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à haute voix : Vive la nation! A cet appel, toute incer- Sept. 1792. titude disparut, la confiance pénétra toutes les poitrines, et le cri de l'intrépide Kellermann, répété sur toute la ligne, annonça aux Prussiens l'accueil qui leur était réservé.

A ce spectacle, l'ennemi hésita à son tour, puis il se rejeta en arrière sans oser commencer l'attaque; et l'on se borna de part et d'autre, jusqu'à la fin de la journée, à une canonnade qui, des deux côtés, tua ou blessa huit ou neuf cents hommes. Vers les quatre heures, une nouvelle démonstration du prince de Brunswick fut énergiquement contenue; et le général ennemi, n'osant aborder résolument les positions de l'armée française, se borna à se retrancher sur les hauteurs de la Lune. Pour Kellermann, il eut recours, vers la fin du combat, aux précautions qu'il avait négligées le matin, et il à aller camper au delà de l'Auve, de manière à menacer la droite de la position occupée par l'ennemi près de la redoute et du cabaret de la Lune. Résultats Ainsi, des deux côtés, on renonçait à prendre l'offen- cette bat: ille. sive; mais, si le succès de la journée demeurait incertain en tant que lutte militaire, le résultat stratégique était bien différent de part et d'autre : le triomphe mo ral restait entièrement acquis aux Français.

songea

D'une part, en effet, une seule portion de leur armée avait arrêté le mouvement offensif des Prussiens : cette armée, pleine de patriotisme, mais mal aguerrie, mais jusqu'alors défiante d'elle-même, avait enfin vu face à face une armée supérieure en nombre, et lui avait tenu tête à ce point qu'elle l'avait contrainte à se replier. Les soldats français, quoique sans expérience

de

Sept. 1792. du feu, pouvaient donc combattre de front et sans inquiétude ces vieilles troupes si renommées grâce à l'initiative de Kellermann, dont cette journée fit la gloire, la révolution, jusqu'alors réduite à des succès d'émeute et de carrefours, venait de gagner ses éperons en présence de l'Europe.

D'autre part, la réunion des forces de Dumouriez, de Kellermann et de Beurnonville, venait de porter l'armée française à cinquante-trois mille hommes bien retranchés sur des hauteurs et campés dans des positions heureusement choisies; derrière eux, des corps d'armée s'organisaient pour les seconder et les secourir; les vivres et les munitions ne leur manquaient pas; ils pouvaient attendre. L'ennemi, au contraire, engagé entre la France et l'armée française, exposé à manquer de subsistances, réduit à camper sur un terrain argileux, dans des vallées marécageuses, ne pouvait s'exposer longtemps aux dangers de cette situation difficile; il devait avoir hâte de battre en retraite et d'aller prendre des quartiers d'hiver au delà de nos frontières. Toutes ses espérances pour la prochaine campagne étaient déçues ou compromises.

Tel fut ce combat de Valmy, peu digne d'attention si on ne le juge que comme engagement militaire, mais justement célèbre si l'on envisage et son importance morale et ses résultats politiques. En rendant compte de cette canonnade de quatorze heures, Kellermann mentionna avec éloges le courage et le sangfroid dont avaient fait preuve le duc de Chartres, fils aîné du duc d'Orléans, qui servait sous ses ordres en qualité de lieutenant général, et le jeune duc de Mont

pensier, aide de camp, et frère de ce prince; il ajouta : Sept. 1792. <«< La nation française, après ce que j'ai vu hier, peut << être sûre que les soldats les plus aguerris ne doivent << pas l'emporter sur ceux qui se sont consacrés à la « défense de la liberté. »

Situation

itiques.

Élections gé

nérales.

Entre les massacres de septembre et la glorieuse des partis pojournée de Valmy, le peuple français, ou du moins cette minorité ardente qui prenait une part active aux luttes du jour, avait eu le temps de procéder aux élections, et d'investir la convention nationale, promise par le décret du 10 août, du soin de donner au pays des lois nouvelles. Les choix s'étaient généralement ressentis des passions et des colères de cette terrible époque : ils s'étaient portés, pour la plupart, sur les coryphées les plus audacieux de la révolution française, sur les meneurs exaltés du jacobinisme, sur quiconque enfin, par des paroles ou par des actes de sang, avait donné des gages certains aux destructeurs de la monarchie. Cependant la bourgeoisie, partout où elle osa encore se concerter et intervenir, élut des représentants de ses vœux et de ses intérêts, et ce fut particulièrement dans les rangs de l'ancien côté gauche de l'assemblée constituante qu'elle se plut à les désigner. Par suite de ces nominations, toutes les nuances et toutes les opinions révolutionnaires avaient réussi à envoyer leurs députés, et l'on allait voir apparaître de nouveau sur la scène, avec leurs défiances et leurs fureurs, leurs haines et leur enthousiasme, les montagnards, les girondins, la plaine, les trois grandes factions qui s'étaient essayées dans l'arène encore étroite et obscure de l'assemblée législative, et qui, dès lors, devenues plus re

Sept. 1792. doutables, mieux disciplinées, fortifiées par un grand nombre de chefs nouveaux, devaient bientôt concentrer dans leurs mains la puissance législative et la puissance exécutive, et exercer la longue et terrible dictature dont nous aurons à retracer l'ineffaçable souvenir.

Derniers moments de

législative.

L'assemblée législative, qui allait se retirer pour l'assemblée faire place à la convention, n'avait rempli, depuis le 10 août, qu'un rôle subalterne et de plus en plus effacé : frappée en même temps que la constitution, elle avait été vaincue dans la personne du roi, dont elle avait ellemême, autant par aveuglement que par faiblesse, préparé l'abaissement et la ruine. Le pied du peuple s'était posé sur elle, et lui avait laissé une empreinte qu'elle n'osait secouer; elle existait, elle vivait d'une vie officielle; mais, en réalité, elle était morte, léguant à la commune de Paris le gouvernement de la France et la conduite de la révolution.

Jugement porté

assemblée.

Placée entre l'assemblée constituante et la convensur cette tion nationale, elle disparut entre ces deux colosses; elle ne fut qu'un pouvoir de transition destiné à démontrer qu'aucune alliance légitime ne peut exister entre l'ordre et l'anarchie, entre le mensonge et la vérité. L'assemblée constituante avait voulu une œuvre impossible: elle avait cru à la durée d'un système sous l'empire duquel un fantôme, décoré du titre de roi, aurait été chargé de gouverner un peuple impatient de frein; elle avait méconnu le passé, les traditions, les mœurs, les besoins du pays, pour ne s'attacher qu'à des théories, à des abstractions de cabinet; elle avait déchaîné toutes les volontés, toutes les forces, toutes les libertés les plus absolues, et elle avait dit à un

homme armé d'un roseau en guise de sceptre : Règne Sept. 1792. sur ce chaos, et commande à cette vaste anarchie. C'était donc, il faut bien le dire, une déception sans égale et sans exemple; et peu de jours devaient suffire pour en démontrer l'abus. Toute l'histoire de l'assemblée législative est résumée en ces lignes.

Cette assemblée, à son début, voulait sincèrement maintenir la constitution; elle en avait fait son évangile; mais ce code inapplicable périt entre ses mains, inhabiles à le garder : elle se passionnait pour la liberté, pourvu que le bienfait de la liberté ne fût jamais le partage de ses ennemis; elle invoquait le grand nom de la tolérance religieuse, et la nécessité du schisme dans lequel elle s'était engagée la rendit violente et persécutrice; elle ne voulait point de révolution républicaine, et elle n'épargna rien de ce qui pouvait abaisser ou amoindrir encore le pouvoir et la personne de Louis XVI, considérant comme révolte le simple exercice de la prérogative royale, quand il gênait ses décrets. Elle amnistia les crimes d'Avignon; elle laissa faire les attentats du 20 juin; elle subit, malgré elle, ceux du 10 août : pour tout dire, elle existait pendant les massacres de septembre, et personne dans ses rangs n'osa retenir le fer des bourreaux.

séance

de la convention.

La convention nationale, qui lui succéda dans la Première journée du 21 septembre, se montra du moins douée de plus de franchise et de plus d'énergie; elle eut l'audace de ses passions, sans chercher à les dissimuler sous un masque d'hypocrisie; elle accepta la révolution et osa lui servir d'instrument, sans reculer devant la conséquence de ses propres idées.

REVOL. FRANG.

-ASS. LÉGISLAT.

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