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Fournel (1), curé de l'Ancienne-Lorette, qui prétend que sa paroisse est réduite à rien :

<«< Joachim Fornel, curé de l'Ancienne-Lorette (2), remontre à Votre Grandeur que, par l'arrêt du Conseil d'État du Roy, rendu l'année dernière, pour régler les districts des paroisses de la Nouvelle-France, celle de Lorette se trouve réduite à un si petit nombre d'habitants, qu'elle semble ne devoir plus mériter le nom de paroisse, tant le nombre de ceux qui restent est peu considérable... » (3).

Du côté de Montréal, les habitants de Mouille-pieds écrivent à Mgr de Saint-Vallier pour protester contre leur annexion à Longueuil :

« Ce sont, disent-ils, de pauvres sujets de Sa Majesté, habitants du lieu dit Mouille-pieds, de la paroisse de la Prairie de la Made

(1) Voici ce que M. de Beauharnais, gouverneur du Canada, écrivait au ministre au sujet de l'abbé Fornel : « Il a tenu à plusieurs religieuses des discours sur la Constitution (Unigenitus), à l'occasion de M. le cardinal de Noailles, qui ne convenaient guères. On lui en a fait faire des reproches par un de ses confrères, qui lui a fait sentir sa sottise dans toute son étendue. Il lui répondit qu'il l'avait dit pour rire. C'est une peste qu'un tel sujet dans un pays aussi sain que l'est celui-ci. » (Documents de Paris, Église du Canada, Lettre du 16 oct. 1727). On lit encore à son sujet dans une lettre de Mer Dosquet: « Il est important, pour avoir la tranquillité dans le Chapitre, qu'il n'y réside pas : il est inquiet, il ne peut y souffrir de Français, et il décide en maître. » (Ibid.). Mar de Saint-Vallier nomma, en 1726, le chanoine Fornel à la cure de Louisbourg, dans l'ile Royale; mais le gouverneur de l'ile, M. de Saint-Ovide, s'opposa à ce qu'il en prit possession, et adressa des plaintes à la cour à son sujet. Le chanoine fut obligé de redescendre à Québec.

C'est lui qui prononça l'oraison funèbre de Mar de Saint-Vallier, à la cathédrale, au commencement de 1728. Il passa en France dans l'automne de cette même année, et en revint l'année suivante, à la demande de Mar Dosquet. Le prélat se reprochait cela plus tard : écrivant au ministre : « Je vous demande pardon, disait-il, de vous avoir prié d'accorder le retour dans ce pays-ci au sieur Fornel; j'avoue ma faute, car tant qu'il y restera, l'on ne peut espérer d'y voir régner la paix. >>

La cour envoya en 1731 une lettre de cachet pour le faire repasser en France; mais encore cette fois, il fit tant de promesses à l'évêque et usa de tant d'artifices, qu'il obtint de rester au Canada.

Son père, Jean Fornel, était marchand à Québec, et demeurait à la BasseVille, rue Notre-Dame.

(2) Remarquons que ce curé, lorsqu'il faisait cette plainte, n'était âgé que de vingt-six ans et n'avait que trois ans de prêtrise!

(3) Archives de la marine, Canada, correspondance générale, vol. 45.

laine en Canada, que l'on veut forcer de quitter leur dite paroisse de la Prairie de la Madelaine, pour être de celle de Longueuil, qui osent se jeter aux pieds de Votre Grandeur pour implorer la justice à ce sujet... » (1).

Leur curé, M. Ulric, vient appuyer leurs plaintes; mais il ne se contente pas d'écrire à l'évêque, il s'adresse directement au secrétaire d'État dans le département de la marine, le comte de Morville, et lui envoie des mémoires pour réclamer contre le retranchement qu'on veut lui faire d'un endroit très considérable de sa paroisse, nommé Mouille-pieds, pour être attaché à celle de Longueuil.

Sa plainte est référée à l'intendant du Canada, avec prière de lui rendre justice. Alors M. Ulric écrit de nouveau au secrétaire du département de la marine :

« J'ai reçu avec toute la reconnaissance possible la lettre dont Votre Grandeur m'a honoré, de Paris, du mois d'avril. On a renvoyé ici à M. l'intendant mes mémoires, avec ordre de me satisfaire; mais le dessein qu'il a de faire plaisir au gouverneur des Trois-Rivières de ce pays lui a fait passer sous silence les ordres de la cour à mon sujet. Cependant, on me fait, monseigneur, l'injustice la plus criante qui fût jamais, et qui est à un tel excès que je ne puis assez l'exprimer. Mon évêque en gémit; mais que peut-il contre un intendant qui, éloigné de la cour, prétend que tout doit suivre ses volontés?

Si j'osais supplier Votre Grandeur de dire un mot en ma faveur au ministre de la marine, et de lui faire présenter mon placet par quelqu'un, je le ferais, prosterné à ses genoux; du moins, qu'Elle me fasse donner passage dans le vaisseau de Sa Majesté, pour que je puisse moi-même aller représenter la justice de mon droit. »

Il parait que l'usage de donner des petits présents aux personnages haut placés, pour les amadouer et se les rendre propices, était déjà connu et pratiqué à cette époque, car M. Ulric ajoutait avec la souplesse d'un courtisan accompli :

C'est trop pour moi, monseigneur, que Votre Grandeur ait agréé la peau de loup-cervier que j'ai pris la liberté de lui faire tenir, sans encore y ajouter l'honneur de son souvenir. J'ai hésité

(1) Ibid.

longtemps si je lui en enverrais cette année deux que j'ai entre les mains; mais comme elles ne m'ont point paru belles, à cause que l'hiver a été fort doux cette année en ce pays-ci, je n'ai pas eu assez de confiance pour le faire. J'en ferai venir une demi-douzaine, des mieux choisies, du meilleur endroit du nord, pour l'année prochaine, afin qu'au retour des vaisseaux vous me fassiez la grâce de vouloir bien les accepter... (1).

Le Règlement des districts de paroisses finit par être reçu partout sinon de bonne grâce, du moins comme un fait accompli. Quant à M. Ulric, en particulier, Mgr de Saint-Vallier employa, pour le calmer, un moyen qui lui réussit à souhait, et qui a réussi depuis également en maintes occasions: il le transféra à la belle cure de Varennes; et les habitants de Mouille-pieds ne songèrent plus à se plaindre de leur annexion à Longueuil le gouverneur et l'intendant écrivaient à la cour l'année suivante :

Il y a lieu de croire que le sieur Ulric, curé de la Prairie de la Madelaine, agissait sous le nom de ceux des Mouille-pieds, qu'il voulait avoir; car ces habitants ne demandent plus d'être de cette paroisse, à présent qu'il est curé de Varennes; et le sieur Poulin qui est à sa place est content de son district... ›

Ils ajoutaient « Il est assez difficile, dans un règlement général, de concilier l'intérêt particulier avec la vue que M. l'évêque a eue d'égaliser autant que faire se pourrait les cures, et d'éviter que des habitants ne fussent obligés de traverser le fleuve pour aller à leur paroisse... » (2).

Le Règlement de 1722 avait donné naissance à quatre-vingt-deux paroisses ou districts paroissiaux. Dix ans plus tard, on en comptait une centaine, au témoignage de Mgr Dosquet; mais, d'après ce même témoignage, que nous avons déjà cité, il n'y avait pas plus d'une vingtaine de paroisses qui fussent « remplies par des curés en titre toutes les autres n'étaient « desservies que par de simples missionnaires. » C'est-à-dire que le temps et l'expérience avaient démontré la sagesse du système établi au Canada par Mgr de Laval : ce système était le seul pratique dans ces espaces

(1) Ibid., Lettre de M. Ulric (Paul-Armand) au comte de Morville, 8 octobre 1723.

(2) Ibid., vol. 47, Lettre de MM. de Longueuil et Bégon au ministre, 31 octobre 1725.

immenses de dix, douze et quinze lieues, qui ne faisaient qu'une seule mission. »

« Ce système, disait Msr Dosquet, conforme à celui de toutes les églises naissantes de l'Amérique, des Indes, des Philippines (1), etc, est une exécution précise de la déclaration du mois d'avril 1663, qui porte par exprès que, pour se conformer autant qu'on le pourrait à la primitive Église, l'évêque de Québec ne fixerait irrévocablement aucun prêtre dans aucune paroisse, mais la ferait desservir par un simple missionnaire (2). On s'en est tenu constamment à cet usage. Il est vrai que de temps en temps on y a fait quelque changement. Il est venu des lettres de la cour qui portaient une permission du Roy pour les fixer toutes mais cela n'a point eu de suite. M. de Saint-Vallier a fait venir des ordres contraires; il en a fixé peu lui-même; le peu même qu'il a jugé à propos de fixer, il l'a remis à son ancien état, à la mort du premier titulaire... (3).

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De fait, nous croyons qu'à part celui de Notre-Dame de Québec, il n'y eut jamais au Canada de curés inamovibles dans le sens véritable et canonique du mot. Ce que l'on entendait généralement, à l'époque qui nous occupe, par curés fixes, c'étaient, comme l'explique quelque part l'intendant de Meulles, des curés

qui ne seraient pas obligés d'aller d'habitation en habitation pour desservir les peuples, mais qui auraient leurs églises et presbytères, où ils demeureraient toujours, et où les peuples iraient entendre la messe... » (4).

Les paroisses que nous venons d'indiquer, échelonnées sur une étendue de plus de deux cents lieues, formaient le diocèse de Québec proprement dit: que de fois Mar de Saint-Vallier en fit la visite pastorale! Mais son diocèse s'étendait aussi jusqu'aux missions lointaines de l'Acadie, jusqu'à l'île Saint-Jean et au CapBreton, jusqu'aux missions reculées du Détroit, des Tamarois, de

(1) Les Philippines, dont on parle tant aujourd'hui, furent converties en 1571, et un évéché fut alors fondé à Manille. (Histoire de l'Église, par l'abbé Beurlier, p. 203).

(2) Approbation du roi pour l'établissement du Séminaire de Québec, dans les Edits et Ordonnances, t. 1, p. 35.

(3) Archives de la marine, Canada, correspondance générale, vol. 46, Mémoire sur l'affaire des curés fixés par le Chapitre de Québec.

(4) Lettre de M. de Menlles au ministre, 4 novembre 1683.

la Louisiane. Deux fois, 1686 et 1689, le prélat fit en visite pastorale le voyage, alors si périlleux et si difficile, de l'Acadie. S'il n'eût écouté que son zèle, il se serait rendu jusqu'aux extrémités les plus lointaines de l'immense territoire soumis à sa juridiction; mais son âge et ses infirmités ne le lui permirent pas. Il dut se contenter d'y envoyer de bons et intrépides missionnaires : les prêtres de Saint-Sulpice et des Missions-Étrangères rivalisaient de zèle en Acadie; le Séminaire de Québec avait la mission des Tamarois; les Récollets, les Jésuites, les Capucins exerçaient leur zèle au Détroit, dans les différents postes de l'ouest, à la Louisiane (1).

(1) Nous avons signalé dans notre étude sur Henri de Bernières les doléances du P. de Rochemonteix à propos de la mission des Tamarois confiée au Séminaire de Québec, et de ce qu'il appelle « la mesure arbitraire » de Ms de Saint-Vallier. Celles dont il nous fait part au sujet du rappel « douloureux, mais obligé, » des Jésuites de la Louisiane, en 1703, ne sont pas moins touchantes.

Ces religieux, nous dit-il, y avaient été envoyés par le ministre de la marine, à la demande de M. d'Iberville; et ils établirent, d'abord à Biloxi, puis à Mobile leur résidence. On doit supposer, bien qu'il n'en fasse nullement mention, que la chose ne s'était pas faite à l'insu de l'Ordinaire, ou que du moins, une fois arrivés dans cette partie du diocèse de Mar de Saint-Vallier, ils s'étaient assurés de son agrément et mis en règle avec lui.

Le malentendu commença lorsque les prêtres des Missions-Etrangères vinrent, eux aussi, se fixer à la Louisiane, et que le prélat nomma l'un d'eux son grand vicaire pour la colonie. Les Jésuites, ne voulant pas se soumettre à la juridiction de ce prêtre, proposèrent qu'on leur donnât un district séparé où ils fussent seuls, « et sans concurrents; » ils demandaient que leur supérieur y « fût le grand vicaire né » de l'évêque :

<< Jamais, dit le prélat, je ne ferai un Jésuite mon grand vicaire, quand même la cour leur accorderait un district où il n'y aurait point d'autres missionnaires que de leur ordre. » (Les Jésuites et la Nouvelle-France, t. III, p. 580).

On fit auprès de l'évêque instances sur instances; on fit intervenir le ministre; on menaça de retirer les Jésuites de la Louisiane : « Monseigneur resta ferme, écrit le P. de Rochemonteix. Il n'entrait pas dans le tempérament de ce prélat, autoritaire et entêté, de lâcher une seule de ses idées. »

Les Jésuites, apparemment, n'étaient pas moins tenaces : « Le Provincial de France, ajoute-t-il, prit aussitôt, de l'avis de ses consulteurs, la résolution que lui dictait le devoir, résolution douloureuse, mais obligée : il rappela les trois Pères, missionnaires à la Louisiane. Le P. du Rue... se fit une place parmi les prédicateurs en France. Le P. de Limoges et le P. Dongé revinrent le cœur profondément navré ni l'un ni l'autre ne survécurent longtemps à leur grande douleur... >>

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