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Sept. 1792.

Cependant l'armée prussienne était entrée le 16 à Grand-Pré; le lendemain, elle avait débouché par Vouziers et Autry jusqu'à Cernay; le 19, elle se déployait sur les montagnes de la Lune. L'avant-garde de Dumouriez occupait la hauteur de l'Hyron: mais ce jour-là on venait d'apprendre que Kellermann approchait à marches forcées, amenant quinze mille hommes, dont un tiers de bonne cavalerie; il avait laissé cinq mille hommes en arrière pour couvrir Ligny et Bar-le-Duc. A la même heure, Beurnonville arrivait de Châlons et se rangeait en bataille sur le terrain que lui avait assigné Dumouriez. L'approche de l'armée de Kellermann venait de changer la situation de l'armée; elle sauvait Dumouriez, qui, abandonné à ses propres forces, n'aurait pu tenir longtemps à Sainte-Menehould. Les deux généraux continuaient d'ailleurs à s'entendre mal, l'un cherchant toujours à temporiser, l'autre à vaincre, et tous deux se montrant fort peu disposés à se résigner à la subordination ou à l'obéissance.

Le camp de Dumouriez, placé en avant de Sainte-Menehould, à droite de la grande route de Paris à Metz par Châlons, était situé sur un plateau peu élevé, et ayant son front bordé de prairies. La droite s'appuyait sur l'Aisne, la gauche sur un étang et sur des portions de terrain marécageux. Le général avait recommandé à Kellermann d'occuper, dès le lendemain, les hauteurs qui s'étendent derrière l'Auve, entre Dampierre et Élize cette position était forte, couverte sur le front par le lit de l'Auve, appuyée en arrière d'Élize, de Triaval et d'Angers. Mais l'ordre de Dumouriez, trèsconvenable pour l'exécution d'un plan purement défen

sif, contrariait le désir qu'avait Kellermann d'engager Sept. 1792. la bataille: ce général, entraîné par son ardeur, se méprit sur le sens des instructions qui lui étaient transmises après avoir passé l'Auve, derrière laquelle il lui était prescrit de se tenir, il conduisit son armée sur les hauteurs de Valmy, entre le mont Hyron et le mont de la Lune. En opérant ce mouvement, il laissa dégarnie de troupes et d'artillerie la hauteur de Gizancourt, du haut de laquelle on pouvait facilement écraser à coups de canon les Prussiens campés sur la chaîne des coteaux de la Lune.

Si l'on veut se représenter assez exactement la situation des deux armées dans la nuit du 19 au 20 septembre, on reconnaîtra que les Prussiens, après avoir traversé au nord, par Grand-Pré et la Croix-aux-Bois, les défilés étroits de la forêt d'Argonne, avaient suivi, du côté du sud, le mouvement de Dumouriez dans sa retraite sur Sainte-Menehould; que, s'étant écartés, du côté de l'ouest, sur la rive gauche de la Bionne, l'un des affluents de l'Aisne, ils cherchaient à déborder de toutes parts l'armée de Dumouriez, à la resserrer entre l'Argonne et leurs retranchements, de telle sorte qu'étant bloquée de toutes parts et isolée, il ne lui restât d'autres ressources que de poser les armes. L'arrivée de Kellermann avait rendu ce projet plus difficile en doublant les forces des Français; mais les Prussiens espéraient réduire à l'impuissance ces renforts, dont la présence ne leur avait pas fait perdre l'avantage de la supériorité du nombre. En résumé, on se trouvait dans cette situation étrange, que l'armée française, adossée à Sainte-Menehould et au bassin de l'Aisne, tournait sa

de

Situation

des armées la vieille

la bataille de Valmy.

Sept. 1792. face contre Châlons et Paris; tandis que l'armée étrangère, qui envahissait notre territoire, avait derrière elle la capitale de la France, dont elle était plus rapprochée que Dumouriez. Au premier aperçu, il semble que cette double position, si peu naturelle, devait indiquer la force et les progrès de l'ennemi; mais il est facile de juger qu'elle ne pouvait que tourner au détriment des Prussiens et à l'avantage des Français. En effet, bien que plus rapprochés de la Marne et de Paris que ne l'était alors le camp de Dumouriez, les étrangers ne pouvaient s'aventurer vers l'intérieur du royaume en laissant derrière eux une armée considérable prête à les suivre il leur fallait donc engager une bataille générale, dont l'issue, en cas de défaite, devait être d'autant plus funeste aux Prussiens, qu'ils ne pourraient rencontrer, en avant ou en arrière, que des ennemis acharnés à leur perte.

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Mais la confiance du roi de Prusse était à ce point nourrie par les discours des émigrés, qu'avant toute chose il craignait de voir Dumouriez battre en retraite, qu'il ne recherchait que l'occasion de frapper un grand coup, et de détruire l'armée française avant qu'elle pût s'échapper du côté de Châlons. L'ordre d'aller en avant fut donc donné par ce souverain à ses troupes, nonobstant l'avis contraire du général Kohler.

En ce moment la droite de Dumouriez était appuyée sur l'Aisne, entre Chaude-Fontaine et la Neuville; son centre était en arrière du village de Maffrecourt; sa gauche se repliait en équerre vers la route de Châlons, non loin du village de Braux-Sainte-Cohière. De plus, Dumouriez avait fait occuper par des détachements les

hauteurs situées entre Dommartin-sous-Hans et Maffre- Sept. 1792. court, et placé un bataillon dans le château de SaintThomas, construit sur un escarpement, à la droite de l'Aisne. Trois autres bataillons, répartis entre la Neuville, Moiremont et Vienne-le-Château, maintenaient les communications de l'armée entre la Chalade et les Islettes, afin qu'elle pût s'assurer une retraite ou une route du côté de l'Argonne. D'autres détachements avaient été envoyés du côté d'Auve pour garder libre la route de Châlons. Enfin l'artillerie, convenablement disposée sur des hauteurs, commandait les ravins et les vallées.

L'armée de Kellermann avait été rangée d'une manière moins heureuse sa droite, appuyée en arrière sur Dampierre, s'étendait sur les hauteurs de Valmy; l'avant-garde occupait le village de Hans, à quinze cents toises de Valmy, en avant sur la Bionne.

Le 20 septembre, dès six heures du matin, et malgré le brouillard qui régnait sur toute la ligne, l'avantgarde prussienne, aux ordres du prince de HohenloheKirchberg, marcha par sa droite sur le village de Somme-Bionne, et vint donner sur l'avant-garde de Kellermann. Celle-ci, surprise par cette brusque attaque, quitta ses positions de Hans, et se replia sur le plateau d'Hyron, où elle fut renforcée et secourue par des détachements d'artillerie et de cavalerie placés sous les ordres du général Valence. Un moment après, le brouillard épais qui avait couvert les premiers mouvements des deux armées se dissipa au lever du soleil, et le feu commença de part et d'autre. L'artillerie prussienne, établie sur les hauteurs de la Lune, et sur ce plateau

Bataille de Valmy.

Sept. 1792. de Gizancourt que Kellermann avait négligé d'occuper et de fortifier, dirigeait un feu assez vif sur les troupes françaises rangées en bataille, non sans quelque confusion, autour du village de Valmy: cependant une batterie de dix-huit pièces, que Kellermann avait fait placer près du moulin, ripostait au canon de l'ennemi. Après une longue canonnade, un obus lancé par les Prussiens mit le feu à deux caissons, sur le plateau de Valmy: l'explosion qui s'ensuivit tua ou blessa un assez grand nombre d'hommes, et causa un moment de trouble dans les rangs des soldats de Kellermann. Il était dix heures; les Prussiens avaient en ligne cinquante-huit pièces à feu, trois batteries de canons, une d'obusiers. Insensiblement l'artillerie française ralentit ses coups, et l'infanterie de Kellermann commença à plier.

En ce moment, l'infanterie ennemie, marchant en colonnes, débouchait sur trois points pour enlever à la baïonnette le plateau de Valmy et les retranchements élevés à la hâte par les Français autour du moulin. A l'approche de ces troupes régulières et disciplinées, que tant de renom précédait depuis quarante ans, les nouvelles recrues de la révolution éprouvèrent un sentiment d'hésitation et d'inquiétude : un instant de faiblesse pouvait tout perdre; Kellermann le comprit. S'étant donc empressé de rallier les fuyards et de rendre à ses troupes un peu de confiance, il opposa à son tour trois colonnes d'infanterie à l'armée prussienne, il défendit sévèrement de tirer, il prescrivit d'attendre l'ennemi, et de le charger ensuite à la baïonnette. Quand ces dispositions furent prises, il agita son sabre, et cria

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