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qui avait été arrêté en ce Conseil le 13 décembre dernier, et qu'il fût fait une note sur le dit rôle, déclarant qu'on n'entendait pas y comprendre la maison de M. l'évêque, et qu'on recevrait ce que son procureur voudrait bien donner de sa bonne volonté. » Il demandait aussi qu'on lui donnât un reçu de la somme ainsi offerte, et qu'il fût mentionné dans ce reçu que le procureur de l'évêque avait offert de son bon gré la dite somme pour être employée à l'achat d'un nombre de sceaux destinés à remédier aux accidents du feu. »

C'était la mise en pratique au Canada de ce qui se faisait en France de temps immémorial. Les propriétés ecclésiastiques, de droit, y étaient censées exemptes de taxes générales ou locales. Mais le clergé, dans ses assemblées ordinaires ou extraordinaires, votait au roi on s'imagine avec quelle liberté! des sommes considérables qui étaient prélevées sur les évêchés, sur les abbayes, sur les différents bénéfices ecclésiastiques.

-

Le Conseil Supérieur ne refusa pas l'offre de M. Le Vallet; mais il lui ordonna en même temps de justifier des titres et exemptions prétendus par M. l'évêque de Québec, pour iceux rapportés et communiqués au procureur général être ordonné ce que de raison.» Les offres de M. Le Vallet furent acceptées « par provision et sans préjudice des droits des parties au principal. »

Quant aux corvées pour les travaux publics, le droit du clergé et des communautés religieuses d'en être exemptés ne paraissait pas bien défini ils y contribuaient volontiers; mais on les laissait généralement à leur générosité. L'intendant Beauharnais ayant été accusé, en 1702, d'avoir obligé le clergé à fournir des pieux pour les fortifications de Québec (1), répondit à la cour le 15 novembre 1703:

(1) A propos de ces premières fortifications de la ville, en pieux, je trouve dans une lettre des Ursulines de Québec à M. de Pontchartrain de curieux détails, qui donnent une idée des bouleversements de terrain que ces travaux avaient causés :

« Les religieuses Ursulines du monastère de Québec vous remontrent très humblement qu'en l'année 1692, dans les travaux qui se firent pour fortifier la Haute-Ville où elles sont établies, on coupa par le milieu leurs cours et jardins, détruisit un bois de haute futaie de quatre arpents, qui faisait tout l'ornement de leur maison et les mettait à couvert de ceux du dehors, ruina quatre autres arpents de terre que l'on dépouilla jusqu'au roc vif pour les terrasses et terrepleins, et une quantité d'autres aux environs qui servaient

pacager leurs

Le sieur de Beauharnais n'a jamais ordonné aux curés de fournir des pieux; et si les communautés ecclésiastiques en ont fourni, çà été sur ce que feu M. de Callières lui représenta de les comprendre dans les ordonnances, attendu leurs grands domaines; et le sieur de Vaudreuil juge qu'il est juste que les curés qui ont des habitations, sans comprendre le presbytère, fournissent comme les habitants, puisque les Jésuites en fournissent, à la Prairie de la Madelaine et autres endroits, selon le bien qu'ils ont; et le sieur de Beauharnais a eu l'honnêteté de laisser à ces messieurs la liberté de se taxer eux-mêmes pour la quantité de pieux qu'ils fourniraient... »

Il y eut en 1706, à propos de ces corvées pour les fortifications, un incident assez curieux, que M. de Louvigny, alors commandant à Québec, racontait ainsi au ministre :

Monseigneur, j'ai cru qu'il était de mon devoir que Votre Grandeur fût informée pleinement de la manière dont je me suis conduit pendant le temps que j'ai eu l'honneur de commander à

bestiaux, démoli leurs grange et étables presque neuves et d'une solide construction, ayant d'ailleurs perda pour les dites fortifications deux emplacements qui leur valaient seize livres de rente chacun, en sorte qu'elles ont été obligées d'acheter proche d'elles pour plus de 1200 francs de terrain, afin de se rélargir tant soit peu, n'ayant été récompensées pour tous les dommages qu'elles ont soufferts par la perte de leurs terres et bâtiment que de la somme de 1500 livres, qui n'est pas la huitième partie de la valeur du tout... >>

Un document de 1710 nous montre qu'à cette époque, on en était encore à ce genre primitif de fortifications:

« Québec n'est encore fortifié qu'en pieux, terrasses. On avait commencé une enceinte de pierre; mais comme le projet parut trop étendu, on donna ordre l'année dernière de tenir un conseil de fortifications, et d'examiner ce qu'il conviendraiit le mieux pour mettre la place en sûreté. Ce conseil a été tenu, et on y a conclu qu'il fallait abandonner ce projet et suivre les anciennes fortifications en les élevant et revêtissant de pierre... »

Montréal avait également une enceinte de pieux : « M. de Callières avait fait clore la ville de Montréal d'une enceinte de gros pieux de cèdre d'environ quinze pieds hors de terre, avec de fortes guérites et plateformes, en sorte que cette place était fermée et gardée comme elle doit être, et comme sont les villes de guerre... » (Lettre de M. Chaussegros au ministre, 25 oct. 1721). En 1724, M. de Louvigny écrivait au ministre que la population du Canada dépassait trente mille âmes, et que la colonie « serait bientôt en état de se soutenir contre les ennemis du roi, si Sa Majesté faisait une faible dépense pour fortifier la ville de Québec, dix mille écus chaque année pendant cinq ans... » Et il ajoutait : « Les Canadiens aiment leur roi... >>

Québec. cet été, dans le cours duquel MM. de Vaudreuil et Raudot ont ordonné les travaux publics pour les terrasses par les corvées des habitants...

« M. Levasseur détermina les corvées à cinq jours de travail, afin qu'elles fussent amples. Celles des habitants de la campagne, sans harnais, avaient été réglées à dix jours, sans prendre les vivres du roi, et à quinze jours pour ceux qui en prendraient, par M. le gouverneur et MM. les intendants.

La première escouade suivit exactement ce qui avait été réglé; mais la seconde me fournit quelques difficultés dont je ne puis me dispenser de donner connaissance à Votre Grandeur.

Le supérieur des Récollets, nommé le P. Luc, en l'absence de son gardien, écrivit et prétendit que, n'étant point rentés, ils n'étaient point tenus de suivre les exemples des autres communautés, et conclut, quelles que prières que je lui pus faire, qu'il ne se soumettrait pas. -Les grâces que votre Ordre reçoit tous les jours des bontés du roi, lui dis-je, cette maison bâtie par le secours public, ce vaste emplacement que vous occupez dans le cœur de la ville, tout cela mérite quelque reconnaissance. Ces raisons me semblent valables pour vous exciter, à l'exemple des autres communautés, au service du roi, au bien public et à votre propre conservation. - Voilà de bonnes raisons! me dit ce Père. Non, monsieur, je n'en ferai rien. Vous avez la force en main : envoyez chercher notre charretier, et le commandez, si vous le trouvez. »

Pour lors, monseigneur, outré de cette réponse, pour ne pas me servir du terme de désobéissance, je lui dis : « Si votre charretier n'est pas, le 18 du mois, sur les travaux. pour y recevoir les ordres de M. Levasseur, je l'enverrai chercher. Faites, monsieur, dit-il, si vous le trouvez. » A ce refus, je lui dis : Oui, monsieur, je le ferai. » Aussitôt, me regardant d'un air dévot, il me dit d'un ton emporté : « Vous jurez Dieu, monsieur. Oui, mon Père, mais non pas en vain. J'assure l'exécution de mes paroles pour le service du roi, par serment. »

Quelques affaires m'ayant obligé d'aller, peu de temps après, chez M. Levasseur, j'y trouvai ce religieux qui, en me voyant, vint se jeter à mes genoux, me demanda pardon, s'il m'avait offensé. L'état où il était ne me convenant point, étant d'ailleurs mon confesseur, je le relevai et l'assurai qu'il ne m'avait point offensé.

mais qu'il avait paru réfractaire aux ordres du roi, auquel nous devions être très soumis. Mes raisons lui firent accorder ce que je lui demandais, en partie, mais non pas sans murmurer.

Il est important, monseigneur, qu'il vous plaise statuer sur ce point pour l'avenir, puisqu'il est assuré que les communautés de ce pays ont toujours été commandées pour les corvées publiques; et j'ai soutenu à l'égard de celle des Récollets, qui seuls s'en éloignent par des prérogatives qu'ils disent avoir en France, que vivant dans l'ordre et la régularité des mendiants, dont il publient la profession, sans avoir de possessions en propre, ils étaient suivant leur institut dans la régularité, et qu'ils pouvaient être compris dans le nombre des exemptions que Sa Majesté accorde; mais que faisant un commerce ouvert de bière et deux barques qu'ils frètent, et d'un harnais qu'ils louent, ils sont dans l'irrégularité de leur Ordre, et que par conséquent ils sont sujets aux corvées publiques; ôtant à des artisans les moyens de gagner leur vie, par les métiers qu'ils font exercer dans leur maison, ils doivent subir les lois auxquelles les dits artisans seraient sujets; et quoique ces bons Pères disent que ces difficultés n'arriveront plus, je suis très aise de vous en éclaircir, monseigneur, afin qu'il vous plaise de décider des justes raisons des Récollets ou de moi... »

En effet, c'était une question importante de droit à régler. Je ne sais dans quel sens elle fut décidée, ni même si elle le fut jamais. Je n'ai pu constater non plus si Mgr de Saint-Vallier se rendit aux ordres du Conseil qui voulait lui faire exhiber ses titres à l'exemption des taxes municipales.

Ce qui paraissait bien acquis, ou du moins de mieux en mieux reconnu, c'était le droit du clergé d'être jugé par des tribunaux ecclésiastiques.

En 1712, un nommé Garnault, de l'Ange-Gardien, vient se plaindre au Conseil de ce que son curé, M. Dufournel, a refusé de l'entendre en confession. Le Conseil, sans trop réfléchir, reçoit d'abord sa requète. Mais il suffit que M. Philippe Boucher, curé de la paroisse de Saint-Joseph à la Pointe-de-Lévy, promoteur de l'officialité, vienne lui-même à la séance suivante, et proteste contre la présentation de cette requête au Conseil : « Celui qui l'a dressée, dit-il, ne savait pas sans doute que les juges laïques ne connaissent jamais d'affaires qui regardent les matières spirituelles

telles qu'est celle-ci. Quand on accuse un prêtre de ne pas faire son devoir dans l'administration des sacrements, il ne peut être cité pour cela que par devant l'official, suivant l'art. 34 de l'édit de Versailles du mois d'avril 1695. Dans l'affaire dont il s'agit il n'y a point d'appellations comme d'abus, puisqu'il n'y a eu aucune procédure; et d'accuser un curé de refuser d'entendre à confesse un de ses paroissiens, c'est un cas dont les empereurs ni les rois les plus ennemis de l'Église, ni aucune justice séculière, n'ont jamais entrepris de prendre connaissance... »

Le Conseil renvoya le dit Garnault et sa femme à se pourvoir devant l'official. »

En 1714, Pierre le Boullenger de Saint-Pierre et Marie-Renée Godefroy, son épouse, présentent une requête au Conseil, au nom et comme prenant le fait et cause d'Anne-Marguerite le Boullenger, leur fille. Ils ont appris que le P. Joseph Denis (1), Récollet, faisant les fonctions curiales aux Trois-Rivières, aurait débité les plus noires et les plus atroces calomnies contre la dite Anne-Marguerite le Boullenger; entre autres, il se serait servi de l'occasion de quelques remèdes qu'elle a été obligée de se faire faire par l'ordre de M. Michel Sarrazin (2), conseiller en ce Conseil

(1) Le même dont il a été question dans l'affaire du prie-dieu de M. de Callières.

(2) Membre de l'Académie des Sciences, l'un des plus savants naturalistes qui aient habité le Canada. D'après une lettre de Frontenac, il songea sérieusement à se faire prêtre, et entra même dans ce but au séminaire de Québec. Voici ce que le gouverneur écrivait de Québec le 15 octobre 1697 :

Le sieur Sarrazin était, il y a quatre ans, chirurgien-major des troupes; s'étant retiré un an auparavant dans un séminaire d'ici, dans le dessein de se faire prêtre, et nous ayant témoigné qu'il voulait quitter son emploi, nous fûmes obligés de mander qu'on nous en envoyât un autre, qui arriva ici avant que le dit Sarrazin en partit pour passer en France, et qui est un très habile homme, consommé dans sa profession, aimé et estimé ici de tout le monde, et qui a servi fort longtemps dans les armées de terre et de mer.

« J'ai appris, depuis, que le dit sieur Sarrazin, ayant changé de dessein, s'était appliqué à Paris à l'étude de la médecine, où l'on dit qu'il a bien réussi : ce qui ne peut être que très utile en ce pays. Ainsi, monseigneur, il sera de votre bonté de voir à lui donner les moyens d'y subsister. Mais je vous demande sur toutes choses que cela ne retranche rien de ce qui revient au sieur Boudeau, chirurgien-major, qui est un homme absolument à conserver... » Du séminaire de Québec, on avait évidemment envoyé Sarrazin au séminaire des Missions-Étrangères de Paris, pour achever de s'y former. Mais là, il s'aperçut qu'il n'était pas appelé à l'état ecclésiastique, et il se livra à l'étude

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