Août 1792. lants de la rive gauche, soit aux fuyards de la rive droite. La gendarmerie du Louvre, de son côté, aurait laissé passer sur le quai la colonne du peuple, pour la couper ensuite lorsqu'elle se serait suffisamment engagée. Quant au bataillon de Saint-Roch, dont le point de réunion était au Palais-Royal, il devait, au premier signal, marcher par la rue de Rohan jusqu'au Carrousel, tandis que d'autres bataillons rassemblés sur la place Vendôme appuieraient ce mouvement en balayant la rue Saint-Honoré. Le roi et sa famille avant Mais, pour que ces mesures fussent efficaces, il aurait fallu que les hommes chargés d'en assurer l'exécution demeurassent fidèles à leur serment ou à la discipline. C'était trop attendre de la plupart d'entre eux. Tout le monde veillait au château, écoutant le bruit le combat. sinistre du tocsin, et remarquant avec plaisir que le peuple ne semblait pas répondre à l'appel. Le roi montrait une résignation calme : la reine, tantôt courageuse, et tantòt livrée à ses anxiétés d'épouse et de mère, interrogeait et donnait des ordres, tour à tour craignant et espérant; sa contenance était d'ailleurs digne et ferme, et la rougeur de ses paupières indiquait seule qu'à la dérobée elle avait versé des pleurs. Fille de Marie-Thérèse, elle contint son inquiétude et sa douleur par respect pour son nom et son rang; mais rien, dans ses actes et dans ses paroles, n'eut cet héroïsme de théâtre dont les historiens ont cru devoir faire mention. La sœur du roi priait et attendait, montrant un visage serein et une âme tranquille. Un moment elle entr'ouvrit une fenêtre; elle considéra le ciel, qui était fort rouge, et elle dit à la reine: Ma Août 1792. sœur, venez donc voir le lever de l'aurore! et la reine leva les yeux. C'était le dernier soleil de la royauté. fait mettre à La commune insurrectionnelle siégeait à l'hôtel de La commun ville. A peine eut-elle appris que Mandat, autorisé par mort Mandat. Péthion, avait donné à la force armée l'ordre de combattre le peuple, qu'elle appela à sa barre le commandant général de la garde nationale. Mandat hésitait à obéir; mais, par le conseil de Roederer, il se rendit à l'hôtel de ville et y porta sa justification, en invoquant la responsabilité du maire et le vœu de la loi. La commune ordonna qu'il fût mis en arrestation et conduit à l'Abbaye; mais, sur un geste du président, qui le désigna à la fureur du peuple, il fut massacré, et son corps jeté à la rivière. Les auteurs de ce meurtre espéraient saisir, dans les vêtements du malheureux Mandat, l'ordre signé par Péthion; mais cette pièce importante était demeurée entre les mains du fils de la victime. donne à San mandement des milices nationales. La mort de Mandat fut un événement décisif pour La commune cette journée : la garde nationale, ainsi privée de son terre le comchef constitutionnel, se trouvait placée sous la seule influence des républicains; et la commune, au nom du peuple souverain, confiait à Santerre, chef des insurgés, le commandement général des milices armées de Paris. Dès lors le plan de défense était paralysé, el les défenseurs du trône livrés à l'incertitude du dévouement individuel. Commencements de l'in Santerre hésitait encore à marcher : au dernier moment le courage semblait lui manquer; mais Wester-surrection du 10 août. Août 1792. mann, tirant son épée et la dirigeant contre la poitrine de son complice, ne lui laissa d'autre détermination à prendre que celle de combattre. Il était six heures du matin. Les Marseillais et les Bretons, avançant en masse, ouvraient la route au peuple de Paris; derrière eux la multitude se ruait, pêle-mêle, en désordre, mais unie par un enthousiasme égal, par une même fureur. Le passage du pont Neuf fut forcé, grâce à la précaution que le procureur de la commune, Manuel, avait prise de faire enlever les canons établis en batterie sur ce point. Le bataillon de Henri IV, chargé de défendre le passage, se dispersa presque sans résistance. La gendarmerie du Louvre resta dans les cours, montrant les dispositions les plus favorables au peuple qu'elle avait à combattre. Les officiers de cette troupe, ne pouvant compter sur elle, lui enjoignirent de se replier sur le Palais-Royal; et la voie resta libre pour les insurgés jusqu'à l'enceinte même des Tuileries. Sur tous les autres points, du côté de la terrasse des Feuillants comme aussi de la terrasse du bord de l'eau et des Champs-Élysées, le peuple encombrait les rues, les passages, et la place qui portait encore le nom de Premiers Louis XV. Vers l'entrée des Champs-Élysées, la multitude se jeta sur une fausse patrouille composée de royalistes, et la conduisit prisonnière jusqu'au corps de garde voisin. Parmi ces royalistes aventureux figurait Suleau, autrefois rédacteur en chef des Actes des Apôtres, journal de la cour et de la noblesse. Ce malheureux, signalé aux assassins par la trop fameuse Théroigne de Méricourt, contre laquelle il avait massacres. Progrès de la lutte. longtemps dirigé ses sarcasmes, fut mis à mort, ainsi Août 1792. que plusieurs de ses compagnons. Le peuple coupa leurs têtes et les promena au bout des piques, en guise d'enseignes. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, le château des Tuileries avait alors, du côté de la ville, pour abords et dépendances, un mur qui s'élevait à travers le Carrousel, et divers logements ou écuries enfermant trois cours de grandeur inégale et de difficile accès. Le Carrousel était, d'ailleurs, bien loin de présenter ce vaste espace vide qu'il offre aujourd'hui aux regards : à l'exception de l'emplacement de peu d'étendue qui avait servi de théâtre aux fêtes de Louis XIV, l'autre espace était couvert de maisons irrégulières, d'hôtels et de rues étroites qui, de nos jours, ont entièrement disparu. Du côté du jardin régnait, sur toute la longueur de la façade du château, une terrasse qui n'existe plus. Enfin, si l'on veut bien compléter ces détails par ceux que nous avons donnés avant de raconter les événements du 20 juin, on se rappellera que, la rue de Rivoli n'ayant point encore été percée, la terrasse des Feuillants n'était séparée de la ville que par des murs de maisons et de jardins, et par les bâtiments du Manége, où siégeait l'assemblée nationale. Les insurgés cernaient de toutes parts la demeure royale, et braquaient des canons sur le Carrousel; on les apercevait des fenêtres du château. Le combat allait s'engager ce fut alors que Roederer émit l'avis que le roi et sa famille cherchassent asile dans le lieu des séances de l'assemblée; mais la reine lui dit : Il y a ici des forces; il est temps de savoir qui l'emportera du La reine exhorte le roi à combattre. Août 1792. roi et de la loi, ou de la faction. Un moment après, l'officier qui commandait la garde nationale en l'absence de Mandat, dont on ignorait la mort, se plaignit avec beaucoup d'humeur de la présence au château d'un grand nombre d'anciens nobles qui, armés d'épées, de pistolets ou de cannes, se pressaient autour du roi, et gênaient les mouvements des troupes régulières. La reine répondit de leur dévouement et de leur bonne volonté; elle ajouta : Ils marcheront devant, derrière, dans les rangs, comme vous voudrez. Ils sont prêts à tout ce qui pourra être nécessaire; ce sont des hommes sûrs. Se tournant ensuite vers le roi, elle lui rappela que c'était le moment de se montrer et d'encourager les troupes par sa pré Le roi passe ses défen seurs en revue. sence. Le roi descendit, non en tenue militaire, mais poudré, vêtu d'un habit de soie, et tenant son chapeau sous le bras. Son aïeul Henri IV serait monté à cheval; il aurait autrement compris la mission d'un roi de France. Louis XVI cependant traversait les rangs, promenant sur les soldats des regards tranquilles, les encourageant à remplir leur devoir, leur parlant de la constitution et de leurs serments. Aussi, tant que cette douloureuse revue eut pour théâtre les vestibules et les corridors du château, la présence du roi réveilla dans les cœurs de ses derniers amis une émotion profonde, une exaltation généreuse; mais, lorsque l'infortuné prince eut à traverser le jardin et les cours sous les yeux du peuple, dont parfois il n'était séparé que par un ruban tricolore, il fut témoin de la désertion des gardes nationaux et des canonniers, qui pas |