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tez plus haut que les brumes froides où vous avez parfois le triste courage de vous emmurer. Moi, la cloche, la voix du ciel, je vous avertis que vous n'êtes pas seulement que des machines condamnées au travail; suivez-moi, mes Amis, obéissez-moi! Mettez-vous à genoux pour prier: car je vous oriente vers la région des espérances immortelles, alors que je vous rappelle un Dieu et un Père à servir, une âme à sauver, une éternité de bonheur à préparer. ▾

Mais, Mes Frères, vous n'écoutez point; vous ne voulez pas écouter; vous fermez vos oreilles et vos cœurs aux accents troublants de la cloche. Vous ne vous déroberez point pourtant à sa miséricordieuse influence. Qu'est-ce donc? Le glas tinte dans un rythme convulsif et brisé comme un sanglot. La « Cloche des larmes, comme on disait au moyen âge, gémit sur l'agonie d'un homme. Malgré vous alors, Mes Frères, l'au-delà ne vous apparaîtil pas, et, dans la nuit sombre dont vous aimiez à vous entourer, un éclair terrible, brusquement ne vient-il pas de luire? Puis, quand la mort a ravi l'un des nôtres, lorsqu'il est parti pour le grand voyage d'où il n'y a pas de retour, la cloche l'accompagne de ses adieux éplorés, gémissant avec ceux qui gémissent, pleurant avec ceux qui pleurent. Ah! sa voix puissante franchit tous les obstacles et brise toutes les barrières. Elle s'indigne de l'indifférence des uns et de la quiétude des autres. Elle veut qu'un peu de sympathie aille à celui que l'on ne verra plus; elle arrache, sinon une larme ou une prière, du moins un souvenir; et sur la cité affairée comme sur le village recueilli, elle fait planer la pensée du lendemain éternel qui bientôt se lèvera sur chacun des vivants.

Toujours fidèle à sa mission d'apôtre, la cloche a des sons gracieux, des carillons bondissants et légers pour annoncer et sanctifier les joies de la terre. Tantôt elle redit à tous les échos l'epithalame des nouvelles fiançailles; tantòt, quand elle égrène ses notes argentines, elle élargit l'allégresse d'un foyer à qui Dieu envoie un enfant, jusqu'à une population tout entière. Au matin d'une première communion comme il est attendu, le chant de la cloche, apportant au cœur de douze ans la suave invitation de Jésus impatient de se donner à lui! Et quel est parmi nous, mes chers Confrères, le prêtre dans le cœur duquel ne vibre point, toujours aimée, la résonnance de la cloche qui modula, dans la fête. universelle, l'hymne inoubliable de notre première messe?

Oui; de nos souvenirs les plus chers, les plus intimes, les plus

sacrés, elles montent, ces tremblantes vibrations de la cloche, comme venant de profondeurs infiinies amies associées à nos joies et à nos douleurs, complices miséricordieuses et immuables de nos espérances ou de nos effrois!...

Et toujours, elles évoquent, au fond de nos âmes, les plus grands mystères du christianisme, tous les articles du symbole, traduits en sons harmonieux : crescat in eis devotio fidei.

La cloche enfin nous rappelle nos devoirs envers Dieu, celui surtout qui les renferme tous : la sanctification du Dimanche : Hoc vasculum ad invitandos filios sanctæ Ecclesiæ.

Pendant six jours, Mes Frères, vous avez assez peiné. En haut vos ambitions! En haut vos espoirs! En haut vos amours: c'est le jour du Seigneur. Plus longs, ce jour-là, retentiront les appels de la cloche. Elle les renouvelle avec une insistance presque maternelle. La prière commune ne resserre-t-elle pas les liens de fraternité catholique? La parole de Dieu ne vous est elle pas donnée comme un viatique au substantiel réconfort, grâce auquel vous aborderez, plus vaillants, les six autres jour de labeur? Cette vieille église n'est elle pas comme le parvis du pays éternel? N'en emporterez-vous point la douce vision dans l'atelier, dans l'usine, dans les champs, auxquels vous devez arracher, de haute lutte, votre pain quotidien?

O vous les vaincus de la vie, vous, les condamnés au travail sans trève, obéissez à la cloche qui vous convie au repos de vos corps et aux joies nécessaires de vos âmes. Venez vous reprendre dans cette fête divine et populaire que vous offre chaque dimanche, Puis de nouveau ravigorés, recréés et refaits, à la lutte contre la nature! A la peine, aux sueurs! Elles sont bénies de Dieu.

Et, maintenant, Agathe, oiseau d'airain, (1) montez dans votre cage de chêne.

Jadis, quand le métal de la cloche bouillonnait dans la fournaise, nos pères y jetaient bijoux, bagues, bracelets, afin qu'elle transmit quelque chose d'eux-mêmes à la grande voix qui parlerait aux peuples présents et aux générations à venir.

Agathe, quand vous vous balancerez au milieu des nuées, à tous vous rappellerez l'inépuisable charité de votre marraine, sa bonne grâce charmante à toujours servir et à s'associer au culte

(1) Victor Hugo Les Chants du crépuscule.

de la justice et à l'amour du droit, qui fleurissent à son noble foyer. Agathe, vous résonnerez comme le clairon des batailles pour redire le nom de votre parrain et susciter au loin les vertus que nous devons aimer le courage et la loyauté.

Agathe! Multipliez, les joies! Consolez les tristesses! Augmentez les bonheurs dans cette paroisse de Saint-Ouen, dans cette cité catholique de Caen! Agathe! portez à Dieu nos supplications, nos larmes, nos cris angoissés. Surtout arrêtez le vol ailé de vos cantiques sur la tombe de nos morts, pour leur attester la pérennité de nos tendresses et la fidélité de nos souvenirs. Ah! semez la foi, versez l'espérance, répandez l'amour ainsi soit il!

Sur la cloche est gravée cette inscription:

L'AN MDCCCIC LE 24 JUIN, MM. LETOURNEUR CURÉ, DESMOTTES VICAIRE, MACHPY PRÉSIDENT DE LA FABRIQUE, ENAULT TRÉSORIer, j'ai ÉTÉ BÉNITE PAR SA GRANDEUR MONSEIGNEUR LÉON-ADOLPHE AMETTE ÉVÊQUE DE BAYeux et Lisieux ET NOMMÉE AGAthe, par Henry, COMTE DE PUISEUX, ANCIEN SERGENT-MAJOR AUX ZOUAVES PONTIFICAUX, CHEVALIER DE L'ORDRE MILITAIRE DE PIE IX, ET DAME AGATHE, ÉPOUSE DE MAITRE JOSEPH LAÎSNÉ DES HAYes, professeur de Droit a l'UnivERSITÉ DE CAEN.

NÉCROLOGIE

Son Éminence Monseigneur le cardinal SOURRIEU, ARCHEVÊQUE DE ROUEN

Tous ceux qui ont eu l'honneur d'approcher Mgr Sourrieu n'oublieront ni son affabilité, ni cette fine bonhommie que la physionomie un peu sévère et hautaine de l'archevêque de Rouen ne laissait pas deviner. Mgr Sourrieu en effet avait avec l'un de ses prédécesseurs, Mgr de Bonnechose, certaines affinités morales et une ressemblance physique que la mort a, paraît-il, accentuée. Sous l'apparence froide du prince de l'Église, il cachait un cœur de père dévoué et aimant, un cœur d'apôtre rempli de zèle pour le salut des âmes.

Sa Grandeur Mgr Sourrieu n'aura fait que passer sur le siège archiepiscopal de Rouen. Il y a juste cinq ans, le 15 mai 1894, il quittait l'évêché de Châlons pour venir diriger l'église métropolitaine de Normandie. Trois ans après, il était revêtu de la pourpre cardinalice au titre de saint Clément.

Né en 1825 à Aspet (Haute-Garonne) d'une famille d'universitaires, Mer Sourrieu sentit naître en lui, en même temps que la vocation sacerdotale, le besoin de se consacrer au salut des âmes par la prédication. Missionnaire écouté, orateur apprécié; chez les Pères du Sacré-Coeur comme chez les Chapelains de Rocamadour, ce fut toujours l'apostolat qui remplit sa vie et c'est au milieu de ce labeur incessant que vint s'offrir à lui le lourd fardeau de l'épiscopat. La vie de Mer Sourrieu est donc des plus simples dans son admirable unité. Apôtre, il n'avait cessé de l'ètre, même sous la pourpre romaine, et c'est avec le courage d'un apôtre qu'il a vu

venir à lui la mort qu'on lui avait annoncée et qu'il ne craignait pas.

Un homme politique libre-penseur appréciait, paraît-il, en ces termes l'éloquence du prélat : « Sa parole s'empare, sans effort, même des esprits les plus mobiles, les moins disposés aux sentiments religieux. L'éloge n'est pas mince; il serait à souhaiter qu'on pût l'adresser à tous les maitres de la chaire chrétienne.

Au demeurant, Mgr Sourrieu fut toujours un évêque modeste, ennemi de toutes les manifestations bruyantes qu'il jugeait stériles, aussi menait-il à l'archevêché de Rouen, une vie simple et retirée toute à l'étude et à la prière; ce qui n'empêche pas que lorsque l'occasion s'en présentait, Son Éminence savait, avec une vigueur peu commune signaler le danger et flétrir les manœuvres des sectaires antireligieux. On se souvient de quelle façon, à Évreux, lors du sacre de Sa Grandeur Mer Amette, il parla de la liberté de l'enseignement et dans quels termes il rappela l'œuvre de Mer Dupanloup en remettant au nouvel évêque cet anneau qui avait appartenu naguère au vaillant défenseur d'une cause sacrée.

Le vieillard avait retrouvé toute la force de la jeunesse pour défendre les idées de justice et de liberté. Orateur avant tout, Son Éminence Mer Sourrieu savait également apprécier l'œuvre de l'écrivain, aussi donna-t-il à la Revue catholique de Normandie les encouragements les plus flatteurs : nous remplissons donc aujourd'hui un double devoir en adressant à celui qui n'est plus ce dernier hommage respectueux et reconnaissant.

P. DE L.

Monsieur le marquis de CHENNEVIÈRES

M. le marquis de Chennevières, ancien directeur des BeauxArts, est décédé à Paris le 2 avril dernier. Resté Normand de cœur comme il l'était de naissance, rien de ce qui touchait la Normandie ne lui était indifférent; aussi fut-il l'un des fondateurs de cette Revue. Il tint également à être l'un de ses collaborateurs et personne n'a oublié le remarquable article qu'il y publia sous le titre : « Notre clergé gouvernant ses artistes ». C'était une rare bonne fortune pour nous, car M. de Chennevières est un de ces hommes

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