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Août 1792. par les pétitions et les clubs, fut enfin mise à l'ordre L'assemblée du jour du 9 août. Mais, dans la séance du 8, l'as

déclare

absous.

la Fayette semblée délibéra sur le parti qu'il convenait de prendre contre la Fayette. L'agitation la plus vive régnait dans Paris; elle redoubla lorsque, au nom de l'assemblée, et après avoir procédé à l'appel nominal, le président annonça que le général était mis hors d'accusation. Ce décret important, le dernier acte de courage qu'osa se permettre l'assemblée législative en face des fureurs du peuple, fut rendu à la majorité de quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre. Ce résultat, qui trompait l'attente des jacobins, souleva dans le parti une irritaOutrages et tion profonde. Le peuple, attroupé aux abords du Males députés nége, poursuivit de clameurs et de huées les députés constitutionnels; et les plus énergiques d'entre eux, MM. de Vaublanc, Girardin, Dumas, Dumolard, furent lâchement frappés: ces scènes odieuses se reproduisirent sur plusieurs points de Paris, à la place Vendôme, au Carrousel, au Palais-Royal, sur la terrasse des Feuillants.

sévices

dirigés contre

consti

tutionnels.

Le lendemain, les députés qui avaient été en butte à ces sévices portèrent plainte à l'assemblée; M. de Girardin, entre autres, réclama la parole pour un fait, et dit : « Je déclare qu'hier, en sortant de l'assem« blée nationale, dans l'enceinte même de la salle, j'ai «< été frappé. » Un membre de l'extrême gauche l'interrompit alors, et lui demanda avec une grossière ironie: « En quel endroit?... On veut savoir, reprit « Girardin, en quel endroit j'ai été frappé; c'est par « derrière les assassins ne frappent jamais autre<«<ment. » Cette noble réponse couvrit de honte les dé

:

putés jacobins. L'agitation redoubla lorsque M. de Vau- Août 1792. blanc rendit compte des outrages qu'il avait subis, et des tentatives de meurtre exercées contre sa personne. Le courageux orateur, cherchant ensuite à réveiller dans l'assemblée le sentiment de sa dignité, s'écria: << Eh quoi! quand le caractère de quelque ambassadeur <<< était avili dans une cour étrangère, vous pensiez « qu'il était digne de la nation française de tirer l'épée <«<et de déclarer la guerre aux despotes qui osaient <«< insulter au représentant d'un peuple libre: et ce <«<< serait cette même assemblée qui souffrirait que les << représentants immédiats du peuple soient traités, « dans le sein de la capitale et sur une terre libre, <«< comme ils ne le seraient pas par les Autrichiens! Je << défie à l'imagination la plus barbare de se figurer les << traitements dont plusieurs de vos membres ont été l'objet. >>

L'orateur insista alors pour que des mesures fussent prises, dans l'intérêt de la loi et de la représentation nationale; il demanda que le procureur général syndic du département fût mandé à la barre, que l'assemblée lui enjoignît, sous sa responsabilité, de faire respecter l'ordre et de veiller à la sécurité publique; enfin il émit le vœu que les fédérés présents à Paris fussent tenus de s'en éloigner, et de se rendre au camp formé sous les murs de Soissons.

Isnard prit la parole, et laissa entendre que le seul moyen de rétablir le calme dans les esprits serait d'en finir le plus tôt possible avec la royauté. Cependant le procureur général syndic et le maire parurent successivement à la barre, sans tranquilliser l'assemblée,

Août 1792. qui entrevoyait les événements les plus graves; ils pro

Préparatifs d'insurrec

tion.

testèrent de leurs bonnes intentions et de leur sincère désir de veiller au maintien de l'ordre et des lois. Si Roederer, impuissant à empêcher le mal autant qu'à faire le bien, ne mentait ni à sa conscience ni à l'assemblée, Péthion, initié de longue main aux projets des conspirateurs, trahissait certainement le roi. Cependant, à l'exemple de ses affidés de la Gironde, ce n'était point par une émeute qu'il cherchait à briser la royauté. Il redoutait l'émotion qui suit une victoire populaire; il commençait à craindre que la république, ainsi amenée, ne fût livrée aux jacobins, chargés d'assurer la durée de leur œuvre aussi préférait-il de beaucoup une révolution parlementaire, un changement de gouvernement provoqué par un décret rendu sur la question de déchéance.

Les chefs du parti républicain conspiraient tête levée; leur plan, qu'ils se proposaient de faire appuyer par le peuple, consistait à se porter en masse sur les Tuileries et les bâtiments du Manége, pour s'emparer de la personne de Louis XVI à titre d'otage, et pour contraindre les députés à voter la déchéance de ce roi. Aussi, pendant que l'assemblée nationale écoutait les plaintes de ses membres, menacés dans leur liberté et leur vie, et ne leur répondait que par une attitude impuissante ou résignée, l'insurrection était à l'ordre du jour dans les clubs, dans les sections, dans les faubourgs, sur tous les points de Paris. Le bruit des tambours qui convoquaient la garde nationale, les chants des fédérés, le désordre d'une multitude armée à la hâte, le retentissement des affûts et des caissons rou

lant sur les pavés, la voix des chefs répondant aux cris Août 1792. des soldats, tout présentait l'aspect d'une ville exposée sans défense aux fureurs de l'anarchie et de la force. Agissant, d'ailleurs, sous l'inspiration d'une pensée commune de révolte, le comité insurrectionnel se manifestait sur trois points par ses principaux agents. Tandis que Danton, le héros de cette lutte, soufflait la flamme dans le club des cordeliers, où l'assistaient Barbaroux, Carra, Camille Desmoulins, et, au besoin, le sinistre bataillon de Marseille, Fournier l'Américain cherchait à soulever le faubourg Saint-Marceau; et Santerre, secondé de Westermann, appelait aux armes la population du faubourg Saint-Antoine. Pour Marat, il se cachait dans une cave; et Robespierre, qu'on ne rencontrait nulle part, attendait en silence l'issue d'un mouvement dont il abandonnait à Danton la responsabilité et les épreuves.

d'une

insurrection

nelle.

Soit pour se mettre à couvert en cas de défaite, soit Organisation pour seconder la politique des girondins, alors con- municipalité traire à l'insurrection, le maire Péthion fit afficher une proclamation dans laquelle il invitait les habitants de Paris à attendre, dans le calme et le recueillement, la décision de l'assemblée nationale. Mais déjà la municipalité légale, dont Péthion était le chef, se trouvait débordée par les événements et incapable de les retarder ou de les contenir. On avisa à organiser, en vue des prochains mouvements, une municipalité populaire et insurrectionnelle. Sur la provocation de la section des Quinze-Vingts, qui tenait ses séances au faubourg Saint-Antoine, les sections de Paris décidèrent que chacune d'elles nommerait trois commissaires, auxquels

Août 1792. on donnerait pouvoir de se réunir à la commune, et mission de sauver la chose publique. Ces commissaires, élus par la plupart des sections, et choisis parmi les jacobins les plus redoutés à cause de leur exaltation et de leur énergie, se rendirent successivement à l'hôtel de ville, où l'on n'osa point contester la validité de leurs mandats. Là, ils se communiquèrent les dispositions prises dans leurs quartiers respectifs; ils se mirent en correspondance permanente avec les diverses autorités civiles et militaires on les vit, en quelques heures, usurper la souveraineté populaire, prononcer la suspension provisoire de l'état-major et celle du conseil général de la commune, mander à leur barre le commandant général de la garde nationale, et donner une direction prompte et uniforme à toutes les tentatives commencées pour l'insurrection.

Ainsi fut constituée, dans la nuit du 9 au 10 août, cette formidable commune de Paris, qui dès ce moment, et à travers les mémorables crises dont nous aurons à faire le récit, gouverna la révolution française par le double prestige de l'exaltation et de l'audace. Jusqu'au jour où les pieds lui glissèrent dans le sang, elle épouvanta l'Europe, et soumit plusieurs fois la France à son empire. Elle invoquait les dangers de la patrie comme l'origine légitime de ses pouvoirs; dans sa main, elle avait le peuple de Paris pour levier. Bien qu'elle ne se composât guère que d'obscurs fanatiques recrutés dans les clubs, accoutumés aux émeutes et endurcis au spectacle du meurtre, au jour même de son avénement, elle se trouva plus forte que l'assemblée législative elle ne se montra que trop digne de tracer

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