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lui ce ministre. Le premier valet de chambre 1787. de quartier était le seul confident de la let

tre très-détaillée et très-minutieuse qu'il faisait à cette occasion. Le secret fut éventé. Il produisit une rumeur parmi les courtisans, qui tous redoutaient les maximes sévères et négatives de Machault. Saint-Florentin sur-tout, chargé depuis long-tems de la haine publique, craignait que Machault, en purgeant la cour des sybarites qui en déshonoraient les avenues, ne lui réservât un traitement plus rigoureux.

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Madame de Narbonne, dont nous avons vu le mari ministre de la guerre durant la révolution avait beaucoup d'ascendant sur madame Adelaïde, dont elle était dame d'atours. Cent mille écus lui furent promis si elle décidait cette princesse à faire tomber le choix du monarque inexpérimenté sur un personnage d'une humeur plus accommodante. On proposait Jean - Frédéric Phélippeaux de Maurepas, homme presque octogénaire.

Maurepas, beau-père de Saint-Florentin avait rempli, pendant vingt-trois ans, une place dans le ministère. Exilé de la cour en 1749, pour quelques vers satyriques contre la marquise de Pompadour, son talent pour l'administration pouvait s'être perfectionné par la connaissance des hommes, suite des variations de sa fortune, ou par la mé

ditation, fruit d'une longue retraite. On savait sur-tout que son goût exclusif pour 1787. le repos et les plaisirs, son caractère leste et futile, et l'insouciance de son âge, le rendaient peu propre à combattre l'hydre des abus.

Madame Adelaïde se chargea de cette négociation auprès de son neveu ; elle n'était pas d'un succès difficile. Après quelques réflexions générales sur les circonstances délicates dans lesquelles on se trouvait, la conversation était tombée naturellement sur la nécessité de confier les rênes de l'état à un principal ministre. Le roi convint que c'était, dans le moment, l'objet de ses méditations. En même tems il présentait à sa tante la lettre qu'il venait d'achever, et qu'il regardait comme un petit chef-d'œuvre. Madame Adelaïde la lit avec attention, et la rend au roi, en l'assurant qu'elle n'y trouvait qu'un mot à changer, pour en promettre les plus précieux avantages. Ce mot était d'adresser l'épitre ministérielle non à Machault, mais à Maurepas. La princesse, analysant le genre d'esprit des deux candidats, trouvait que l'un, par l'austérité rebutante de son humeur, pouvait exaspérer les esprits, qu'il fallait ménager dans un commencement de règne, tandis que l'autre, d'un commerce facile, inspirait plus de confiance.

Louis XVI, dans le cours de son règne,

se prêta constamment à tous les changemens 1787. exigés de lui. Il était encore déterminé dans cette occasion par les témoignages avantageux à Maurepas, qu'il puisait dans ces mêmes instructions de son père, qui avaient momentanément dirigé son choix. Machault fut éconduit, et Maurepas fut placé au timon des

affaires.

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Ceux qui calculent combien, dans le fort d'une tempête, le sort d'un navire dépend de l'habileté du pilote qui tient le gouvernail, jugeront si cette anecdote dont je garantis l'authenticité, doit être rangée parmi les causes partielles de la révolution de France. Il n'est pas certain que Machault, en instruisant Louis XVI dans l'art difficile de gouverner les hommes, eût retardé la chûte dont la monarchie française était menacée; mais il est incontestable que cette sublime idée n'entra pas dans la tête de Maurepas.

à une

Condamné, depuis vingt-cinq ans, nullité qui fut toujours le supplice des hommes dévorés par la soif du pouvoir, et ne connaisssant d'existence heureuse que parmi les orages des cours, ce ministre avait profondément réfléchi sur les chances de la fortune. Considérant à loisir, dans la retraite, le tissu des institutions sociales qui se croisaient en France, l'incalculable ascendant des abus attachés à cet empire, comme le lierre aux vieux murs; la coalition formidable entre

ceux qui profitaient des abus, et qui réunissaient leurs moyens pour en perpétuer la 1787. durée ; l'influence de l'opinion des privilégiés sur une foule d'artistes, de littérateurs, de savans, de jurisconsultes, de médecins, de gens de tout état, que ces privilégiés alimentaient; convaincu par son expérience qu'un ministre tout-puissant pour augmenter les charges d'un état , pourvu que les riches fussent ménagés, serait bientôt culbuté par la horde cabalante des sang-sues publiques, s'il proposait un ordre de choses plus favorable à l'universalité des citoyens; revint au ministère, au déclin de ses jours, avec le projet formé, non de régénérer la France, mais de se maintenir tranquillement dans le poste qu'il avait autrefois perdu par son imprudence, et que la fortune lui rendait pour amuser sa vieillesse.

Amoureux de la domination et du repos, il crut réunir ces deux jouissances, en laissant le roi s'occuper à des ouvrages de serrurerie, tandis qu'entouré de quelques agens subalternes, laborieux et intelligens, il traînait le fardeau immense que ses épaules ne pouvaient porter.

1787.

CHAPITRE IX.

Les américains deviennent une puissance indépendante.

TANDIS que l'administration française luttait

vainement contre une décadence amenée par deux siècles de déprédation, l'aurore d'un nouveau jour paraissait à l'occident. Quelques faibles peuplades, à peine connues en Europe, levaient en Amérique l'étendard de la liberté, et se plaçaient au nombre des nations souveraines.

Au nom de la liberté qui se fait entendre, tous les cœurs sont émus en France les bouches s'ouvrent pour la célébrer, les bras sont tendus vers l'océan pour la défendre. Nos guerriers volent aux combats sur ces rives lointaines ; ils préludent, au

sein d'une nation enthousiaste de son indé

pendance, aux travaux qui devaient immortaliser leurs noms, à l'époque prochaine de la régénération de leur patrie.

Lorsque Louis XVI signait la déclaration qu'il fit remettre en Angleterre, par son ambassadeur, et qui contient cette phrase mémorable les anglo-américains sont devenus libres du jour où ils ont déclaré leur indépendance, il ne prévoyait pas sans doute

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