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Nov. 1791. «se rallier les insensés qui la désirent; débarrassons « la nation de ce bourdonnement continuel d'insectes << avides de son sang qui l'inquiètent et la fatiguent, « et rendons le calme au peuple... On a dit, on a

Décrets

de

répété qu'une loi sur les émigrations serait impo«litique... qu'elle serait inutile et sans effet... Pour<«< rai-je demander aux auteurs de cette objection «< quelle divinité les a doués du merveilleux don de « prophétie? Voyez, s'écrient-ils, les protestants sous<«<Louis XIV: plus on aggrava les peines contre les << émigrants, plus les émigrations se multiplièrent.

Non, ce ne fut pas à cause des peines prononcées <«< contre les émigrants que les protestants sortirent «< alors du royaume, mais à cause des persécutions <<< inouïes dont ils étaient les victimes dans le « royaume... Quoi qu'il en soit, dans tous les événe«ments le succès est l'affaire du destin, et vous ne <«< sauriez en être responsables; mais les précautions << pour le préparer sont de votre ressort, et dès lors <«< un devoir impérieux vous commande de les pren<<<-dre.

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Un discours d'Isnard, plein d'âpreté et de violence, l'assemblée. ayant en quelque sorte clos la discussion, l'assemblée chargea son comité de législation de lui présenter deux projets de décret, dont la rédaction définitive fut successivement adoptée dans les séances des 28 octobre et 9 novembre. Par le premier décret, Louis-StanislasXavier, prince français, frère du roi, et régent présomptif, était requis de rentrer dans le royaume sous le délai de deux mois, sous peine d'être proclamé déchu des prérogatives qu'il tenait de la constitution et de

sa naissance; l'autre déclarait suspects de conspiration Nov. 1791. contre la patrie les Français rassemblés au delà des frontières du royaume. Faute par eux de se disperser avant le 1er janvier, ils devaient être considérés comme coupables, poursuivis et punis de mort. Au delà du même terme, l'absence des princes français et des fonctionnaires publics devait être réputée crime de haute trahison et punie de mort. En vertu de la même loi, les revenus et les biens des émigrés et des princes devaient être saisis, perçus au profit de la nation ou mis sous le séquestre, sans préjudice des droits des femmes, enfants et créanciers légitimes. Tout officier qui abandonnerait ses fonctions sans avoir donné sa démission allait être réputé soldat déserteur, et puni comme tel; des cours martiales devaient être créées pour connaître des délits militaires, et des mesures comminatoires étaient réclamées contre les puissances limitrophes qui persisteraient à protéger les rassemblements des émigrés.

Ces résolutions de l'assemblée législative ne pouvaient avoir force de loi qu'après avoir été revêtues de la sanction royale; mais Louis XVI, qui, dans sa conscience, reculait devant l'adoption de semblables moyens, était livré aux plus pénibles incertitudes. Les chefs du parti constitutionnel, Barnave, Duport et les Lameth, d'accord en cela avec le ministère, étaient d'avis que le roi apposât son veto sur les deux décrets rendus contre les émigrés et les prêtres réfractaires; mais ils lui conseillaient en même temps de sanctionner la délibération prise contre Monsieur. Ils ajoutaient que, pour donner plus de garanties au peuple, le roi

Hésitations

et détermina

tion du roi.

Nov. 1791. devait éloigner de lui les prêtres non assermentés qui composaient sa chapelle, et s'entourer exclusivement de prêtres constitutionnels. D'un autre côté, pour fortifier en quelque sorte vis-à-vis de l'opinion publique le veto favorable au clergé orthodoxe, ils provoquèrent une adresse du directoire du département de Paris, par laquelle ces magistrats, rappelant au roi les principes de la liberté indéfinie des cultes et des croyances religieuses, invitaient ce prince à ne pas sanctionner des décrets ouvertement contraires à la constitution. Cette démarche tourna contre la cour et les ministres. Les girondins, en réponse à l'adresse du département, firent pleuvoir une foule de pétitions qui toutes réclamaient l'exécution des décrets.

de

Le roi, tiré en sens contraire par ses ennemis et ses convictions, se détermina à sanctionner le décret rendu contre son frère; puis, après avoir donné ce gage condescendance au parti révolutionnaire, il se crut assez fort pour refuser avec fermeté son approbation aux deux autres résolutions de l'assemblée du reste, méprisant des conseils pusillanimes, il continua à s'entourer de prêtres fidèles, et il invoqua en sa faveur le principe de la liberté des cultes. Pour calmer autant que possible les ressentiments de l'assemblée et les défiances du peuple, il écrivit aux électeurs de Trèves, de Mayence et de Cologne, et à l'empereur luimême, les invitant à dissoudre les rassemblements d'émigrés qui se formaient sur leurs territoires contre la France; il fit ensuite afficher une proclamation dans laquelle il prescrivait de nouveau aux émigrés, avec les apparences de l'indignation et de la sévérité, de rentrer

promptement dans leur patrie. Enfin il adressa aux Nov. 1794 princes ses frères une lettre pressante pour les sommer de revenir prendre leur placé auprès de lui, et de mettre fin, par leur retour, aux inquiétudes et aux récriminations du peuple.

et bravades

et

Comme il était permis de le prévoir, ces démarches Protestations n'eurent aucun effet. Les émigrés et les princes, persis- des émigrés tant à croire que les proclamations et les lettres du roi des princes. n'étaient point l'expression de sa volonté libre et sincère, refusèrent d'y obtempérer. Monsieur, après avoir rendu publics les motifs de son refus, se laissa en outre aller à la satisfaction de déverser sur l'assemblée nationale l'ironie et le ridicule. Il fit imprimer la proclamation qui le sommait de rentrer en France dans le délai de deux mois, et il eut soin de publier en regard sa réponse, par laquelle il invitait les députés, au nom des lois imprescriptibles du sens commun, de rentrer en eux-mêmes, dans le même délai, sous peine « d'être <«< censés avoir abdiqué tout droit à la qualité d'êtres << raisonnables, et de n'ètre plus considérés que comme << des fous enragés, dignes des Petites-Maisons. » Cette bravade était adressée « aux gens de l'assemblée fran«<çaise se disant nationale. »>

Pendant que ces provocations aigrissaient encore le conflit élevé entre la révolution et le roi, de sinistres événements s'accomplissaient en France et par delà les mers Atlantiques.

d'Avignon.

Massacre

On a vu qu'un décret de l'assemblée constituante Événements avait réuni à l'empire français la ville d'Avignon et son territoire; mais ce malheureux pays n'avait point cessé d'être ensanglanté par le meurtre ou dévasté par les sa

de la Glacière.

Nov. 1791. tellites de l'affreux Jourdan Coupe-tête. Les braves brigands continuaient d'épouvanter le Comtat et la Provence par la multiplicité de leurs crimes. Après avoir enrôlé parmi eux d'autres bandits, accourus des côtes de l'Italie et des îles de la Méditerranée, ils s'étaient rendus maîtres d'Avignon, et là, unis aux jacobins de la ville, ils avaient signalé leur présence par des scènes atroces de violence et d'assassinat. Le 16 octobre, des placards soulevèrent le peuple; on répandit dans le public << que la statue de la Vierge, qui existe dans l'église des Cordeliers, était devenue rouge depuis quelques jours, et qu'elle avait versé des larmes'. » Le nommé Lescuyer, secrétaire de la commune, ayant alors été entraîné par des rassemblements et mis à mort à coups de pied et de sabre, ce meurtre fut le signal d'attentats plus horribles, et dont la honte ne s'effacera jamais : les braves brigands se portèrent aux prisons, où languissaient détenues, par l'effet des troubles, un nombre considérable de personnes soupçonnées du crime d'aristocratie sans distinction d'âge ou de sexe, ils les égorgèrent pendant la nuit, et les cadavres de soixante victimes furent précipités dans une tour du palais, appelée tour de la Glacière; d'autres furent jetés dans le Rhône, déchirés ou mutilés. La France entière, à la nouvelle de ces massacres, fit entendre un long cri d'horreur; mais son indignation demeura stérile. Vainement un tribunal spécial, composé de juges choisis dans les départements voisins, fut-il chargé de poursuivre les auteurs de ces forfaits; vainement les coupables, aussi

:

1 Procès-verbal de la commune d'Avignon, du dimanche 16 octobre.

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