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et quelques auteurs vivans. Mes yeux ont été témoins des efforts combinés des nobles des prêtres, des magistrats, et d'une cour aussi faible que crédule, pour arrêter les progrès de l'instruction publique. J'ai vu ceux qui honoraient la France par la beauté de leur génie et la profondeur de leurs vues, forcés, par des trames odieuses, de se cacher dans les antres de la terre, tandis que leurs livres instruisaient et consolaient les hommes.

La persécution est l'aliment des grandes ames; les regards de leurs concitoyens, l'horreur de l'esclavage ces punitions même qui prennent le caractère de récompenses, lorsque les agens de l'autorité les infligent à ceux que la patrie honore, donnaient une vie plus active à leur enthousiasme. L'esprit public se formait et se fortifiait par leurs soins. Plusieurs d'entr'eux, par la seule impulsion de leur génie, calculaient l'époque et les circonstances dans lesquelles la force des choses devait ramener la liberté en France.

Voltaire en combattant à-la-fois l'erreur l'ignorance et la superstition, affaiblit le premier la plupart des préjugés qui s'opposaient à la régénération de la France. Frappés par ce philosophe de l'arme acérée du ridicule, ils se sont vainement débattus sur le tombeau qui devait les engloutir.

1787.

Dans le même tems

Rousseau, moraliste

1787. plus sévère, employait les charmes de l'éloquence à peindre les douceurs de la vie domestique, à resserrer dans le cœur des hommes les liens formés

par la nature, tandis que, vivement affecté par la corruption dẹ nos gouvernemens, il sapait les bases des institutions sociales.

Ce philosophe prononça que ce furent les passions des hommes qui, pour le malheur commun, formèrent les sociétés politiques; que l'être suprême avait créé l'homme pour vivre et mourir dans le désert, sans affections sans chagrins, sans prévoyance, privé des douceurs de l'amitié, et méritant à ce prix une éternelle indépendance. Abjurant bientôt une fatale erreur, que partageraient avec lui tous les gens de bien, si les hommes ne pouvaient être attachés à la sociabilité par les chaînes du bonheur, il développa, dans le contrat social, les principes de la liberté politique. Si toutes les parties de ce systême ne sont pas applicables au gouvernement d'un peuple disséminé sur une vaste surface, il sera éternellement recommandable par les grandes vues de bien public qu'il renferme.

Voltaire et Rousseau éprouvèrent les proscriptions de la magistrature et du clergé. Tous les deux, vainqueurs de leurs juges annonçèrent en mourant que la raison les

vengerait, et que ce moment n'était

éloigné,

pas

1787.

CHAPITRE II I.

Peinture des inclinations humaines. Circonstances qui amènent des changemens dans les états.

O

se

Na peint les hommes courbés sous tous les fléaux, en butte à tous les travers, dévorant dans la guerre, se trompant dans la paix, marchant de calamités en calamités alternativement trompeurs ou trompés, fourbes ou méchants, bourreaux ou victimes, et la vie humaine comme une vaste scène de brigandage abandonnée à la fortune.

S'il en était ainsi, éteignons le flambeau des arts, brisons nos institutions sociales abandonnons nos villes, nos propriétés, nos habitudes, et, sous les lois de la seule nature, cherchons dans les contrées les plus désertes, la paix et la liberté, Mais les hommes, trop souvent opprimés par ceux auxquels ils avaient confié le soin de les rendre heureux, furent encore calomniés par les écrivains qui devaient les instruire. Non, la férocité naturelle au tigre, n'est pas l'apanage de la race humaine. On a trop souvent transformé les passions particulières

en passions générales, les crimes d'un 1787. grand nombre d'individus en accusation contre l'espèce humaine.

L'homme, occupé de l'établissement de
sa famille ou de chercher le bonheur sur
la route de l'industrie ou des jouissances,
loin d'avoir préparé les fléaux politiques qui
désolent le globe, en est perpétuellement
la triste victime. L'homme est un être incons-
tant, irrésolu, emporté, impatient, mais
en même tems bon, sensible, généreux
compatissant ; son ame, capable de s'exalter
jusqu'à la plus sublime énergie, s'ouvre
délicieusement aux sentimens de bienfaisance,
d'activité, de perfection. Plutôt insouciant
que faible, la nature l'avait fait libre; son
incurie le jeta presque par-tout dans les
bras de ses égaux, dont il espérait quelque
avantage. Ami de l'ordre et de la paix
autant que du repos, il dépose volontiers
entre les mains de ceux auxquels il suppose
plus de talens et de vertus, une partie de
sa puissance. Il les investit en même tems
des dangereux moyens d'en abuser. Sa muni-
ficence les entoure des plus flatteuses préro-
gatives; et, dans l'espoir de la sollicitude
tutélaire qu'il attend d'eux, en échange des
biens dont il les entoure, on le voit s'in-
cliner devant l'idole fabriquée par ses mains
et s'endormir dans une confiance aussi trom-
peuse que profonde.

8

Il n'est pas éveillé par les premiers pas que font ses préposés pour l'environner de chaînes. On supporte les abus aussi long-tems qu'ils ne sont pas extrêmes ; cette condescendance contribue même à les accréditer. Tout pouvoir cherche à étendre ses limites. Le magistrat emploie le sien à se procurer une grande influence. Sous prétexte de maintenir la paix intérieure, et de ramener à l'ordre les réfractaires aux lois, il lui faut des ministres, des agens, des hommes armés, des places fortes et des trésors, pour conserver ces choses. La force publique se concentre dans ses mains, d'abord avec mesure et quelque retenue ; mais si lá même famille jouit long-tems d'un pouvoir héré. ditaire, le desir d'asservir la nation se transmet de père en fils les moyens d'y parvenir forment la politique et le secret du trône. Les rois naissent bientôt environnés d'une autorité presque illimitée. Ils la conservent avec une sombre jalousie ; ils regardent le pouvoir souverain comme leur patrimoine, et la nation sur laquelle ils règnent, comme leur héritage.

:

Le peuple souffre long-tems, avant que des murmures viennent troubler ses oppresseurs dans leurs illusions. Ce n'est pas qu'il ne sente ses forces, mais on rencontre rarement de ces ames d'une trempe à toute épreuve, destinées par la nature à changer la face des empires. Les hommes, satisfaits d'une somme de bonheur appropriée à la médiocrité de

1787.

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