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trouvera-t-il, dans son sein flétri, des armes d'une trempe assez fine pour les combattre et pour les vaincre, lorsque des chaînes de fer l'étreignent de toutes parts?

Le mal arrive à son comble. C'est alors que la nation retrouve tout-à-coup son antique énergie. C'est un ressort trop comprimé qui se détend de lui-même. Quand l'homme timide gémit en silence sous l'excès du pouvoir arbitraire, dont il est écrasé, l'homme prévoyant et courageux élève ses espérances. Il voit, dans l'énormité même des maux de la patrie, la borne inévitable contre laquelle se brisera la tyrannie. L'état se désorganise. La moindre faute, de la part des administrateurs nécessite des changemens que n'avaient pas amenés les plus violentes usurpations.

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Les extrêmes se touchent. L'amour de la liberté et les vérités éternelles qui lui servent de base conservés dans le cœur de tous les hommes, malgré les outrages du despotisme, se propagent avec rapidité. Les peuples déploient l'appareil de la vengeance. L'insurrection est, pour les peuples qui se régénèrent, l'instrument du feu ; pour un qu'elle vivifie, il en est vingt qu'elle met en cendres. Si leur concert n'est pas unanime, ou si leurs forces n'égalent pas leur courage, le soulévement, traité de révolte, n'a d'autre effet que d'aggraver leurs chaînes. Mais si

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les circonstances sont favorables, ils brisent 1787. les idoles qu'ils adoraient, avec l'autel même

sur lequel fumait leur encens. Les plus violentes commotions ébranlent la société politique. Sa masse seule peut la garantir d'une inévitable destruction. Les anciens rapports. sont méconnus. Les anciennes autorités sont

anéanties; les précédentes institutions s'écroulent avec fracas; la face de l'état présente l'image du chaos. A la longue, tout se débrouille insensiblement ; les passions s'appaisent; le calme renaît; de nouveaux rouages s'adaptent à la machine du gouvernement. Ainsi, les volcans' destructeurs qui éclairent de leurs lugubres feux les contrées qu'ils dévorent, s'éteignent, et rendent à l'agriculture un sol que leurs flammes ont fertilisé, quand elles semblaient le consumer.

La France, gémissant depuis plusieurs siècles, sous tous les genres d'oppression, écrasée par des dettes énormes et d'intolérables impôts, menacée d'un avenir plus déplorable encore, traînée par l'infortune et par l'humiliation sur le bord de l'abyme du néant, offre au monde le spectacle le plus imposant, lorsque, sacrifiant sa tranquillité présente à son bonheur futur, renonçant tout-à-coup aux convenances qui résultaient de son ancien systême social, elle brise tous les chaînons de ses institutions, usées par leur vétusté, dénaturées par les abus, condamnées par la voix

publique, ou contraires aux grands principes du droit naturel; et, s'embellissant de tous les feux de la jeunesse, on la voit se placer fièrement dans le rang que lui destina la nature. L'ame de l'observateur, subjuguée par le tableau d'une si immense révolution, la compare à ces incroyables convulsions physiques, qui changèrent autrefois la configuration du globe que nous habitons.

- Placé au centre du volcan, mon ame s'embrâsa du desir de transmettre à la postérité les circonstances de l'étonnant phénomène dont mes yeux étaient témoins. Jamais un semblable événement ne se présenta dans un siècle éclairé par la philosophie et les arts. La révolution française, préparée par les écrits des plus grands hommes, ayant pour modèle celle d'Amérique, opérée chez une nation douce et sociale, semblait ne devoir présenter à l'univers que les résultats les plus majestueux, les plus hardis de l'enthousiasme, de la grandeur d'ame et d'un entier dévoûment au bien général.

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CHAPITRE V.

Inconvéniens des révolutions.

DE

E s hommes vomis par l'enfer, pour le malheur de mon pays, s'emparèrent de l'œuvre de la philosophie. J'ai vu la France couverte d'échafauds, et le sang humain coulant de toutes parts, abreuver une terre malheureuse, pendant la plus affreuse et la plus désespérante anarchie. J'ai vu les scélérats les plus lâches, et les plus farouches, réunis par le crime, enhardis par l'impunité, provoquer la destruction des arts, la chûte des manufactures et de l'agriculture, le gaspillage des denrées de première nécessité, l'enlèvement des propriétés, le massacre des propriétaires ; et, s'étant emparés de toutes les fortunes, insulter par leur cynisme à la misère générale, qu'ils avaient fait naître.

L'égalité qu'ils prêchaient, était un des plus anciens talismans, employés par les charlatans politiques, pour tromper le peuple. Ils savaient que le découragement des bons fait la force des méchans, et que le silence des sages consacre l'extravagance des novateurs. La plume échappait de mes mains, lorsque je crayonnais des forfaits dont l'imagination concevait à peine la réalité.

Qu'on parcoure l'histoire de toutes les révolutions, par-tout on trouvera l'équivalent 1787. de nos jacobins, qui fomentèrent tous les désordres, et qui se rendirent momentanément les idoles de la multitude, en achetant, de sa misère et de son inexpérience, les crimes qui leur étaient utiles. La conséquence naturelle d'une révolution est de produire de pareils hommes. Les bouleversemens, qui surviennent dans les états, servent, dit-on, à mettre chaque individu à sa place. Cette assertion est démentie par l'expérience. Dans tous les tems, les hommes les plus éclairés, les plus dignes des grandes places, attendirent, comme Cincinnatus , que la voix publique les tirât de leur solitude. Cette disposition est encore plus générale au milieu des vastes commotions populaires, et lorsque tous les ressorts de l'état sont brisés. L'homme le plus instruit est précisément celui qui apprécie le mieux les connaissances qui lui manquent ; il s'enveloppe dans une prudente obscurité. La carrière politique est abandonnée à la foule des intrigans, qui ne doutent de rien. De-là naissent les malheurs des révolutions; mais ces intri gans, après avoir tout dévoré autour d'eux, se dévorent eux-mêmes. L'excès du mal appèle le remède. Cette réflexion rassurait mon ame abreuvée d'amertume ; je reprenais mon ouvrage, et je le continuais avec une nouvelle ardeur.

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