Page images
PDF
EPUB

en défendre les passages et attendre des renforts. Août 1792. Dumouriez se leva, en annonçant qu'il réfléchirait puis, le conseil s'étant séparé, le général en chef ne retint avec lui que l'adjudant Thouvenot, dont il avait cru distinguer la fermeté et l'intelligence, et tous deux concertèrent un plan de résistance différent de celui qui avait prévalu.

Dumouriez, en effet, n'approuvait point qu'on se retirât sur Châlons. Il disait que c'était abandonner la Lorraine, les Évêchés et les Ardennes; qu'en se retirant derrière la Marne il fallait nécessairement brûler Châlons, et sacrifier Reims et Soissons; que les Prussiens trouveraient facilement les moyens de franchir la Marne, et qu'alors l'accès de Paris leur serait ouvert; qu'enfin il n'y avait pour l'armée française aucune position à défendre, aucune ligne à garder entre Châlons et la capitale du royaume. Montrant ensuite sur la carte la forêt d'Argonne, Dumouriez s'écria : « Voilà les Thermopyles de la France; si j'ai le bon<<< heur d'y arriver avant les Prussiens, tout est sauvé. » Nous ne tarderons pas à voir s'il tint sa promesse.

Une citadelle composée d'un pentagone irrégulier,

Siége et prise

dix bastions liés entre eux par des courtines mal de Verdun. couvertes, des fossés profonds et quelques ouvrages à cornes et à couronnes, le tout en mauvais état d'entretien et de défense, telles étaient les fortifications qui devaient arrêter, au pied de Verdun, une armée de cinquante mille hommes prussiens et autrichiens, et l'élite de la noblesse de France, commandée par les frères de Louis XVI. La garnison se composait de trois mille hommes, placés sous les ordres du colonel

:

Sept. 1792. Beaurepaire et des chefs de bataillon Lemoine, Dufour et Marceau la population, animée de sentiments royalistes, sympathisait vivement avec les étrangers, et souhaitait leur triomphe; de sorte que la troupe chargée de défendre la ville se trouvait placée entre deux ennemis.

Le 30 août, l'armée prussienne prit position sur la côte Saint-Michel qui domine la ville, et campa dans la vallée de la Meuse, sur la rive droite de cette rivière, entre Belleville, Fleury et Grand-Bras. Le lendemain, le général Kalkreuth, ayant fait jeter un pont sur la Meuse, s'établit sur la rive gauche, et la place fut entièrement investie. A dix heures du matin, le roi de Prusse envoya à la garnison sommation de se rendre; et, sur le refus de Beaurepaire, tout fut disposé pour un prochain bombardement. De six heures du soir à sept heures du matin, sauf deux heures d'intervalle, trois batteries firent pleuvoir sur la ville des obus et des projectiles incendiaires; mais le dommage fut peu considérable. Cependant la population, imitant la résolution timide des habitants de Longwy, contraignit les chefs militaires à capituler l'intrépide Marceau s'opposa jusqu'au dernier moment à cette honte, et Beaurepaire, pour ne pas en être témoin, se brûla la cervelle dans la salle même du conseil. La reddition de Verdun, qui livrait aux armées coalisées l'une des clefs les plus importantes de la frontière, eut lieu le 2 septembre. Mais, le jour même où le roi de Prusse prenait possession de cette ville au nom de son frère le roi de France, Paris était le théâtre d'un immense attentat, dont le souvenir, transmis d'âge

en âge, marquera à jamais la révolution d'un stig- Sept. 1792. mate de deuil, et fera douter des bienfaits de la li

berté. Nous allons remplir le douloureux devoir d'en retracer l'histoire.

des royalistes

A la nouvelle de la prise de Longwy par les Prus- Dispositions siens, une lueur d'espérance avait ranimé le courage de Paris. des royalistes de toutes nuances, qui se tenaient cachés à Paris depuis la catastrophe du 10 août. Par un sentiment naturel, qui pour chaque individu n'est autre que le besoin de sa propre conservation, sentiment que le patriotisme désavoue, mais que l'humanité excuse, toutes ces têtes placées sous le couteau des jacobins envisagèrent, comme un moyen de salut, la victoire des étrangers et la ruine des armées révolutionnaires. La patrie, pour ces hommes proscrits par la démagogie, c'était moins le sol natal que toute terre sur laquelle ils pourraient respirer en sécurité; leurs concitoyens, ce n'étaient plus ceux qui dressaient la guillotine, mais ceux qui venaient la renverser. On s'est montré sévère et parfois implacable pour cette complicité du patient envers celui qui cherche à le délivrer, et on a mis à la mode un patriotisme héroïque et surhumain qui accepte avec enthousiasme la tyrannie, la persécution et la mort, pourvu que le bourreau soit français et que sa hache soit française ; mais cette résignation sublime appartient plutôt au monde des chimères qu'à celui de la réalité, et il est plus commode que juste d'exiger de l'homme, et surtout de ses propres ennemis, des vertus à peu près impossibles. Et ces mêmes hommes qui jugent avec tant de rigueur les royalistes de 1792, ne les voyons

Sept. 1792, nous pas, de nos jours, prêts à porter le secours de leurs bras et de leur sang à tous les peuples, à tous les partis révolutionnaires qui sont, au dehors, à l'état de révolte ou de guerre civile? Que si ceux qu'ils veulent affranchir peuvent, sans opprobre, accepter leur appui et leurs armées, de quel droit ces propagandistes inventeront-ils d'autres lois morales et une autre justice quand il s'agira de leurs adversaires, ou quand la question sera en France.

Résolution furieuse de

la commune et des jacobins.

Mais une appréciation indulgente des actes ou des opinions d'un parti ne peut être réclamée que de l'histoire; au moment des luttes vives, chacun renvoie à son adversaire outrage pour outrage, coup pour coup, et, moins que d'autres, les jacobins se trouvaient en mesure de juger les partisans de la royauté avec cette impartialité sereine que la postérité seule apporte dans ses arrêts. Comme ils avaient la conscience de la haine et de la crainte qu'ils inspiraient à leurs ennemis, ils ne se faisaient pas illusion sur de tels sentiments, et ils se montraient plus que jamais violents et sans pitié; surtout ils redoutaient de laisser derrière eux et après eux des hommes qui auraient à se réjouir de leurs misères ou des défaites de la révolution; ils consentaient bien à périr euxmêmes dans le grand naufrage de la patrie, mais, afin que la mort leur fût moins amère, ils voulaient que leurs ennemis succombassent avant eux. D'un autre côté, de secrets instincts leur révélaient que le peuple de Paris, en dépit de leurs excitations, manquerait peut-être d'énergie au dernier moment, et se résignerait à subir l'amnistie des Prussiens en même

de

temps que leur triomphe : or, s'il en était ainsi, Sept. 1792. tout espoir était perdu pour eux, à cause de leur petit nombre. Il était donc nécessaire de lier pour jamais le peuple de Paris à leur propre fortune ; ne laisser à ces masses, prêtes à les abandonner, d'autre espoir que la victoire ou la mort. Pour arriver à ce résultat, il fallait rendre Paris indigne du pardon de l'ennemi, et lui imposer toute la complicité de leurs œuvres, toute la solidarité de leur situation. Ce calcul était atroce; mais la commune et les clubs, ou du moins leurs principaux meneurs, ne reculèrent pas devant lui.

un vaste massacre.

L'idée d'un vaste massacre, conçu par les chefs de On médite la révolution et exécuté par le peuple, présida dès ce moment aux actes de la commune. Pour frapper de mort les ennemis de la révolution, il fallait d'abord leur interdire la fuite, et les désigner facilement aux piques de la multitude. La commune se chargea de ce soin, secondée d'ailleurs par Danton, l'homme en qui se résumait alors tout ce qu'il y avait d'énergie et de fureur dans la révolution elle-même. Ce fut Danton qui, pour paralyser la garde nationale et la réduire à voir s'accomplir le crime sans l'interdire, proposa à la commune de dresser dans les sections un état de tous les citoyens nécessiteux capables de faire le service militaire, et de leur assurer une paye journalière : cette sinistre milice, l'arrière-ban de toute nation civilisée, devait être à la disposition des jacobins contre leurs ennemis et contre leurs victimes.

Un arrêté de la commune avait ordonné le désar

« PreviousContinue »