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Cette opération, généralisée dans tout le 1787. royaume, aurait rendu inutiles les intendans dont on sollicitait de toutes parts la suppression. On devait espérer que, les affaires publiques se traitant dans ces assemblées, sans égard à l'ordre personnel des individus il se formerait bientôt une communauté d'intérêts, capable d'abaisser les barrières posées entre les nobles et les non nobles, et favoriser une nouvelle distribution de la masse totale de l'impôt.

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Mais, d'après les usages anciens de la monarchie, toute loi nouvelle sur les finances devait être enregistrée dans les parlemens. Calonne ne pouvait se dissimuler que, si les tournures, adoptées jusqu'alors pour assujétir les biens qu'on appellait nobles aux charges communes, avaient toujours été éludées avec succès par les grands corps de magistrature répandus à Paris et dans les provinces, ils seraient en garde avec plus de soin contre les projets présentés par un homme qu'un préjugé, bien mal fondé, présentait à leurs yeux comme un ennemi de la magistrature.

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CHAPITRE XIII.

Projets de Calonne.

Ce préjugé était la suite des rigueurs que

Calonne s'était permises envers les deux Caradeuc de la Chalotais, dans le cours des procédures criminelles instruites contre eux à Port-Malo (Saint-Malo ) sous le règne de Louis XV, et dont les suites amenèrent la destruction des parlemens.

Cette disposition contribuait à rendre plus glissante la place qu'il occupait. Sa chûte que chacun pouvait prévoir, et dans laquelle l'antique monarchie française fut entraînée semble dévouer cet administrateur au mépris des races futures, comme le ministre le plus inepte et le plus déprédateur; cependant l'impartiale justice oblige d'observer que les opérations qu'il proposait, portaient un grand caractère, et d'ajouter que la principale faute qui désorganisa l'état, n'était pas de son fait; mais qu'il fut entraîné, par la marche impérieuse des affaires, dans le précipice creusé sous ses pas, et qu'il lui fut impossible d'é

Il n'est pas dans mon sujet d'analyser la méthode de l'emprunt et celle de l'impôt, employées pour le soulagement des grands

1787.

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empires, ruinés par des dépenses antérieures: 1787. Le ministre emprunteur et le ministre imposeur ne sauraient être plus exactement comparés qu'à deux hommes d'affaires qui se présentent pour rétablir les finances d'une maison riche, mais obérée, et dont l'un propose pour ressources l'augmentation du prix des fermes, tandis que l'autre veut prendre de l'argent à fonds perdu chez les capitalistes. Le premier ne ruinera jamais son maître ; il ne ruinera pas même ses fermiers, qui ne se soumettront à un surhaussement, qu'autant qu'ils verront clairement leurs avantages. Le second offre le soulagement le plus funeste.

,

Si le propriétaire suit les avis du premier, les difficultés dans l'exécution le forceront à une économie qui seule peut le mettre, à la longue, au-dessus de ses affaires; mais, s'il a le malheur de se livrer dans les mains du second, sa perte est d'autant plus certaine d'autant plus inévitable, que la facilité dont la méthode proposée est accompagnée, en cache les sinistres résultats. Il ne sera tiré de sa fatale erreur, qu'au jour où, nonseulement il ne trouvera plus à emprunter mais où ses créanciers le chasseront de ses domaines, et prendront sa place.

Necker fut l'homme d'affaires emprunteur. D'après le rapport de Turgot, la dépense n'excédait la recette que de vingt-quatre millions, lorsque le financier génevois fut présenté

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à Maurepas. Le niveau pouvait être facilement rétabli par des améliorations. Un con- 1787. trôleur de finances, probre et loyal, aurait dit au principal ministre «< : il est glorieux, sans doute, de donner la liberté aux colonies anglaises de l'Amérique; mais le père de famille, vertueux et prévoyant, se garde bien de ruiner ses enfans, pour rendre service à des étrangers. Laissez les anglais combattre leurs colonies, qu'ils dévasteront, qu'ils soumettront, qu'ils rétabliront en y épuisant leurs trésors et qu'ils finiront par perdre, parce que des colonies lointaines qui peuvent se passer de la métropole, s'en détachent tôt ou tard. Si vous voulez vous mêler de cette guerre, secourez secrètement les insurgés; faites ce que vous pouvez ; mais n'allez pas au-dessus de vos forces. Les emprunts, inconsidérément multipliés, dévorent la fortune du propriétaire le plus opulent. Cette manière de se procurer de l'argent ne convient pas à l'état de vos affaires; économisez votre dépense, ou augmentez votre revenu : l'un et l'autre parti offrent de grandes difficultés, c'est pour les vaincre que vous avez besoin d'un administrateur habile.

Au lieu de cela, Necker fit venir de l'argent, à gros intérêts, de Suisse, de Genêve, de Hollande, de Gênes. Toute son habileté qui certes n'était pas grande, consistait à emprunter de tous ceux qui voulaient lui

prêter leur argent. Le déficit augmentaiţ 1787. chaque année. Il était de quatre-vingt millions, lorsque Calonne fut nommé contrôleurgénéral. Cet administrateur succomba sous ce fardeau. Il eût probablement écrasé tout autre contrôleur général.

Pour éviter cette catastrophe, Calonne proposait à Vergennes le plan le plus vaste et le plus hardi. Sans attaquer les principes de la monarchie française, il changeait entièrement le systême de l'administration des finances. La première cause des abus actuels était l'abus des non-contribuables dans l'impôt direct. La classe de ces non-contribuables renfermait non-seulement les deux premiers ordres de l'état, mais jusqu'à des villes et des provinces entières. Ainsi, le fardeau des impôts était uniquement supporté par la classe la plus indigente de la nation. Calonne voulait établir une imposition territoriale sur toutes les propriétés, sans distinction; elle aurait remplacé l'impôt de la taille supporté par les seuls roturiers. Un second impôt était celui qui fut établi pendant la révolution, sous le nom d'impôt du timbre.

Ces nouvelles institutions étaient liées à celle des administrations provinciales qu'on devait substituer, dans tout le royaume, au régime arbitraire des intendans. Il entrait encore dans les vues de Calonne, d'étendre aux individus de toutes les sectes chrétiennes,

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