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gentilshommes craignaient que, par quelque mode imprévu, la chambre haute ne fût prin- 1789. cipalement composée de la minorité nobiliaire, qui s'était réunie aux communes.

Il résultait de cette incertitude une obscurité, sur cette chambre haute, qui diminuait le nombre ou du moins la chaleur de ses partisans. Aucun ne voyait précisément ce qu'elle serait et ce qu'il serait lui-même. Les calculs personnels entrent toujours dans ces combi

naisons.

La majorité des députés des communes ne voyaient, dans une chambre haute, que le refuge constitutionnel de l'aristocratie et la conservation du systême féodal. L'unité de chambre fut décrétée; tous les nobles se seraient alors réunis pour combattre la constitution naissante. Mais, dans cet intervalle, la nation s'était armée; trois millions d'hommes composaient les gardes nationales; les nobles ne pouvaient former un corps d'armée, sans exposer leurs femmes et leurs enfans à un massacre certain et général. Les chefs de la noblesse se rapprochèrent du roi, pour faire naître une occasion de revenir sur le décret de l'unité de chambre. Il fut de nouveau question d'engager le roi à se transporter à Metz.

Quelques régimens avaient été de nouveau introduits dans Versailles, sous prétexte de soulager les habitans de cette ville, qui gardaient l'assemblée nationale et le roi. La déTome I.

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fiance augmentait dans toutes les classes de 1789. l'état. Le roi, qui avait promis le vingt septembre, de promulguer les décrets du quatre août, incidentait non seulement sur cette promulgation, mais sur l'acceptation des lois constitutionnelles décrétées jusqu'alors. Paris continuait à ressentir les horreurs de la famine; on se battait à la porte des boulangers, pour se procurer un morceau de pain de la plus mauvaise qualité. On assure que des hommes, payés pour augmenter le désordre, assiégeaient les boutiques, jetaient dans la Seine le pain qu'ils s'étaient procuré, et venaient recommencer ce manège.

CHAPITRE VI.

Evénemens du cinq et du six octobre:

Ux bruit sourd de la fuite prochaine du

roi, qui devait précéder une contre- révolution, alarmait les provinces. Le parti, qui desirait cette contre-révolution, en parlait avec cette jactance qu'il a manifestée chaque fois qu'il arrangeait un nouveau complot. Dans cette situation des choses, les gardes-du-corps donnèrent, le premier octobre, dans la salle d'opéra du château, un repas aux officiers du régiment de Flandres et à ceux de quelques

autres corps qui se trouvaient à Versailles. Plusieurs officiers de la milice bourgeoise y furent aussi invités. Rien de plus innocent en apparence que ce festin; mais quelques-unes de ses circonstances portaient la terreur dans les esprits.

par

Tout y fut ménagé pour rallier les mili taires au monarque, qu'on faisait envisager comme sacrifié l'assemblée nationale. On affecta de porter les santés du roi et de la reine, et de rejeter celle de la nation qui fut proposée. On accompagna même ce refus de propos insultans. Sur la fin du second service, la famille royale se montra dans la salle du festin. L'enthousiasme s'empara des esprits; et lorsque le roi et sa famille furent retirés commença cette orgie qui découvrit et ruina en même tems les projets formés. Les vins sont prodigués. Les têtes s'échauffent. Une musique bruyante joue cet air chanté si souvent par les prétendus amis du roi : O Richard 6 mon roi ! l'univers t'abandonne. On feint ridiculement un siége. On escalade avec bravoure les loges de la salle. Des cocardes blanches sont distribuées aux convives, qui foulent aux pieds la cocarde nationale. Le peuple de Versailles accourait pour être témoin de cette scène, qui fut répétée trois jours après dans un autre repas donné à l'hôtel des gardes-du-corps. Misérables folies!

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qui allaient achever d'irriter le peuple fran1789. çais contre la cour.

A la nouvelle du repas des gardes-du-corps, l'émotion fut générale à Paris. Toute autre cocarde que celle des trois couleurs, bleue, blanche et rouge fut proscrite. Chacun répétait que, puisqu'on voulait enlever le roi et le mettre à la tête d'un parti, il fallait prendre les devants et l'amener à Paris. La multitude était persuadée que la présence de la cour ferait cesser la cherté du pain; cette considération détermina le mouvement.

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Le 5 octobre, les faubourgs Saint-Antoine, Saint-Marceau et le quartier des Halles manquèrent absolument de pain. Une multitude de femmes armées de piques, de haches de bâtons pointus, se précipitaient vers la maison commune dès les huit heures du matin. Un grand nombre d'hommes déguisés en femmes étaient avec elles, demandant du pain, et remplissant l'air de leurs cris. Une faible garde défendait l'entrée de la maison commune. Elle fut bientôt 'forcée. Alors les hommes se joignent aux femmes. Le rassemblement se partage. Les uns s'emparent de huit cents fusils et de quelques pièces de canon, d'autres enlèvent de l'argent, des papiers et des meubles.

Après cette expédition, les insurgés s'écrient qu'ils vont incendier l'hôtel - de - ville, si le magistrat n'ordonne à la force armée de les

accompagner à Versailles, pour demander raison à l'assemblée nationale et au roi de la rareté des subsistances. Un huissier, nommé Maillard, qui fut un des principaux acteurs dans les massacres du 2 septembre 1792, offre de conduire le rassemblement, et d'être son orateur sa proposition est acceptée.

A neuf heures, cette bisarre armée se mettait en marche, se recrutant des hommes et des femmes qu'elle pouvait contraindre à la suivre. Quelques femmes étaient à cheval; d'autres, assises sur des canons chargés, tenaient en main la mèche allumée, sans se douter du danger qu'elles couraient.

Depuis la pointe du jour, le tocsin sonnait dans tous les clochers, et la générale se faisait entendre. Les milices parisiennes, auxquelles on donnait le nom de gardes nationales, depuis que le régiment des gardes s'était réuni à elles, s'étaient rassemblées par bataillons dans la place de Grêve; elles prirent le chemin de Versailles, à cinq heures du soir, précédées de quelques pièces de canon, et ayant à leur tête le général Lafayette, autorisé par un ordre des officiers municipaux.

Le corps législatif avait ouvert sa séance à l'heure accoutumée. Après la lecture du procès-verbal, on lut une nouvelle réponse du roi, concernant la sanction qu'on lui demandait des décrets du 4 août. Ce prince

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