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conduisirent hors du guichet en criant: « Chapeau Sept. 1792. « bas!... Citoyens, voilà celui pour lequel vos juges << vous demandent aide et secours. » Ces paroles prononcées, le peuple poussa le cri de Vive la nation! et M. de Saint-Méard fut ramené comme en triomphe jusqu'à son domicile.

M. Weber, frère de lait de la reine, madame de Fosse-Landry, nièce de l'abbé de Rastignac, et un petit nombre de prisonniers, furent également épargnés; parmi eux, le vénérable et spirituel Cazotte, écrivain suspect de royalisme et d'aristocratie, échappa au massacre, grâce au dévouement de sa fille, la jeune Élisabeth, qui, lui faisant un rempart de son corps et l'embrassant étroitement de ses mains pieuses, parvint à attendrir les bourreaux. Quand elle eut obtenu la grâce de son malheureux père, elle trouva dans sa tendresse filiale une force merveilleuse, et l'on vit cette nouvelle Antigone emporter elle-même ce vieillard, soustrait aux assassins, à travers la foule dont les rangs s'ouvraient avec respect. Ce ne fut, hélas! qu'un bonheur et un triomphe de peu de durée. Dix jours après, l'infortuné Cazotte comparut devant le tribunal révolutionnaire du 27 août, et fut condamné à mort. Mademoiselle de Sombreuil, fille de l'ancien gouverneur des Invalides, fut plus heureuse, et son père lui fut rendu sans lui être de nouveau arraché; mais on frémit en se rappelant à quelle terrible condition elle dut de sauver les jours de ce vieillard. L'un des bourreaux lui présenta un verre de sang, et l'héroïque jeune fille, en acceptant ce breuvage, obtint la grâce de son père. Depuis ce jour, son visage con

Sept. 1792. serva l'empreinte d'une pâleur qui ne s'est jamais

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effacée.

Pendant que des flots de sang coulaient à l'Abbaye, aux Carmes, à Saint-Firmin, la prison de la Force était le théâtre de pareilles scènes d'horreur. Là aussi on avait installé un tribunal d'assassins, que présidait l'infâme Hébert, ancien marchand de contremarques, alors rédacteur du cynique Père Duchesne, et membre de la commune; à ses côtés siégeait l'Huillier, comme lui officier municipal: tous deux étaient ceints de leur écharpe tricolore. Leurs dignes assesseurs étaient trois hommes assis autour de la table, sur laquelle on avait apporté le registre d'écrous, et d'autres hommes debout qui faisaient les fonctions de jurés. Une douzaine de bourreaux, les bras nus, couverts de sang, les uns armés de massues, les autres de sabres et de coutelas, attendaient avec impatience les arrêts de mort et se chargeaient de les exécuter. Nous avons vu que la fatale sentence était également rendue en mots mystérieux; les brigands voulaient éviter des scènes de désespoir dans l'intérieur de la prison. Cette simple formule: A l'Abbaye, et quelquefois aussi ces mots : Élargissez monsieur, représentaient toujours un ordre sanglant. Ainsi qu'à l'Abbaye, les égorgeurs recevaient un salaire.

Les massacres commencés à la Force durèrent cinq jours. Cette prison renfermait alors un grand nombre de femmes; un commissaire de la commune en fit mettre vingt-quatre en liberté, parmi lesquelles, grâce à la protection de Manuel, figurèrent madame de SaintBrice, attachée au service de la reine, et mademoi

selle Pauline de Tourzel, fille de la marquise de Tour- Sept. 1792. zel, gouvernante des enfants de France. Cette jeune personne fut rendue à sa mère, qui, elle-même, avait eu la vie sauve à l'Abbaye.

A la Force, il y avait un certain nombre de prêtres, récemment incarcérés, qui furent impitoyablement mis à mort. On massacra l'abbé Bardy, depuis longtemps détenu sous prévention d'assassinat; l'abbé Bertrand, ancien membre du grand conseil, fut épargné par l'horrible tribunal. On égorgea sans pitié le chevalier de la Chesnaye, dont la vie déjà longue avait été pleine de vertus. Après lui, périrent de nombreuses victimes, parmi lesquelles nous nous bornerons à mentionner l'abbé Flost et l'abbé de la Gardette.

M. de Rulhière, frère de l'historien de ce nom, était renfermé à la Force. On lui reprochait d'avoir commandé la cavalerie royale dans la journée du 10 août; et les bourreaux se promirent de lui faire expier son courage par le plus cruel supplice, afin qu'il eût le temps de se sentir mourir. Le brave militaire leur ayant été livré, ils l'emmenèrent en criant: Force à la loi! puis ils le frappèrent à coups de plat de sabre, jusqu'à ce que les entrailles fussent mises à nu. Pendant cette épouvantable exécution, qui se prolongea. une demi-heure, et que termina enfin la mort, le patient ne cessa de lutter contre ses bourreaux. Ces affreuses scènes réjouissaient la multitude, qui couvrait de ses éclats de rire les cris des mourants.

Mort affreuse

De toutes les victimes qui périrent dans ces exécrables journées, madame la princesse de Lamballe, amie dévouée et généreuse de la reine, fut celle dont la mort Lamballe.

de la princesse de

Sept. 1792. attesta davantage la barbarie des égorgeurs et l'excès

d'opprobre dans lequel était tombée la France, autrefois si glorieuse, et devenue en ce jour un repaire d'assassins, une caverne de bêtes fauves. Cent cinquante mille francs avaient été comptés à Manuel, pour qu'il essayât de sauver madame de Lamballe; mais les efforts qu'il fit pour y parvenir furent inutiles tous ceux qui avaient médité ou commandé la mort de cette princesse infortunée tenaient à accomplir jusqu'au bout leur vengeance. Résignée à mourir, madame de Lamballe ne songeait qu'aux dangers de la reine : « Oh! disait-elle, si du moins ils ne tuaient << que moi! >>

Le 3 septembre, à huit heures du matin, des hommes coiffés du bonnet rouge entrèrent dans sa chambre; elle les attendait, et se trouva bientôt prête à les suivre. Quand elle parut devant le tribunal, que présidait Hébert, on lui fit subir un court interrogatoire. <«< Qui êtes-vous ?

- << Marie-Louise de Savoie, princesse de Lam<< balle.

- « Vous étiez au château des Tuileries pendant la <«<< journée du 10 août?

<«< Oui; c'était ma place, comme surintendante de <<< la maison de la reine.

<«< Vous êtes accusée d'avoir été complice des <<< crimes de la reine contre la nation.

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<< Je ne connais point de crimes de la reine contre <<< la nation.

— « Vous étiez instruite de la conspiration du 10 << août contre le peuple?

*

-« Je proteste ignorer encore cette conspiration Sept. 1792.

<«< contre le peuple.

- << Vous avez eu des correspondances avec les émi

grés, et vous avez reçu du prince de Condé la lettre << que vous avez sous les

yeux.

<<<< Recevoir des lettres d'un parent n'est pas un «< crime. Celle que vous me présentez ne contient rien <<< contre la nation.

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«< Faites serment d'aimer la liberté et l'égalité; <<< faites serment de haïr le roi et la reine.

- « Le premier serment, je le ferai; le second, je <<<< ne le ferai pas: il n'est pas dans mon cœur.

- << Jurez donc, dit l'un des juges qui voulait la <«< sauver; jurez, et vous serez épargnée.

- << Jamais je ne jurerai haine au roi et à la reine ! » Cette noble réponse devait être suivie d'un arrêt de mort. Le président prononça ces mots : Qu'on élargisse madame; et les deux brigands qui avaient amené la princesse l'entraînèrent au delà du guichet.

Les uns disent que les hommes qui s'intéressaient à elle lui avaient recommandé de crier Vive la nation! mais qu'effrayée à la vue du sang et des cadavres elle dit involontairement: Quelle horreur! et que les assassins, prenant ces mots pour une bravade, l'avaient à l'instant frappée. Des récits plus dignes de foi peut-être font connaître que, du moment où elle se vit conduite, à travers des monceaux de cadavres, sur un pavé couvert de membres humains et ruisselant de sang, elle se borna à dire: Je suis perdue! et qu'alors ses jambes fléchirent. En passant le seuil de la porte, elle reçut derrière la tête un coup de sabre

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