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leurs désirs, redoutent tout changement dont 1787. les avantages sont éloignés, les périls assurés et présens. Quelques faibles réclamations " quelques vaines doléances sont les premières armes opposées, par le peuple, à ceux qui le vexent. Ces plaintes, dictées par la modé→ ration, présentées par la simplicité, sont reçues par l'astucieuse politique ; des paroles vagues, insignifiantes, des projets illusoires de satisfaction suffisent pour calmer cette pas→ sagère effervescence.

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Cependant le tems s'écoule, les généra tions se succèdent; les privilèges, commandés par des circonstances particulières, se changent en droits permanens. Les usurpations, d'abord tolérées, palliées ensuite, sont consa→ crées par un long usage. La marche lente et mesurée des innovations en a voilé une partie des dangers. Les peuples perdent insensiblement de nouvelles portions de leurs propriétés et de leur indépendance. Les anciennes institutions s'altèrent, se dénaturent; la liberté politique s'éteint, le peuple naît enchaîné. L'intérêt public n'est plus qu'un vain nom vide de sens. L'égoïsme prend la place de l'amour de la patrie dans l'ame de chaque colon. Les murmures sont secrets; la crainte étouffe le cri des esclaves. La plus molle des passions, le luxe, développe dans les riches l'esprit d'une tyrannie subalterne: il dégrade la multitude de jour en jour plus hébétée.

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D'un côté, des oppresseurs oisifs et énivrés de l'immensité de leur fortune, promettent des 1787. récompenses à qui pourra leur rendre le sentiment du plaisir, émoussé en eux par l'excès des voluptés; de l'autre, des opprimés à qui la misère ôte la faculté de penser, des brutes qui ne se croient plus des hommes, et qui ne le sont plus en effet en effet, s'occupent exclusivement à chercher une pâture qui n'est accordée qu'à leurs sueurs. Le peuple est prosterné devant les despotes, qui s'abreuvent de ses larmes ; une effrayante stupeur règne dans l'empire. Les visages sont abattus, les ames sont déchirées; le silence semble annoncer la paix : silence de mort, état d'avilissement où chacun s'estime heureux, au déclin de sa vie, de descendre au tombeau, de n'être plus accessible au tourment d'une éternelle oppression calme trompeur, : avant-coureur, des

tempêtes.

Que dire à ceur que la servitude a tellement dégradés, qu'ils osent publier que l'être suprême remit, dans les mains d'un seul homme, sa puissance sans bornes ; et qu'aussitôt les plus nombreuses nations furent tenues de se soumettre à ce fatal arrêt, que la volonté versatile d'un monarque prend l'auguste caractère de loi sacrée ; que le même homme, qui vient de parler au peuple en qualité de législateur, s'armant aussitôt du glaive, est

en droit de punir, comme infraction aux lois 1787. la résistance à ses fantaisies.

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CHAPITRE V.

Abus qui déterminent toutes les révolu tions politiques.

LA

patience du peuple s'étend à des intervalles inégaux, en raison combinée de son industrie et de ses lumières. Lorsqu'il sacrifiait ses droits à la tranquillité publique, que ses yeux semblaient fermés aux vexations les plus oppressives, on ne manquait pas de conclure qu'il était fait pour porter le joug; et quand, irrévocablement aigri par l'excès de ses souffrances, il prend enfin le parti d'y mettre un terme, les mêmes hommes qui venaient de signaler le peuple sous les traits de la faiblesse et de l'imbécillité, le transforment subitement en bête féroce qui ne saurait être liée avec des chaînes assez rivées et assez fortes.

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Toutes les secousses toutes les réactions entre les despotes qui veulent aggraver ou maintenir leur pouvoir, et les peuples indociles au joug sous lequel ils gémissent, la lutte, variée presqu'à l'infini entre les oppresseurs et les opprimés, les nuances qui

modifient

modifient cette lutte, la mobilité qui en résulte dans les gouvernemens, forment la princi- 1787, pale partie de l'histoire des nations : le récit des batailles, des négociations, n'en sont que les accessoires; c'est l'histoire des gouvernans, et non des gouvernés. La plupart de ces guerres, dont l'éternelle monotonie surcharge les monumens historiques, ne furent même déclarées et poursuivies par les rois et leurs ministres, que pour détourner l'inquiétude des peuples, et noyer, dans des flots de sang, leurs plaintes, prêtes à se changer en insurrections.

Des sybarites signent, de sang-froid, au sein de la mollesse qui les environne, l'ordre insensé dont l'exécution couvrira de débris et de cadavres des cités populeuses et des campagnes fertiles. Semblables à ces sauvages qui mutilent, dit-on, leurs prisonniers pour en être plus aisément les maîtres, peu leur importe qu'une partie de la nation soit moissonnée par le glaive, qu'une autre soit ruinée par la dévastation, pourvu que les restes mutilés courbent silencieusement leurs têtes sous leur joug d'airain.

Si les monarques, instruits par l'expérience, employaient du moins, au bonheur de leurs sujets, les intervalles de paix qui naissent de leur épuisement ou des variations de leur politique cauteleuse, cette alternative rendrait l'espérance aux colons éperdus. Tome I.

B

Quelques jours de félicité font oublier aux 1787. hommes des siècles d'infortune. Mais ce soulagement n'arrive point. Il faut payer, pendant la paix, les dettes contractées durant la guerre; c'est-à-dire, il faut préparer, pour la recommencer bientôt, des ressources à ceux qui trouvent leurs avantages particuliers dans les calamités générales.

en

Une horde affamée de sang - sues combre les avenues du trône. Elle demande à grands cris la récompense des services. qu'elle n'a pas rendus. Les maux les plus funestes sont palliés avec art, ou les moyens de guérison disparaissent dans un labyrinthe inextricable de formalités difficiles, de mesures contradictoires, d'intérêts croisés. Le peuple est abandonné à la discrétion des fournisseurs du trésor royal. Le despotisme qui égare les nations, finit par produire le même effet sur les rois. Leur règne n'a plus pour objet que leurs jouissances personnelles.

L'oeil du philantrope suit, avec une admiration mêlée d'inquiétude, le combat inégal entre le pouvoir qui opprime et l'honneur qui repousse l'oppression. Quelle digue assez forte opposera le paisible agriculteur au torrent débordé qui se précipite des montagnes, entraînant les rochers, les arbres, les terres, les habitans et leurs habitations? Comment un peuple, dévoré par les deux monstres des préjugés et de la servitude,

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