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Quatre projets de décret furent soumis à l'assemblée Nov. 1791. législative contre les prêtres non assermentés. Dans la Résolution prise par séance du 29 novembre, elle se détermina à adopter le l'assemblée. plan proposé par le député François (de Neufchâteau), poëte qui composait des vers élégiaques, de fades géorgiques où il était question de paix, d'âme pure, de vertu tranquille, et qui, législateur ou homme de gouvernement, concluait pour l'injustice et le crime. Cet orateur, ainsi que l'assemblée, eut, ce jour-là, toute la franchise de la tyrannie quand elle s'exerce contre la religion: il ne craignit pas d'établir, dans son discours, que la liberté est le patrimoine de tous, à l'exception du prêtre; faisant ensuite allusion à la sévérité qu'il allait conseiller contre le clergé catholique, il compara la nation à un père de famille qui aurait un champ où ramperaient des serpents venimeux, et, au bruit des applaudissements de la gauche, il exhorta le père de famille à détruire ces reptiles, et non à les nourrir du sang de ses propres fils. Le décret, qui fut voté presque d'enthousiasme à la suite de ce discours barbare, enjoignait aux prêtres non assermentés de prêter le serment civique; il privait les réfractaires des traitements, pensions et indemnités qui leur étaient dus en vertu des lois de l'assemblée constituante, et comme valeur représentative des biens dont on avait dépouillé le clergé; les prêtres demeurés fidèles à l'Église étaient, de plus, mis sous la surveillance des directoires de départements, qui, en cas de troubles, et sur la dénonciation de quelques citoyens, avaient la faculté de les éloigner de leurs domiciles. Parmi les députés, trop rares, qui s'opposèrent à l'adoption de cette loi tyran

Nov. 1791. nique, l'histoire reconnaissante doit citer Pastoret et Sédillez.

Attitude

des cabinets

Mais déjà la grave question de l'émigration politique avait appelé les préoccupations de l'assemblée et des clubs, et on l'avait en quelque sorte posée de front avec celle du clergé.

Les puissances de l'Europe, en apprenant que le roi de l'Europe. avait accepté la constitution, avaient cru devoir suspendre, du moins pour le moment, leurs préparatifs de guerre contre la révolution française sur l'invitation de l'empereur Léopold, elles avaient généralement résolu d'attendre et de voir si l'ordre ne se rétablirait pas de lui-même en France. Elles ne se réservaient d'agir que dans le cas où de nouveaux attentats apprendraient à l'Europe la captivité ou les dangers personnels de la famille royale. Jusque-là, il leur paraissait convenable de s'abstenir; et toutefois elles n'adoptaient pas à cet égard une politique uniforme. Comme celles qui avoisinaient davantage la France, et que la contagion de la démagogie semblait menacer davantage, étaient en même temps les premières exposées aux sacrifices et aux coups de la guerre, elles écoutèrent mieux leur intérêt matériel que leurs répugnances. L'Angleterre protesta de son désir de rester neutre: la Prusse se hâta de prendre une attitude amicale, et de saisir la moindre lueur d'espoir qui s'offrait à elle pour la dispenser de commencer les hostilités; les électeurs de Trèves et de Mayence n'hésitèrent qu'un moment entre les émigrés et la France révolutionnaire; la Hollande et la Suisse firent des réponses satisfaisantes; le roi d'Espagne demanda du temps, afin de s'assurer si le roi

Louis XVI jouissait vraiment de sa liberté physique et Nov. 1791. morale; la czarine, plus fière dans ses allures, refusa de reconnaître les pouvoirs de l'ambassadeur français; et le roi de Suède, qui convoitait le titre de généralissime de l'Europe contre la France, renvoya la lettre officielle de Louis XVI sans daigner l'ouvrir.

du sang.

Les émigrés se montrèrent plus décidés et plus har- Protestations des émigrés dis comme ils ne voulaient en aucune façon tolérer et des princes l'établissement définitif des institutions révolutionnaires, et sanctionner par leur silence la destruction de l'ancien ordre social, ils continuèrent de s'agiter et de s'organiser à Coblentz, en vue de la prochaine invasion de la France. Ce fut alors que les deux frères du roi, le prince de Condé, les ducs de Bourbon et d'Enghien, publièrent une protestation contre l'acceptation de l'acte constitutionnel subie par Louis XVI. Ils déclarèrent à la France et au monde que cette acceptation était nulle et non avenue, ayant été visiblement arrachée par la force; qu'eût-elle été volontaire, elle avait alors excédé les droits du roi, Louis XVI n'ayant pu valablement consentir à l'abolition des lois fondamentales de l'empire; que, dépositaire usufruitier du trône légué par ses aïeux, le roi ne pouvait, en aliénant ses droits primordiaux, détruire la base constitutive sur laquelle il était assis; que, défenseur né de la religion de ses États, il n'avait pu consentir à sa ruine, cimenter la spoliation des droits politiques des ordres privilégiés, et légitimer la violation des propriétés particulières; que la constitution elle-même était frappée de nullité par le vice radical de l'assemblée usurpatrice, par le défaut de pouvoirs des membres de la constituante, et le mé

Nov. 1791. pris avoué des instructions données aux députés des

de

Principes.

trois ordres, et formulées par la nation dans les cahiers
de 1789. Les princes du sang avaient cru devoir ré-
pondre ainsi aux envahissements et aux menaces du
principe révolutionnaire, et la noblesse française aussi
bien que
la cour leur en sut gré: aussi leur protesta-
tion fut-elle colportée, rendue publique; et cet instinct
de défiance qui trompe rarement les oppresseurs, quels
qu'ils soient, avertissait les jacobins et les démagogues
de toute classe que, nonobstant les engagements offi-
ciels et le langage rassurant du roi, ce prince, trop bien
éclairé sur le malheur de sa situation, voyait ses enne-
mis à Paris et ses partisans à Coblentz. Hélas! de la fi-
délité des uns ou des complots des autres on ne sait qui
devait le mieux tourner à sa perte.

Progrès Une question qui se rattache au droit naturel et à l'émigration. la liberté la plus légitime naissait des besoins du moment et des progrès toujours rapides de l'émigration. En principe, tout homme a le droit de changer de résidence, au gré de ses intérêts, de ses affaires, de ses plaisirs et de sa volonté; mettre obstacle à l'exercice de cette faculté, interdire aux regnicoles la sortie du territoire, déclarer crime le seul fait de l'émigration, c'est méconnaître les priviléges inhérents à la liberté, c'est faire acte de tyrannie. Or la France, encore orgueilleuse de ses institutions nouvelles, toute fière d'avoir déterré les droits de l'homme dans les archives de la liberté, pouvait-elle à ce point méconnaître sa constitution, et donner un démenti odieux à ses principes? Les opinions étaient hautement divisées pour la solution de ce problème.

Aujourd'hui, nous croyons que, si la passion ou la Nov. 1791. crainte sont de mauvaises conseillères lorsqu'il s'agit de prémunir un pays contre les projets éventuels d'une émigration puissante, la thèse absolue de liberté, qui n'admet aucune mesure préventive et ne permet à un peuple de combattre les émigrés sortis de son sein qu'au moment où ils rentrent à main armée sur le territoire national, est une utopie dangereuse, proclamée à l'usage exclusif des opinions oppressives. Il faut donc distinguer entre les émigrés qui s'éloignent de leur patrie par le désir légitime de mettre en sécurité leurs têtes, qui attendent silencieusement, sur la terre de l'étranger, la fin de l'orage et le jour de la justice, et ceux qui, non contents de ce rôle passif, de ces inertes angoisses, rassemblent et combinent tous les moyens, et, au besoin, provoquent l'invasion étrangère, pour se faire ouvrir de force les portes de leur pays, et pour reprendre possession des droits dont ils se sont vu spolier. Sans doute, même dans ce dernier cas, comme il ne cherche qu'à reprendre par la guerre ce que la violence lui a enlevé, comme il se croit d'ailleurs opprimé et vaincu par un brigandage légal, l'émigré ne cesse jamais d'être innocent à ses propres yeux; sans doute il ne fait qu'user de toutes les ressources qui lui paraissaient propres à mettre fin à l'usurpation de ses ennemis; mais ce n'est là qu'une vérité relative. La question semble changer si l'on envisage les intérêts et les droits du pays que l'émigration menace à main armée. A ce dernier point de vue, toute nation a le droit de prendre des précautions contre les projets hostiles des émigrés; de déclarer que si, en

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