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Vérité! fille du ciel, que la superstition 1787. et le despotisme ont vainement proscrite, je t'ai consacré ma plume et mon existence ! Par toi les tyrans, avec ou sans couronne ont la conscience de la haine qu'ils inspirent, et du mépris inévitable que fait naître leur sottise ou leur barbarisme: ces puissances, que leur audace ou notre faiblesse ont placées au-dessus des lois humaines, sont forcées de frémir sous les tiennes. C'est toi qui les châties; c'est toi qui, pénétrant dans leur ame vile, les remplis de soupçons et de terreurs. Les lois faites par les hommes ne sont justes, que quand elles se conforment aux tiennes : elles ne méritent l'assentiment de la raison, qu and tu les as dictées. Dans le silence des nuits, tu troubles le sommeil des scélérats qui ont ravagé ma patrie : présentant sur leur tête l'épée de Damoclés, tu deviens leur premier supplice. Vérité! prêtemoi ton flambeau pour me conduire dans le labyrinte d'une révolution sans exemple dans les annales du monde !

CHAPITRE V I.

Causes particulières de la révolution de
France.

SUR la fin du règne de Louis XV, presque

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tous les fléaux, versés sur la France par le régime féodal subsistaient. Une classe de citoyens, que le hasard de la naissance dispensait d'avoir du mérite, obtenait exclusivement toutes les grandes places, tous les grands bénéfices; regardait l'état comme son patrimoine, et le peuple comme une proie qu'elle pouvait dévorer; mais ces absurdes usages commençaient à être appréciés.

Une nombreuse et opulente corporation était en possession de troubler la société, sitôt qu'on voulait examiner ses obscurs et insociables privilèges qu'elle appelait immu nités. Les chefs de cette famille, éternellement isolée, étalaient un luxe d'autant plus révoltant, qu'il contrastait davantage avec leur humble profession; mais les yeux étaient ouverts sur cet étrange renversement de toutes les idées économiques et morales.

La vénalité des charges de judicature, introduite par le chancelier Duprat, n'était pas abolie. Le plus ignorant, et quelquefois le

1787.

1788.

plus vil des hommes

achetait le droit de

prononcer sur la fortune, la vie et l'hon-
neur des citoyens ; mais on disait hautement
que, quand les juges achètent leurs emplois,
il faut que, tôt ou tard, directement ou in-
directement la justice se vende. Le vœu
général, fortement prononcé, commandait
l'anéantissement de cet infâme trafic ; il avait
;
servi de prétexte à Louis XV pour détruire
les grands corps de la magistrature, quoique
leur existence et leur pouvoir fussent envi-
sagés, depuis long-tems, comme essentiels à
la stabilité de la monarchie.

Tous les ressorts d'un gouvernement arbitraire pressaient le peuple, surchargé d'impôts, de taxes seigneuriales, de contraintes humiliantes et vexatoires. L'administration de Versailles consistait dans l'art de tromper

ét de pressurer les campagnes, pour l'intérêt des courtisans de leurs agens, de leurs créatures. Ce qui paraissait utile aux gouvernans devenait l'unique règle de leur conduite ils appelaient politique, le secret de tout sacrifier, sans pudeur, à leurs convenances particulières; mais l'opinion publique s'élevait hautement contre ces abus. La révolution était faite dans l'esprit, dans les mœurs de la nation; elle ne pouvait tarder à se manifester dans le gouvernement.

Personne n'était content en France. Nonseulement les hommes éclairés, qui habitaient

la capitale et les grandes villes, voulaient que tous les obstacles qui gênaient leur ambition, fussent applanis : non - seulement le peuple des campagnes desirait plus d'aisance et de liberté, mais le même esprit d'inquiétude régnait dans les classes supérieures du clergé, de la noblesse, de la magistrature; toutes les humeurs du corps politique fermentaient en même tems. La noblesse des provinces souffrait impatiemment les distinctions attribuées à celle de la cour; le clergé inférieur haïssait le haut clergé ; la magistrature était divisée; aucune subordination dans l'armée, sur-tout parmi les chefs; un gouvernement sans force; les grands dans un état de dégradation. La religion et l'immoralité infestaient les premiers ordres ; ils avaient secoué ce joug sacré, sans lequel les hommes ne vivront jamais en société, et sans lequel il est encore bien moins possible qu'une grande nation soit gouvernée ou se gouverne elle-même.

1787.

1787.

CHAPITRE VI I.

Dispositions de Louis XV durant les dernières années de son règne.

LOUIS XV

JOUIS XV, au sein de la cour la plus versatile, la plus tranchante, la plus astucieuse, se montrait persuadé lui-même que la France ne pouvait être plus mal gouvernée, et qu'il n'était environné que de fripons: regardant les plaies de l'état comme incurables, il confiait indifféremment son autorité chancelante à ceux que l'intrigue poussait auprès de lui.

Sa seule politique était d'entretenir, à Versailles, deux factions qui se surveillaient mutuellement. L'un de ces partis devenait-il dangereux ? il faisait pencher la balance du côté d'une nouvelle cabale qui s'élevait, prenait de la consistance, culbutait celle qui avait dominé jusque-là, et s'écroulait ensuite sous les coups d'un nouveau parti que le monarque favorisait successivement.

Ces déviations périodiques fournissaient à Louis XV la conviction intime de la scélératesse du plus grand nombre des hommes qui se pressaient autour de lui. La convocation des états-généraux offrait un moyen d'arrêter leur brigandage. L'état des choses

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