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Sept. 1792. « constituées d'y mettre un terme, ou de les considérer «< comme anéanties. Je sais encore que cette déclara<«<tion m'expose à la rage de quelques agitateurs : eh << bien, qu'ils prennent ma vie; je ne veux la conserver « que pour l'égalité, la liberté si elles étaient dé<«< truites, violées, soit par le règne des despotes étran

Fin des

massacres

des cadavres.

gers, ou par l'égarement d'un peuple abusé, j'aurais << assez vécu; mais, jusqu'à mon dernier soupir, j'aurai << fait mon devoir... >>

L'assemblée accueillit cette protestation par des acclamations réitérées; elle n'osa faire davantage. Le lendemain, à la nouvelle que le comité de surveillance avait fait une descente chez Brissot, le ministre de l'intérieur, épouvanté de voir les égorgeurs porter déjà leurs menaces contre les girondins, écrivit à Santerre pour lui enjoindre d'user de la force légale, mise à sa disposition, pour faire respecter les propriétés et les personnes; mais il n'obtint de Santerre qu'une lettre officielle, par laquelle ce misérable commandant de la garde nationale osait alléguer qu'il avait donné des ordres pour faire respecter la tranquillité publique, et qui se terminait par cette hypocrite assurance: « Mon « corps servira de bouclier au premier citoyen qu'on << voudra insulter. » Après ces tentatives officielles, qui ne devaient avoir aucun résultat, Roland, Santerre et l'assemblée demeurèrent dans leur inaction ou dans leur impuissance.

Enfin, quand, faute de victimes, les massacres euInhumation rent cessé; quand les magistrats qui n'avaient point Moure, osé paraître pendant la durée des crimes reconnurent que tout danger était passé pour eux, et qu'ils pou

- Nombre

des victimes.

vaient essayer de se couvrir, aux yeux de l'histoire, d'un Sept. 1792. faux semblant d'humanité et de courage, les membres de la commune et Santerre se présentèrent à la barre et prêtèrent individuellement le serment, désormais dérisoire, de maintenir de tout leur pouvoir la liberté, l'égalité, la sûreté des propriétés et des personnes, et de périr, s'il le fallait, pour l'exécution de la loi. « Lé<< gislateurs,>> osa dire Péthion, lâche comédien de philanthropie, « vous avez voulu être instruits chaque <«< jour de la situation de Paris. Permettez-moi de jeter << un voile sur le passé; espérons que ces scènes affli<< geantes ne se reproduiront plus... Tout promet l'or<< dre et la paix... Déjà la fraternité reprend son doux

empire; les passions particulières se calment... Les «<< barrières de Paris vont s'ouvrir à l'activité du com«< merce et à la liberté des citoyens. Comptez sur le zèle « du maire de Paris, sur son amour sincère du bien. >> Quand les applaudissements qui ébranlèrent la salle eurent permis à Hérault de Séchelles, président de l'assemblée, de faire entendre à son tour quelques paroles, il ne craignit pas de répondre à Péthion : « L'as<<< semblée est satisfaite d'opposer à des événements <«<< malheureux la présence d'un homme de bien; elle « se reposera toujours sur votre patriotisme et sur votre << sagesse.» Impuissante sauvegarde qui n'avait pu paralyser le bras des assassins.

Il fallait donner la sépulture aux morts, afin de préserver la population de Paris du spectacle hideux de tant de cadavres, et de l'infection qu'ils auraient pu engendrer. La commune avait tout prévu, tout réglé d'avance. Avant l'heure des massacres, un municipal

Sept. 1792, avait lui-même visité les carrières de Ménilmontant; il y avait fait ouvrir un grand puits, fermé depuis peu de temps; mais, ne trouvant pas cette tombe assez vaste pour tant de victimes réservées à la mort, il était allé reconnaître les excavations souterraines de la plaine de Montrouge. Ce fut là que des voitures et d'immenses chariots ne cessèrent de transporter des débris sanglants et mutilés. Du haut de ces voitures, des femmes trônaient sur des cadavres, et faisaient retentir l'air de chants et de cris obscènes. On prit la précaution de couvrir les corps d'un amas de chaux vive, afin de les consumer plus promptement heureuse la France, si les bourreaux avaient pu ensevelir dans le même sépulcre le souvenir et l'opprobre de tant de crimes!

Ils réussirent cependant à jeter beaucoup d'obscurité sur leurs tristes œuvres; et, chose étrange, ils y parvinrent à ce point, que de nos jours, alors que chacun a pu interroger des témoins oculaires, alors que beaucoup de témoins vivent encore, il est impossible de savoir, même par approximation, quel fut le nombre des morts, de connaître exactement combien de jours durèrent les massacres, à quel moment ils furent terminés. On s'accorde à admettre, malgré l'incertitude des monuments ou des témoignages, que, dans la journée du 6 septembre, le sang cessa de couler. Quant au chiffre des victimes, les évaluations vulgaires, acceptées par la plupart des historiens, le portent à douze mille huit cent cinquante: on peut le croire fort exagéré; mais il ne faudrait pas, comme on a essayé de le faire, prendre pour unique base des supputations les

registres des écrous, d'après lesquels le nombre des Sept. 1792. morts n'aurait pas dépassé mille quatre-vingt-neuf : tant d'arrestations avaient été faites dans les journées qui précédèrent les massacres, qu'on doit reconnaître qu'il n'en avait point été fait mention sur les livres des diverses prisons. Quoi qu'il en soit, c'est entre ces deux limites que l'esprit est réduit à hésiter.

provinces à

peuple des

imiter Paris.

Les massacres de septembre devaient rappeler jus- La commune qu'au bout l'horrible souvenir de la Saint-Barthélemy; les meneurs de la commune de Paris invitèrent toutes les communes de France à suivre leur exemple. Voici la lettre qu'ils adressèrent aux municipalités des départements, et qui fut expédiée sous le contre-seing de Danton, ministre de la justice:

« Frères et amis,

<«< Un affreux complot tramé par la cour pour égorger << de l'empire tous les patriotes français, complot dans << lequel un grand nombre de membres de l'assemblée << nationale se trouvent compromis, ayant réduit, le 9 <<<< du mois dernier, la commune de Paris à la cruelle « nécessité de se ressaisir de la puissance du peuple << pour sauver la nation, elle n'a rien négligé pour bien <<< mériter de la patrie; témoignage honorable que vient <<< de lui donner l'assemblée nationale elle-même. L'eût<<< on pensé? dès lors de nouveaux complots non moins << atroces se sont tramés dans le silence; ils éclataient <<<< au moment où l'assemblée nationale, oubliant qu'elle << venait de déclarer que la commune de Paris avait <«<< sauvé la patrie, s'empressait de la destituer pour prix

Sept. 1792. « de son brûlant civisme. A cette nouvelle, les clameurs publiques, élevées de toutes parts, ont fait sentir à « l'assemblée nationale la nécessité urgente de s'unir « au peuple, et de rendre à la commune, par le rap«< port du décret de destitution, les pouvoirs dont il l'a<< vait investie.

« Fière de jouir de la plénitude de la confiance na«tionale, qu'elle s'efforcera toujours de mériter de plus en plus; placée au foyer de toutes les conspira<«<tions, et déterminée de s'immoler pour le salut pu«blic, elle ne se glorifiera d'avoir pleinement rempli << ses devoirs que lorsqu'elle aura obtenu votre ap<< probation, objet de tous ses vœux, et dont elle ne « sera certaine qu'après que tous les départements au<«<ront sanctionné ses mesures pour sauver la chose pu<< blique.

« Professant les principes de la plus parfaite égalité, << n'ambitionnant d'autres priviléges que celui de se

présenter la première à la brèche, elle s'empressera <<< de se remettre au niveau de la commune la moins nom« breuse de l'État, dès l'instant que la patrie n'aura «< plus rien à redouter des nuées de satellites féroces qui << s'avancent contre la capitale.

« La commune de Paris se hâte d'informer ses frères << de tous les départements qu'une partie des conspira<< teurs féroces détenus dans les prisons a été mise à << mort par le peuple; actes de justice qui lui ont paru <«< indispensables pour retenir par la terreur ces légions « de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il << allait marcher à l'ennemi: et sans doute la nation <«< entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont

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