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sur tout ce qui intéressait l'honneur de ses communautés (1). Il ne manquait pas non plus de sauvegarder autant que possible les immunités ecclésiastiques. Je citerai deux ou trois faits qui eurent lieu de son temps pour montrer quelle était à cette époque la position du clergé par rapport aux taxes municipales, aux corvées, aux tribunaux civils.

Nous sommes en 1707 il y a juste un siècle que Québec est fondé. Or, il paraît qu'à cette date les habitants de la campagne arrivant en ville la nuit (2), au lieu d'aller se retirer à l'auberge, faisaient un bon feu sur la grève pour se réchauffer, en attendant le jour. Heureux temps! heureuses mœurs! Il n'y avait qu'un danger dans cette pratique tout-à-fait patriarcale, celui de mettre le feu aux maisons de la Basse-Ville, lesquelles étaient toutes « couvertes de bardeaux. » Mais le danger était si grand que le Conseil Supérieur crut devoir s'en occuper, et défendit, sous peine d'amende, d'allumer aucuns feux sur la grève ». Puis, afin que la ville ne fût pas prise au dépourvu, en cas d'incendie, il ordonna de faire faire cent sceaux de cuir et, pour les payer, de prélever

(1) Voici quelles étaient les communautés du Canada, du temps de Mar de Saint-Vallier, avec la date de leur fondation :

A Montréal, l'Hôtel-Dieu de Saint-Joseph, 1669. (Édits et Ordonnances, t. I, p. 66, Agrément du roi sur l'établissement des religieuses Hospitalières de Montréal); — les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, 1671. (Ibid., p. 69, Lettres patentes du roi qui approuvent l'établissement des Sœurs de la Congré gation de Montréal); le séminaire de Montréal, 1677. (Ibid., p. 91, Établissement d'un séminaire dans l'ile de Montréal); l'Hôpital-Général, d'abord les frères Charon, plus tard (1747) les Sœurs Grises, 1718. (Ibid., p. 359, Lettres de confirmation de l'Hôpital-Général établi à Montréal).

Aux Trois-Rivières, l'Hôpital, 1702. (Ibid., p. 288, Établissement d'un hôpital aux Trois-Rivières).

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A Québec, les Jésuites, 1625 (date de leur arrivée), 1635 (date de la fondation du collège); les Ursulines, 1639; l'Hôtel-Dieu, 1639; le séminaire de Québec, 1663 (Édits et Ordonnances, t. I, p. 33, Établissement du séminaire de Québec); l'Hôpital-Général, 1692. (Ibid., p. 271, Permission du roi d'établir un Hôpital-Général à Québec).

(2) Une traverse régulière du fleuve devant Québec paraît avoir commencé vers 1722. MM. de Vaudreuil et Bégon écrivent au ministre le 17 octobre de cette année « qu'ils ont remis au sieur Lanouillier (de Boisclair) le brevet de Sa Majesté, portant privilège exclusif pendant dix années d'établir des moulins à bateau sur le fleuve Saint-Laurent au devant de Québec, et qu'ils rendront compte du succès de cette entreprise. » Auparavant, on traversait le fleuve en simple canot.

une taxe sur les cheminées, sans exception de personne. › On profita de l'occasion pour faire réparer « l'escalier par où l'on monte de la Basse à la Haute-Ville, au haut duquel sera mis une barrière, où le passage ne sera que de la largeur d'un homme, pour empêcher les bestiaux de le gâter. »

Les cent sceaux de cuir, marqués d'une fleur de lis (1), » devaient être déposés « vingt au château St-Louis, vingt au Palais (2),

(1) Tout, à cette époque, naturellement, était aux fleurs de lys : « Nous vous prions de nous envoyer des tapisseries aux fleurs de lys pour la salle du Conseil et celle de la prévôté... Et même, s'il était possible, le portrait du roi en grand pour mettre sur la cheminée de la salle du Conseil. Le premier tribunal de la Nouvelle-France ose espérer cette faveur de son souverain... » (Lettre de Beauharnais et Dupuy au ministre, 30 octobre 1726).

Ce portrait fut envoyé, en effet, quelques années plus tard: « Nous avons reçu, écrivent au ministre MM. de Beauharnais et Hocquart, par le Héros le portrait de Sa Majesté, qu'Elle a bien voulu accorder pour le Conseil Supérieur. Nous l'avons fait placer dans l'endroit le plus convenable de la salle du Conseil; et il a été arrêté par une délibération qu'il en serait fait de très humbles remerciements à Sa Majesté...» (Lettre de MM. de Beauharnais et Hocquart au ministre, 5 oct. 1735).

En 1725, M. Chaussegros de Léry, ingénieur de la colonie, avait fait mettre les armes royales aux principaux édifices publics: «Ayant remarqué, écrit-il au ministre, que les armes de Sa Majesté n'étaient en aucun endroit dans cette colonie, et qu'on avait oublié de les mettre au-dessus des portes des bâtiments et forts de Sa Majesté, je les ai fait faire complètes par un sculpteur, et les ai fait placer au-dessus des principales portes, savoir au château Saint-Louis, au Palais, magasins, casernes, fort de Chambly, corps de gardes, prisons et salles d'audience des villes de Montréal et des Trois-Rivières.

« J'en ferai placer dorénavant aux portes des villes et à tous les bâtiments nouveaux que je ferai faire, suivant l'usage que les ingénieurs pratiquent aux places de France... >>

(2) Le palais de l'intendant. Il y a dans une lettre de M. Hocquart des détails intéressants sur ce palais. M. Varin, contrôleur de la marine, aurait voulu s'y loger avec sa famille l'intendant écrit au ministre qu'il ne peut lui donner qu'une chambre :

<< Il se trouvera, dit-il, au second étage du palais, une chambre, avec peu de dépense, propre pour y établir le bureau du contrôle, et arranger tous les registres et papiers. Cet arrangement est très convenable au bien du service du roi; mais il n'est pas possible que le sieur Varin puisse venir s'y établir et y loger avec sa femme, son domestique et la famille qui pourra lui venir.

« Le rez-de-chaussée du palais, du côté de l'eau, consiste en caves et salles voûtées, dont partie est employée pour des cuisines, offices, caves pour légumes et à vin, et du côté du nord-est, en trois voûtes où sont les archives.

« Le premier étage est vaste, à la vérité; mais le vestibule, la grande salle d'entrée et l'appartement où je loge au sud-ouest, ne peuvent pas se diviser.

vingt chez les Pères Jésuites, vingt chez M. François Hazeur (1), et vingt chez M. Francois Aubert (2). »

Du côté du nord-est, sont les juridictions et salles des parties, et les bureaux des commis de l'intendance et de mon secrétaire.

« Le second étage, si on excepte la chapelle, n'est propre que pour y loger des domestiques, pour y mettre un garde-meuble. J'y ai seulement une chambre de réserve, et mon secrétaire la sienne. Le reste est en passage et occupé par trois escaliers. De plus, la partie du nord-est est tellement exposée au vent, à la pluie et à la pondrerie qu'elle est inhabitable pour l'hiver.

La relation nécessaire d'affaires que j'ai avec M. Varin, surtout pendant l'automne, m'a fait priver avec plaisir d'un cabinet attenant ma chambre, pour la facilité du service, et il peut y arranger, ou dans une autre que je ferai disposer, ses registres et papiers...» (Lettre de M. Hocquart au ministre, 8 oct. 1734).

(1)« La maison du sieur Hazeur, qui est la plus belle de la Basse-Ville, et au milieu de la place Royale, faisant face au port, où se font les débarquements, et à la vue de l'église et des rues qui rendent dans la même place... » (Lettre de Champigny au ministre, 15 octobre 1700). Voir Henri de Bernières, p. 73.

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Cette maison était sur la rue Notre-Dame, qui courait « depuis la fin de la rue du Sault-aa-Matelot jusqu'à l'église de la Basse-Ville. » (Recensement de la ville de Québec pour 1716, publié par l'abbé Louis Beaudet). Outre le conseiller Hazeur, trois autres conseillers avaient leurs résidences sur cette rue : Martin Chéron, François-Mathieu Martin de Lino, et Charles Macart.

François Hazeur, marchand, originaire de Tours, beau-frère de l'abbé Louis Soumande, et père des deux abbés Hazeur, mourut le 30 juin 1708, deux mois environ après Mer de Laval. Il fut remplacé quelques années plus tard au Conseil Supérieur par son fils Jean-François. Celui-ci, gendre du conseiller de Lino, était «< avocat au Parlement de Paris », et continua à résider dans la maison de son père à la Basse-Ville. Voici ce que je lis dans une lettre de MM. de Vaudreuil et Raudot au ministre, en date du 14 novembre 1708 :

<< Le sieur Hazeur, conseiller au grand Conseil Supérieur de cette ville, est mort cet été, regretté de tout le monde à cause de son mérite, de sa vertu et de sa droiture. Il a laissé un fils qui est avocat au Parlement de Paris, qui remplira sa place, si vous avez la bonté de lui accorder cette grace. Il s'en rendra tous les jours plus digne par son application et son étude. Permettez-nous de vous représenter qu'en cette occasion les services du père doivent vous engager à procurer au fils cette place de la bonté de Sa Majesté.

Jean-François Hazeur avait vingt-huit ans, à la mort de son père, et venait d'épouser Catherine de Lino. Il avait étudié à Paris; et c'est probablement à son sujet que Mer de Laval écrivait à M. Tremblay en 1695:

« M. Hazeur m'a dit qu'il mande absolument son fils cette année. Il fait très bien ses affaires ne sont pas en état de faire une si grosse dépense. Quand il sera venu, on verra ce qu'il y aura à faire pour lui, par la connaissance que l'on en aura. On en jugera mieux. »

(2) Encore un conseiller du Conseil Supérieur. Il demeurait rue du Sault-au

Louis Couillard de l'Epinay, procureur du roi à la prévôté, fut chargé de préparer un rôle du nombre des maisons et des cheminées (1), et pour cela de se transporter partout à domicile. Le rôle, arrêté au Conseil, fut délivré au commis Bergeron, »> chargé de faire le recouvrement de la taxe. Il y avait dans toute la ville six cent soixante et une cheminées, non comprises celles du Château, du Palais, des Pères Récollets et de l'Hôtel-Dieu, » lesquelles se trouvaient sans doute exemptes.

Matelot cette rue était à cette époque la plus populeuse de Québec: on n'y comptait pas moins de 78 familles ou feux en 1716.

François Aubert de la Chenaye, sieur de Mille-Vache, était fils de Charles Aubert de la Chenaye, l'ancien commis général de la compagnie des Indes Occidentales, mort en 1702. Il était allié aux principales familles du pays et en particulier aux Juchereau et aux Le Gardeur. Voici ce qu'écrivait de lui l'intendant Beauharnais, à l'occasion de la mort de son père:

<< M. de la Chenaye, qui est mort depuis quelques jours, fort regretté pour le bien qu'il a fait en ce pays, laisse une charge de conseiller au Conseil Supérieur de Québec, que je prends la liberté de vous demander pour le sieur Aubert, son fils aîné, qui est un parfait honnête homme, ce qu'il a fait connaitre en remettant à un de ses frères, que son père avait déshérité, le bien qui doit lui revenir par son partage... » (Lettre de M. de Beauharnais au ministre, 11 nov. 1702).

(1) Le recensement de 1716, pour la ville de Québec, donne 465 familles ou feux quelques maisons avaient sans doute plus d'une cheminée. Voici les noms des rues ou quartiers qui existaient à cette époque : « Rue Saint-Louis, depuis le fort jusque chez M. d'Artigny; rue le long du jardin du fort; rue des Jardins, depuis les Jésuites en montant jusqu'à la rue Saint-Louis; rue SainteAnne, depuis la place d'armes qui est vis-à-vis la tour bastionnée près le jardin des Jésuites jusqu'à la place devant le fort au coin du mur du jardin des PP. Récollets; petite rue depuis la place du fort jusqu'au cimetière qui joint au presbytère (rue du Trésor); rue de Buade, bornée d'un bout par la place qui est devant la cathédrale et les Jésuites, et de l'autre par celle qui est devant l'évêché; rue qui prend depuis la boulangerie du Séminaire jusqu'aux remparts et rue Saint-Joseph (rue Sainte-Famille et rue Garneau); rue Couillard, depuis la maison de Belleville jusqu'au cimetière de l'Hôtel-Dieu; rue des Pauvres, depuis le grand portail de la cathédrale jusqu'à la porte de la ville; rue Saint-Jean, depuis le coin du jardin des pauvres de l'Hôtel-Dieu jusqu'aux fortifications; faubourg Saint-Nicolas ou quartier du Palais; rue du Sault-auMatelot; rue de la Montagne, depuis la porte de l'évêché jusqu'au jardin de M. de Lino; rue Notre-Dame, depuis la fin de la rue du Sault-au-Matelot jusqu'à l'église de la Basse-Ville; rue de Meulles et Champlain, depuis le haut de l'escalier jusqu'au bout du Cap-au-Diamant; rue du Cul-de-Sac; rue Sous-leFort; Petite-Rivière, depuis l'Hôpital-Général jusqu'à la maison de Dion. >>

Mais la maison de l'évêque ne l'était pas : elle se trouvait sur le rôle, aussi bien que le Séminaire, les Ursulines, les Jésuites.

On n'attendit pas, à l'évêché, que le commis se présentât pour prélever la taxe. En l'absence de l'évêque alors en Angleterre - son procureur M. Étienne Le Vallet (1), prêtre, chanoine de l'église cathédrale,» adressa une requête à l'intendant Raudot (2), et celui-ci la référa au Conseil. Dans cette requête, M. Le Vallet • convient qu'il est très utile pour toute cette ville qu'il y ait des sceaux et autres instruments nécessaires pour obvier et remédier aux accidents du feu. » L'évêque « ne refuse pas, dit-il, de contribuer de sa part à une si bonne œuvre, pourvu qu'il paraisse qu'il le fait de sa pure, bonne et franche volonté, et sans y avoir été obligé en vertu d'arrêts ou ordonnances. » M. Le Vallet demandait à M. l'intendant d'ordonner ou faire ordonner par le Conseil que le palais épiscopal fût rayé de dessus le rôle de taxe

(1) M. Le Vallet était originaire de Lisieux, en Normandie, et vint au Canada en 1692. C'est lui qui, durant les longues absences de l'évêque en France, administrait les affaires temporelles de l'évêché. Rentré à Paris, après sa captivité en Angleterre, Mer de Saint-Vallier lui fit mander d'aller le rejoindre, et tous deux se rendirent à l'abbaye de Bénevent. Ils y furent atteints de fièvres pour preuses, et M. Le Vallet en mourut au commencement de 1712.

(2) M. Raudot fut intendant du Canada, de 1705 à 1711, avec son fils pour adjoint. Voici ce que M. Tremblay écrivait à leur sujet à Mar de Laval : « M. Raudot, votre nouvel intendant, conjointement avec M. son fils, nous parait un bon magistrat, qui pourra donner quelque forme à la justice qui s'exerce au Conseil Souverain et ailleurs. Il passe à Paris pour un bon juge et bien éclairé. Tout ce que nous craignons de lui, c'est que ses affaires étant mauvaises en France, il ne se laisse aller à ce qu'on lui proposera d'avantageux pour ses intérêts. Cependant nous devons espérer qu'étant éclairé, il ne prendra pas de mauvais parti, et que s'il est obligé de plumer un peu la poule, il tâchera à ne pas la faire crier. Nous avons vu M. son fils, qui parait sage, parle peu, et a beaucoup de respect pour M. son père, qui le mérite bien. »> M. Tremblay ajoutait, au sujet des deux intendants qui avaient précédé : On nous a appris que M. de Champigny gagnait par an plus de 25.000 francs sur les marchandises qu'il faisait venir sous le nom de M. Hazeur pour son compte, dont M. Hazeur avait seulement un petit profit. Gens qui s'en croient bien sûrs me l'ont dit ainsi, C'est ce que l'on dit qu'a fait M. de Beauharnais pour le sel qui était au roi. Il l'a fait adjuger à deux marchands à un écu le minot, et l'a revendu sous leur nom 15 ou 16 francs. Voilà ce qui s'est dit cette année assez bautement dans les bureaux... >>

M. Tremblay écrivait encore au sujet de l'intendant Beauharnais : « Il est d'une famille qui n'est pas jésuite; car Mae sa mère est la grande dévote de l'Oratoire à Orléans... >>

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