'alors sans discussion; on raisonne sur les avantages et les inconvéniens des lois qu'on exécutait sans les comprendre. Il s'établit des doutes sur la légitimité des droits, accablans ou ridicules, qui pesaient sur les habitans des chaumières: l'homme est déjà libre par la pensée.

Quels combats ne se livrent pas alors pour faire rentrer le peuple dans les ténèbres profondes qui furent la source cachée de son abjection, et des jouissances scandaleuses de ceux qui s'engraissent de sa substance et de ses sueurs? On intéresse le ciel et la terre à

"

propager l'ignorance. Les uns foudroient les nouveaux Prométhées; leurs travaux sont transformés en curiosité inquiète et contraire aux lois de la religion; d'autres poursuivent avec le glaive des lois des ouvrages précieux: leurs auteurs sont traités d'esprits turbulens auxquels toute police est à charge.

1787.

CHAPITRE I I.

Pouvoir des livres sur l'opinion publique:

TOUTES

OUTES les puissances réunies ne sauraient obscurcir le miroir de la vérité. Tel est l'inévitable bienfait des bons livres, qu'inappréciés par une génération imbue de préjugés, ils feront les délices de celle qui lui succède. Les hommes ne sauraient atténuer cet invincible empire. Quand la faulx du tems a couché dans la tombe la génération qui passe, il se trouve que les erreurs qui l'égarèrent, y sont descendues avec elle, et que le règne des bons principes arrive.

Lorsque les lettres et les sciences sont en honneur dans une grande nation; lorsque les limites de l'entendement humain s'étendent; lorsque les uns, par une heureuse audace, s'approprient les richesses que la nature avait cachées dans un autre hémis

phère, tandis tandis que les autres rendent les 1787. peuples étrangers tributaires de l'industrie nationale; et que des troisièmes, se livrant à des arts agréables, sèment des fleurs parmi les épines de la vie, quel bras pourrait appesantir sur leurs têtes les outrages de la servitude?

En vain les oppresseurs du peuple chercheraient à tromper ses vues, en l'entraînant vers des guerres étrangères; en vain enlaceraient-ils la fortune publique avec le maintien des anciens abus; en vain un amalgame, insidieusement combiné d'emprunts multipliés, d'impôts compliqués`, d'anticipations enchevetrées d'une manière bisarre s'opposerait à l'introduction d'un nouvel ordre de choses. Les finesses de la diplomatique, les variations du fisc les prétentions des privilégiés, tantôt défendues avec violence, tantôt présentées avec adresse, pâlissent devant une nation éclairée, lorsqu'elle oppose au despotisme de plusieurs le frein irrésistible de l'opinion publique.

Cette disposition, née en France pendant le dix-huitième siècle, fut le résultat des œuvres d'une foule de grands hommes, avec lesquels nous avons vécu, des Mabli, des Condillac, des Raynal, des Buffon des Diderot, des Montesquieu, des Dalembert, des Helvetius, des Freret, des Condorcet, des Bailli, des Boulenger, des Marmontel

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