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Août 1792.

à sa garde de

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firmait avec énergie que c'était sans son aveu qu'on faisait ainsi des rues de Paris un champ de bataille. Ému jusqu'au fond de l'âme des malheurs publics et oubliant qu'en ce jour de lutte il n'avait d'autre ressource que de vaincre, il n'osa faire autre chose que pardonner des deux abîmes entre lesquels il hésitait, c'était Le roi enjoint là le plus dangereux. L'infortuné monarque s'empressa cesser de d'abord d'expédier aux Suisses de Courbevoie et de Rueil, marchant alors sur Paris, l'ordre de retourner sur leurs pas, et de ne point sortir de leurs cantonnements; puis il envoya aux Tuileries le commandant d'Hervilly, l'un de ses serviteurs fidèles, avec ordre d'arrêter l'effusion du sang, et de prescrire aux Suisses de mettre bas les armes.

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C'était leur défendre de vaincre ils obéirent et se replièrent sur l'assemblée nationale, pour se mettre à la disposition du roi. Beaucoup d'entre eux périrent pendant ce mouvement de retraite. D'un autre côté, leur arrivée aux portes de la salle, tandis que le combat se prolongeait encore sur des points éloignés, fit croire aux députés qu'on cherchait à les surprendre et à s'emparer de leurs personnes. La lâcheté des uns fut à peine dissimulée par la fureur des autres; ce fut un moment de trouble et de tumulte qu'il faut renoncer à décrire.

Les insurgés n'étant plus poursuivis avaient repris l'offensive; les Marseillais et les Bretons, fortifiés par plusieurs bataillons du faubourg Saint-Antoine et par les attroupements du faubourg Saint-Marceau, ceux-ci ayant à leur tête le Polonais Lazowski, se portèrent de nouveau sur la demeure royale, et en assiégèrent les avenues vers le Louvre et le Carrousel. D'un autre côté,

le poste du Pont-Tournant, attaqué par des masses con- Août 1792. sidérables, et mal défendu par ceux qui avaient mission de le protéger, fut forcé par le peuple, et le château des Tuileries se trouva battu en brèche sur ses deux façades. Les gentilshommes qui s'étaient rassemblés dans les appartements, voyant que toute lutte était vaine, puisque le roi la désavouait, cherchèrent une issue, et parvinrent pour la plupart à s'ouvrir un passage au travers du peuple. Les Suisses restèrent presque seuls, et avec eux les femmes de service de la reine et les domestiques ordinaires du château.

Derniers

combats.

massacres.

Les Suisses, attaqués avec acharnement, n'eurent d'autre ressource que de vendre chèrement leur vie. Ils Horribles étaient en petit nombre, mais animés par le courage du désespoir; ils se rallièrent donc sous le vestibule et succombèrent en combattant, après avoir fait périr environ quatre cents insurgés. Enfin les galeries et les portes furent forcées; et l'immense château tomba au pouvoir de la multitude. Ce fut le signal d'un hideux carnage. Ceux des insurgés qui avaient le plus hardiment exposé leur vie auraient peut-être épargné les vaincus; mais derrière eux accouraient des hordes d'assassins qui avaient à se faire pardonner leur fuite récente et leur lâcheté. Ceux-là se montrèrent impitoyables. On massacrait dans les appartements, sur les toits, dans les caves, les Suisses armés ou désarmés, les nobles, les valets, tous ceux qui peuplaient le château : on n'épargna que les femmes. Barbaroux et quelques-uns de ceux qui avaient combattu à ses côtés s'efforcèrent en vain d'arrêter cette boucherie; les égorgeurs les menacèrent à leur tour ces hommes avides de sang, trouvant à peine

Août 1792. le temps de frapper leurs victimes, les précipitaient, ✦ vivantes encore, par les fenêtres du château; et le peuple qui remplissait les cours se chargeait de compléter l'exécution. Jamais la pitié et l'humanité n'eurent plus à se voiler la face. Vers l'heure de midi, quand les massacres eurent enfin cessé, faute de proscrits à mettre à mort, le jardin des Tuileries offrait le plus affreux spectacle aux promeneurs qui osaient le parcourir: il était parsemé de cadavres déjà dépouillés de leurs vêtements, de membres humains dépecés et sanglants, de tous ces horribles débris que la rage des bourreaux avait pu entasser ou disperser. Du côté du Carrousel, le tableau qui se présentait aux regards était plus épouvantable encore les bâtiments qui garnissaient et entouraient les cours du château étaient alors livrés aux flammes, et l'incendie, montant jusqu'aux nues en torrents de feu et de fumée, consumait les riches dépouilles de la royauté, les corps encore palpitants de ses malheureux amis, et jusqu'aux égorgeurs eux-mêmes; car plusieurs d'entre eux avaient péri victimes de leur propre fureur ou de l'ivresse. Le vestibule, l'escalier, la chapelle, tous les appartements du château, témoignaient à chaque pas, par d'horribles scènes, de ce qu'ose le peuple dans ses heures de colère et d'égarement. Les murailles étaient teintes de sang, couvertes de lambeaux, de tronçons d'armes et de débris d'hommes; et cependant, au milieu de ces scènes d'horreur, on pouvait encore remarquer des Marseillais déchirant le manteau de velours fleurdelisé des rois capétiens, et le distribuant aux mains des vainqueurs et des meurtriers. Des monceaux de cadavres nus et mutilés obstruaient la grande porte

ouverte sur le jardin ; au Pont-Tournant, la caserne de Août 1792. bois des Suisses brûlait, projetant des lueurs rouges sur des voitures chargées de corps morts, et sur les hordes populaires qui dansaient en chantant le Ça ira. On ne pouvait plus pénétrer dans les Tuileries sans passer sur une poutre enflammée, sans heurter un cadavre saignant ou à demi consumé; la façade du château était criblée de boulets et de balles: on ne songeait pas au pillage les insurgés n'avaient soif que de sang.

Soixante Suisses avaient trouvé un refuge dans les petites écuries; ils furent découverts, traînés devant la commune, et massacrés l'un après l'autre sur le perron de l'Hôtel de Ville. La rage du meurtre fut poussée jusqu'au délire de la lâcheté : on égorgea, en haine des Suisses, les simples portiers et concierges qui parurent appartenir à leur nation. Quiconque portait un habit rouge était tué ou menacé de mort, et beaucoup de dragons, de gendarmes ou de bourgeois périrent, pour ce motif, de la main du peuple. Au milieu de ces épouvantables scènes, quelques actes de clémence ou d'humanité eurent lieu des Marseillais et des Bretons se laissèrent parfois attendrir, et réussirent à sauver un petit nombre de malheureux; mais ces faits consolateurs furent bien rares, et se perdirent oubliés dans cette immense journée de mort et de deuil.

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l'assemblée.

Que faisait cependant l'assemblée législative? Lors- Attitude de que les premières émotions causées par la surprise ou la peur se furent calmées, d'autres leur succédèrent, qui correspondirent assez fidèlement aux diverses pliases de la bataille engagée au dehors.

Le bruit du canon et de la fusillade ébranlait la salle

Août 1792. des séances, et des balles perdues venaient frapper le plafond. Aucune délibération n'était possible; la monarchie était à la merci des événements. Les députés, invités par le président à garder une attitude ferme et digne, prêtèrent l'un après l'autre le serment de mourir à leur poste pour sauver la liberté, l'égalité et la patrie. Un moment après, une députation de la commune insurrectionnelle, ayant à sa tête Léonard Bourdon, vint à la barre de l'assemblée jurer fidélité à la loi du salut du peuple. D'autres visiteurs pénétrèrent ensuite dans l'enceinte; ils apportaient des objets précieux trouvés dans le château, les pierreries de la reine, l'or monnayé, les bijoux. Un moment après, un homme du peuple entra, et, montrant à l'assemblée son bras nu et sanglant, il l'offrit pour arracher la vie au roi, s'il ne se présentait pas d'autre bourreau: «Apprenez, s'écria

rend un dé

pend les

Louis XVI, et

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t-il, que le feu est aux Tuileries, et que nous ne l'ar<< rêterons que lorsque la vengeance du peuple sera sa«<tisfaite je suis chargé encore de vous demander la « déchéance du roi. >>

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L'assemblée Enfin, l'assemblée se détermina à consommer l'œucret qui sus- vre que l'insurrection avait commencée; ce fut Vergniaud pouvoirs de qui, au nom de la commission extraordinaire, prit la Convoque parole: « Je viens, dit-il, vous présenter une mesure << bien pénible; mais je m'en rapporte à la douleur << dont vous êtes pénétrés, pour juger combien il im<< porte au salut de la patrie que vous l'adoptiez sur-le<< champ. >>

tion

nationale.

Quand il eut fini de parler, l'assemblée législative courba la tête sous la volonté de la révolution, et rendit un décret qui contenait les dispositions suivantes :

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