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Sept. 1792, des prêtres? Beaucoup d'historiens ont accepté la première de ces deux interprétations: disons-le encore, quelle que grande que soit l'horreur qu'éveille en nous le souvenir de Manuel, nous croyons qu'il ne se jouait pas de ses victimes.

Le 2 septembre, les mouvements précipités de la troupe qui gardait les prisonniers, les vociférations qui des rues voisines parvenaient jusqu'à leurs oreilles, le canon d'alarme qu'ils entendaient tirer, leur révélèrent en partie les sinistres événements du dehors; ils attendirent au milieu des angoisses les plus vives, que tempérait seule leur confiance en Dieu, le moment fatal où s'accompliraient les menaces de la multitude. Le commissaire de la section ayant fait un appel individuel de chacun d'eux, ils y répondirent, et descendirent ensuite dans le jardin, déjà occupé par des gardes nouveaux armés de piques et coiffés du bonnet rouge. Plusieurs d'entre les prisonniers se firent un refuge d'un petit oratoire placé dans un angle du jardin, et commencèrent à dire les vêpres des morts, lorsque soudain les barrières furent ouvertes, et les assassins pénétrèrent par plusieurs issues.

Le premier qui tomba sous leurs coups fut M. de Salins, qui, profondément occupé d'une lecture, n'avait paru s'apercevoir de rien: ils le massacrèrent à coups de sabre. Après avoir accompli ce crime, ils cherchèrent partout le pieux archevêque d'Arles. Le premier de ceux qu'ils interrogèrent, l'abbé de Pannonie, se contenta de baisser les yeux sans répondre, espérant détourner sur lui les coups des assassins; mais cette noble résignation ne put tromper les bourreaux. Pen

dant qu'ils se répandaient dans les allées, le vénérable Sept. 1792. prélat qu'ils s'apprêtaient à égorger était entouré des compagnons de son infortune, et les exhortait à offrir à Dieu le sacrifice de leur vie, leur rappelant qu'ils allaient avoir l'honneur, devenu si rare, de sceller de leur sang la foi de Jésus-Christ. Le pieux vieillard, entendant prononcer son nom, se leva du pied de l'autel, et s'avança du côté des assassins; puis, ayant croisé ses mains sur sa poitrine, il leur dit d'une voix calme : « Je suis celui que vous cherchez. Ah! << s'écria l'un des égorgeurs, c'est toi qui as fait verser << le sang des patriotes d'Arles? Je n'ai jamais fait « verser de sang, répondit-il, et je n'ai jamais fait « de mal à personne. Eh bien moi je vais t'en

« faire..... »

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Le misérable qui venait de proférer ces derniers mots asséna alors un coup de sabre sur le front du prélat, mais le vieillard resta debout; une main non moins criminelle lui porta un second coup; et, bien que le sang coulât à gros bouillons de la nouvelle blessure, l'archevêque ne tomba pas encore à la fin, un homme du peuple lui enfonça le fer de sa pique dans la poitrine, et la victime rendit le dernier soupir. Les brigands foulèrent aux pieds son cadavre, au cri de Vive la nation!

Bientôt après commença cette horrible chasse aux prêtres, qui était, après deux ans de tyrannie légale, le résultat prévu et naturel du premier décret rendu par l'assemblée constituante, pour attenter aux lois de l'Église et légitimer le schisme. Pendant que les malheureux ecclésiastiques fuyaient au hasard dans le jardin,

zept. 1792. les uns se cachant derrière les haies, d'autres cherchant à monter dans les tilleuls, les assassins les fusillaient; et, quand ils avaient réussi à faire tomber une de ces victimes, ils s'acharnaient sur son corps, prolongeant son agonie et insultant à ses souffrances.

L'évêque de Beauvais et l'évêque de Saintes étaient avec trente prêtres dans le petit oratoire; une grille les séparait de leurs bourreaux. Ceux-ci tirèrent sur eux à bout portant, et en tuèrent la plus grande partie. L'évêque de Beauvais ne fut pas atteint, mais l'évêque de Saintes eut la jambe fracassée par une balle. Deux des assassins le prirent par les bras et le traînèrent dans l'église; ce fut là aussi qu'on ramena ou qu'on rapporta les autres prêtres, blessés ou non, qui vivaient encore. Tous ensemble, alors réunis au pied des autels, offrirent de nouveau le sacrifice de leur vie au Dieu sauveur; agenouillés sur les marches, ils priaient et se confessaient les uns aux autres, pendant que les bourreaux les appelaient et les faisaient sortir deux à deux, pour les massacrer plus promptement et plus sûrement. A chacun de ceux qui comparaissaient pour subir la mort, un commissaire nommé Violette offrait de rendre la vie et la liberté, à la seule condition de prêter le serment schismatique prescrit par la loi; et, comme ils se refusèrent tous à trahir leur Dieu, pas un seul de ces généreux confesseurs ne fut épargné. Tandis que les bourreaux mêlaient le blasphème au meurtre, pendant qu'ils brisaient les croix et les tabernacles, cette sainte phalange de prêtres, de moment en moment diminuée par la mort, priait encore Dieu pour le peuple et pour la France. L'évêque de Saintes

et l'évêque de Beauvais furent presque les derniers immolés; sept autres prêtres parvinrent à s'échapper, grâce à des hommes qui avaient eu la généreuse audace de se glisser parmi les bourreaux pour sauver les victimes.

Pendant qu'on faisait ainsi couler le sang des martyrs aux Carmes et à l'Abbaye, quatre-vingt-douze prêtres, également retenus prisonniers dans les bâtiments du séminaire de Saint-Firmin, étaient mis à mort par d'autres hordes de brigands. L'impatience des meurtriers frémissait des lenteurs d'un massacre ordinaire. Pour en finir à Saint-Firmin, on précipita les prêtres du haut des fenêtres, et des femmes achevaient ces malheureux à coups de pierres ou de massue. Nous voudrions qu'il nous fût possible de mentionner ici les noms de ces hommes qui périrent, en ce jour, sous les coups des persécuteurs, et qui rendirent témoignage pour la gloire de Jésus-Christ. Les bornes de ce livre ne nous permettent pas d'inscrire les noms de tant de martyrs, et c'est à peine si nous pouvons citer à la hâte l'abbé Copeine, M. Gros, curé de Saint-Nicolas du Chardonnet; l'abbé Hébert, coadjuteur du supérieur général des Eudistes; dom Ambroise Chevreux, général des bénédictins; l'abbé de Lubersac, ancien vicaire général de Narbonne.

La nuit arrivait, mais elle ne suspendait pas la rage des assassins. Maillard, qui, selon son horrible expression, n'avait plus rien à faire aux Carmes, revint à l'Abbaye, escorté de la bande qui poussait des cris de mort. Il s'agissait, non plus de massacrer des prêtres,

Sept. 1792.

Massacre des prêtres

détenus

à Saint

Firmin.

Nouveaux

massacres à

Abbaye.

Sept. 1792. mais d'exterminer promptement les Suisses détenus depuis le 10 août, et les nombreux prisonniers politiques entassés dans cette maison.

L'Abbaye était une prison obscure, flanquée de tourelles, irrégulièrement percée de petites fenêtres grillées, et qui, il y a peu d'années encore, s'élevait dans un étroit carrefour. L'aspect de cette prison glaçait naguère d'effroi ceux qui, en se hasardant au pied de ses murs noirs et sales, se rappelaient de quel sang ses pierres furent autrefois baignées. Quand les hordes de sans-culottes armés de piques s'y présentèrent, dans la soirée du 2 septembre, pour y réclamer leur proie, le geôlier et sa femme, émus d'un reste de pitié, s'évanouirent, et ne purent disputer aux assassins l'entrée de la prison; en un clin d'œil de nouveaux massacres recommencèrent.

Cependant il fallait procéder avec quelques semblants de régularité : l'huissier Maillard, habitué aux formes judiciaires, tenait à les maintenir, même dans le silence et dans le néant des lois. L'un de ses affidés, monté sur un banc, se mit à haranguer le peuple: «Mes amis, s'écria-t-il, vous voulez détruire les

aristocrates, qui sont les ennemis du peuple, et qui <<< devaient égorger vos femmes et vos enfants tandis << que vous seriez à la frontière. Vous avez raison, «< sans doute; mais vous êtes de bons citoyens, vous <«< aimez la justice, et vous seriez désolés de tremper << vos mains dans le sang innocent. » — « Oui, oui ! » répondit-on de toutes parts. - «Eh bien! reprit cet << étrange orateur, je vous le demande, quand vous vou<«<lez, sans rien entendre, vous jeter comme des tigres

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