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établissement de l'état de Michigan, et la plupart des terres y sont encore entre les mains de descendants des Français. Des pâturages couverts de troupeaux, des prairies, des champs chargés de moissons, des métairies, des résidences magnifiques y frappent partout les regards du voyageur...

La ville du Détroit... a conservé le caractère de son origine, et la langue française y est toujours en usage. Comme toutes les cités fondées par le grand peuple dont sortent ses habitants et qui a jalonné l'Amérique des monuments de son génie, le Détroit est destiné à devenir un lieu considérable à cause de sa situation (entre le lac Huron et le lac Erié) (1).

Ce fut le 31 octobre 1701 que fut signé à Québec, au château Saint-Louis, le traité qui mettait la compagnie en possession du Détroit et aussi du fort Frontenac.

Pour honorer le ministre et lui témoigner sa reconnaissance pour l'appui favorable prêté dans cette entreprise, M. de Callières donna le nom de Pontchartrain au fort du Détroit.

Il fallait maintenant attirer les Sauvages dans le nouveau poste. Alors surgirent de nombreuses difficultés. Esquissons-les seulement à grands traits. Les Hurons et les Iroquois en particulier se seraient établis volontiers au Détroit, mais les Jésuites qui préféraient la fondation d'un poste chez les Miamis, faisaient opposition aux projets de Lamothe-Cadillac et détournaient les Sauvages de descendre au fort Pontchartrain. Un seul Jésuite, le P. Enjalran, était favorable aux vues de Cadillac. D'après celui-ci, dont l'imagination est parfois fort vive et la parole acerbe, les PP. Jésuites auraient fait opposition à l'établissement du Détroit, parce que le gouverneur y aurait appelé les Récollets et Messieurs des Missions étrangères.

Nous ne croyons pas à cette assertion. D'ailleurs, nous n'avons nulle envie d'aborder, dans un ouvrage de courte haleine, les démêlés (où sans doute il y eut des torts des deux côtés), qui surgirent entre M. de La Mothe et les Pères de la Compagnie de Jésus. Indiquons seulement la part qu'y prit M. de Callières.

M. de Lamothe était à Québec quand le gouverneur général reçut le long Mémoire accusateur du P. de Carheil (2). M. de

(1) Histoire du Canada, par Garneau, t. II, p. 19. (2) Jésuite.

Callières, homme conciliant, eut la pensée de profiter de sa présence pour opérer un rapprochement entre lui et les Pères de Machillimakinac; il s'en ouvrit au commandant, au R. P. Bouvart, supérieur des Jésuites, et au P. Germain, alors professeur de philosophie au collège et Père spirituel, et tous quatre réunis, le 25 septembre 1705, élaborèrent un Règlement, dont ils espéraient, semble-t-il, monts et merveilles. Selon ce Règlement, les missionnaires et M. de Lamothe devaient oublier le passé, et les PP. de Carheil et Marest devaient engager les Sauvages à s'établir à Détroit, bien loin de les en empêcher. »

Les Sauvages, en effet, prirent le chemin du nouveau fort, élevé par les soins de M. de Callières, et l'on y vit bien:ot affluer Ou'aouas, Hurons, Iroquois, Loups et Miamis.

En 170, M. de La Mothe recevait du roi le commandement du fort Pontchartrain. M. de Callières était mort l'année précédente. Le gouverneur général, d'abord opposé à la fondation du Détroit, avait compris vite l'importance de ce poste et en favorisa l'établissement. Le nouveau fort assurait en effet les communications de la colonie avec le pays des Miamis et des Illinois, et de là avec la Louisiane, par le Mississipi.

L'active vigilance de M. de Callières ne se porta pas seulement sur Détroit, elle s'étendit aussi à tous les points de territoire qui, par leur situation, pouvaient servir les intérêts de la colonie. C'est ainsi qu'on le vit, à la demande des Iroquois, rétablir un magasin de marchandises au fort de Catarocouy, envoyer Juchereau de Saint-Denys, sur l'Ouabache, affluent du Mississipi, pour y é ablir une tannerie, en attendant qu'il pût y fonder un poste militaire.

C'étaient, dit P. Margry, autant de jalons plantés sur la route du Canada au Mississipi, pendant qu'au bas de ce fleuve, d'autres indiquaient la marche ascendante vers les lacs. Les routes ouvertes attendaient des forts, des missions, des entrepôts. L'idée de la chaine de postes tant au nord qu'au sud, é ait donc forcément en voie de progrès. Ce n'était qu'une question de constance et de temps (1).

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LA RELIGION INSPIRE LES ACTES DE M. DE CALLIÈRES.

Dans son administration si ferme, si habile, si désintéressée, on

(1) Mémoires et Documents, t. V, Introduction, p. CLVIII.

pourrait dire même si française, M. de Callières montra toujours le plus grand respect de la religion et voulut servir en même temps que les intérêts de la France et de sa nouvelle colonie, la cause plus grande encore de l'Église et de Dieu.

Il est à remarquer d'ailleurs que tous ces hommes de renom qui vinrent de France au Canada fonder la colonie et en promouvoir énergiquement les développemen's plaçaient avant tout les intérêts supérieurs de la religion catholique leurs actes et leur correspondance en font foi Plusieurs ont pu, par certains côtés vicieux, donner prise à de violentes et justes critiques, mais tous croyaient bon de subordonner leurs vues et leur fortune personnelles à des vues plus hautes, au plus grand bien de l'Église. Et nous aimons à le répéter, M. de Callières donna toujours l'exemple d'un entier dévouement à la cause religieuse. Il était profondément convaincu qu'on ne peut asseoir solidement une socié.é naissante que sur les bases de la morale évangélique.

Aussi, dans son œuvre de civilisation, se servit-il surtout des missionnaires, Jésuites ou Récollets, qui s'étaient répandus parmi les peuplades alliées ou ennemies et qui se montraient les plus fermes appuis, les meilleurs conseillers des gouverneurs locaux. Parmi ces prêtres admirables qui n'épargnaient ni leur sueur ni leur sang, M. de Callières trouva beaucoup de compatriotes, entre autres les PP. Bunon, Ruël, de Mallemain, de Couver, Lesueur, Morain, et le plus célèbre de tous, le P. de Lamberville, né à Rouen, qui rappelait par son zèle et ses vertus l'illustre P. de Brébeuf.

On a déjà vu les importants services que les missionnaires avaient rendus à M. de Callières, lorsqu'il s'était agi d'amener les Sauvages à la grande assemblée de Montréal. Aussi rangea-t-il parmi les signataires du fameux traité qui la clôtura, le P. Cholenec, supérieur des Jésuites de Montréal, le F. Guillaume, gardien des Récollets, F. de Bellemont, missionnaire de la Montagne, les PP. Bruyas et Enjalran.

Dans les démêlés que les missionnaires eurent avec les gouverneurs des régions éloignées, M. de Callières les traita toujours avec beaucoup de bonté et même d'affection. Un grave conflit s'éleva surtout à Michillimakinac entre M. de Lamothe-Cadillac, gouverneur, et les Jésuites qui lui reprochaient de favoriser ou du moins de fermer les yeux sur les jeux, l'ivrognerie et les abus des

traitants qui faisaient de grands ravages dans toute la contrée. M. de Callières qui devait, à cause des circonstances, user de grands ménagements à l'égard de M. de Lamothe et des coupables, reconnut loyalement la légitimité des plaintes portées contre eux, et lorsque le moment favorable fut venu, frappa énergiquement les abus signalés et donna gain de cause aux Pères Jésuites. C'était alors faire preuve d'un grand courage.

M. de Callières n'encourageait pas seulement par de bonnes paroles et par certains actes d'administration le zèle des missionnaires et du clergé de la colonie il veillait encore avec le plus grand soin à ce que leur situation matérielle s'améliorât de plus en plus. Alors le clergé était pauvre, mais en revanche pieux et dévoué. M. de Champigny écrivait au ministre le 20 octobre 1699:

Les ecclésiastiques et les communautés vivent dans une régularité exemplaire et dans une bien plus exacte observance que ceux de France; leur vie est pauvre et mortifiée, se privant du nécessaire en beaucoup de choses. Les curés se contentaient d'un modique traitement. A court d'argent, le gouvernement voulut encore le rogner; mais MM. de Callières et de Champigny prirent en main l'intérêt des prêtres et écrivirent au ministre la lettre suivante: « Nous ne voyons aucune apparence de pouvoir sitôt retrancher le 8000 que le roy a la bonté d'accorder pour partie de la subsistance et entretien des curés, puisqu'il y en a très peu qui puissent s'en passer; au contraire, si on pouvait avoir une augmentation de prêtres dans le pays avec de quoi les faire subsister, il y aurait beaucoup de peuples qui ne seraient plus privés de secours spirituels, et c'est à quoy nous prions Sa Majesté d'avoir égard (1). » Le 18 octobre 1700, MM. de Callières et de Champigny reviennent sur ce sujet, dans une lettre commune au ministre :

Le bien que Sa Majesté fait de donner huit mille livres pour partie de l'entretien des curés est si nécessaire que, s'il ne se faisait pas, il y aurait une impossibilité absolue d'entretenir plus de huit ou neuf curés, tous les autres ne subsistant presque que par ce supplément, les dixmes n'estant pas encore considérables. Ainsy nous ne saurions nous dispenser de la supplier très repectueusement de continuer cette grâce si utile à la religion (2).

(1) Arch. col., Canada, Corresp. gén., vol. 17. (2) Arch. col., Canada, Corresp. gén., vol. 18.

Le gouverneur et l'intendant favorisaient aussi de tout leur pouvoir la grande œuvre des Dames Ursulines à Québec et aux Trois-Rivières, mais ne pouvaient les aider de leurs deniers, à cause de la modicité de leurs ressources. Du moins ils vantaient au roi la munificence et l'inépuisable charité de Mgr de Saint-Vallier envers ces admirables sœurs qui accomplissaient des merveilles de dévouement, et ils accordaient à ces dernières autant de privilèges et d'appui qu'il était en leur pouvoir.

M. de Callières avait une haute idée de l'instruction et de l'éducation et du grand bien dont elles pouvaient être la source pour la nouvelle colonie. Elles furent nécessairement religieuses, puisqu'il n'y avait que des prêtres et des sœurs à s'en charger. Les Jésuites surtout se distinguèrent par leur zèle à semer par l'enseignement la civilisation chrétienne parmi les pauvres Sauvages. Leur collège de Québec était à la fin du xvne siècle très florissant. A cette époque, Mgr de Saint-Vallier écrivait Les régens du collège sont bien choisis, pleins de capacité et de zèle, ils remplissent leur devoir par esprit de grâce (1). Aussi le gouverneur ne leur ménageait-il ni ses encouragements, ni ses bonnes grâces, ni les privilèges. Il favorisa aussi la congrégation des frères Charron, ou Hospitaliers de Saint-Joseph de la Croix qui avait pour fin le soin des pauvres et des malades, ainsi que la formation d'instituteurs pour les écoles paroissiales. Une lettre collective, signée de lui et de M. de Champigny, nous montre combien il avait à cœur cette précieuse fondation : « Une maison qui sera fort utile à la colonie, écrivent-ils, est celle des Frères Hospitaliers établis à Montréal..... Sa Majesté est priée de leur accorder l'exemption des droits de trois tonneaux d'eau-de-vie et de six tonneaux de vin..... Si elle voulait avoir la bonté d'y joindre 1.000 pour parvenir plus aisément aux manufactures qu'ils vont commencer, cela procurerait un grand avantage à eux et à la colonie, parce qu'ils augmenteraient le nombre des jeunes gens pauvres qu'ils retirent pour les y employer. »

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Sous l'impulsion et le bon vouloir de M. de Callières, Québec, Montréal et plusieurs autres territoires du Canada virent s'élever des établissements d'utilité publique écoles, hôpitaux, asiles, églises, etc. En moins de quatre ans, plus de quarante églises

(1) Estat présent de l'Eglise à la Nouvelle-France.

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