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Juillet 1792. chants, selon le plus ou moins de docilité du prince. Premiers Le même soir, deux députations des sections de d'insurrec- Paris furent admises à la barre. Elles demandaient la

essais

tion.

suspension du roi et la mise en accusation de la Fayette. On leur accorda les honneurs de la séance, et l'on vota l'impression de leurs adresses. Sur ces entrefaites, une autre scène se passait à la Bastille : les citoyens du faubourg Saint-Antoine avaient choisi ce jour pour donner un banquet aux fédérés. Le repas étant commencé, les convives, dont chacun avait luimême apporté son dîner, chantèrent des couplets révolutionnaires, et bientôt après il y eut des illuminations et des danses. Le ministre de l'intérieur Champion, qui s'était rendu sur les lieux en observateur, ayant été reconnu, fut insulté et frappé. La présence de ce fonctionnaire était motivée par l'avis qu'on avait reçu de projets d'insurrection, auxquels on rattachait la fête donnée sur l'emplacement de la Bastille. Ces avis étaient d'ailleurs fort exacts. Dès sept heures du soir, Vaugeois, Westermann, Debessé, Kienlin, Santerre, Guillaume, Alexandre, Lazowski, Simon, Fournier et Carra, agitateurs plus ou moins fameux, s'étaient réunis au cabaret du Soleil d'or, rue SaintAntoine, et avaient ensemble dressé le plan de campagne et le projet de siége du chàteau. Ils étaient en outre d'accord sur ce point, qu'on ne ferait pas de mal au roi, qu'on se bornerait à l'enlever et à le conduire prisonnier au donjon de Vincennes. Mais la cour avait été instruite à temps; et Péthion, sommé de prendre les dispositions nécessaires au maintien de la tranquillité publique, n'avait pu refuser d'agir comme

magistrat. Son intervention paralysa sur-le-champ une Juillet 1792. insurrection mal concertée, dont le mauvais succès ne pouvait que retarder ou compromettre les projets du parti républicain, et qui, dans tous les cas, eu égard aux espérances de la Gironde et à la nouvelle politique des chefs de cette faction, était au moins prématurée.

et

Le lendemain 27 juillet, l'émotion causée par cet inci- D'Esprémenil dent durait encore au faubourg Saint-Antoine. Ce jour- Péthion. là, le peuple attroupé se jetait sur l'ancien conseiller au parlement Duval d'Esprémenil, et, après l'avoir terrassé et cruellement maltraité, se proposait de le pendre misérablement. Péthion, étant accouru sur le théâtre de ce désordre, parvint à sauver les jours du malheureux d'Esprémenil; mais ce dernier, en le remerciant, lui adressa cette parole prophétique: « Et moi aussi, <«< monsieur, j'ai été l'idole du peuple; comme vous, «< j'ai été porté en triomphe; et vous me voyez aujour<«<d'hui livré aux fureurs de ce peuple qui m'a tant «< aimé. Ne vous fiez ni à sa faveur ni à votre fortune: « votre tour viendra. » L'heure de Péthion ne devait pas, en effet, tarder à venir: ce sont là les jeux ordinaires des révolutions et les manifestations accoutumées de la justice d'en haut.

prodiguées

au roi

par le peuple

C'est sur la terrasse des Feuillants, portion du jardin Insultes des Tuileries, alors attenant aux bâtiments du Manége, que Duval d'Esprémenil avait été si rudement mal- les fédérés. traité par le peuple. L'assemblé législative venait d'ordonner que cette terrasse, dont l'entrée était fermée par ordre du roi depuis le 20 juin, serait désormais ouverte et rendue publique. Aussi le peuple s'y portait en foule; mais, bien que le roi eût enfin levé la con

Juillet 172. signe qui interdisait l'accès du jardin, les jacobins avaient réussi à persuader aux habitants de Paris qu'il était de leur dignité de mépriser cette concession. On se promenait donc sur la terrasse, mais on affectait de ne point faire un pas dans les allées situées au-dessous; et, comme il importait de bien établir que cette injure du peuple était calculée et volontaire, les meneurs eurent la singulière idée de tendre, sur toute la ligne que la multitude s'imposait de ne point franchir, un simple ruban tricolore, dont plusieurs inscriptions offensantes indiquaient la destination. Ici on lisait : Route de Coblentz; ailleurs: Palais pestiféré. — N'allez pas dans la forêt Noire; et plus loin: Que ceux qui ont brisé les chaînes du despotisme respectent ce ruban! La légende la plus significative était celle-ci : La colère du peuple tient à un ruban; la couronne du roi tient à un fil. Cependant les fédérés, réunis en troupe, ne se faisaient point scrupule de traverser le jardin; mais, pour se purifier du contact de ce sol monarchique, ils vociféraient, sous les fenêtres du roi, des chants républicains et des cris de mort.

Enfin, on apprit que les volontaires marseillais approchaient de Paris, et qu'ils devaient y faire leur entrée dans la journée du dimanche 30 juillet. La veille de ce jour, ils arrivèrent à Charenton et à Ablon, et y passèrent la nuit. Ils formaient un corps de plus de cinq cents hommes, bien armés, et traînant à leur suite trois pièces de canon. Barbaroux se rendit à Charenton pour prendre le commandement de cette horde, et Santerre alla au-devant d'elle avec deux cents gardes nationaux du faubourg Saint-Antoine. Quand ces

des fédérés

hommes à figures basanées, aux formes grêles, aux al- Juillet 1792. lures hardies et provocantes, défilèrent le long des rues Arrivée de Paris, chantant le Ça ira et faisant retentir l'air de marseillais. leur patois, ils répandirent une stupeur profonde dans le cœur des hommes paisibles, en même temps qu'ils redoublèrent l'audace des jacobins. Le nom de Marseillais, qu'ils portaient avec orgueil, n'indiquait point exactement leur origine : la plupart de ces hommes exaltés étaient des Corses repris de justice et réfugiés sur le continent, des bandits piémontais et génois, et surtout le débris de cette troupe d'assassins qui, sous le nom de braves brigands, avaient, pendant près de deux ans, désolé le comtat d'Avignon par le pillage, l'assassinat et l'incendie. C'était Jourdan tendant la main à Marat.

Collision sanglante.

Un banquet patriotique avait été préparé pour les Banquet.Marseillais sous les quinconces des Champs-Élysées par malheur, dans une guinguette voisine, un certain nombre d'officiers et de grenadiers de la garde nationale, appartenant à l'opinion constitutionnelle, s'étaient également réunis autour d'une table commune. On les entendait au dehors crier : Vive le roi! vive la reine! vive la Fayette! Les Marseillais exigèrent qu'ils criassent aussi Vive la nation! Ces gardes nationaux étaient à peine cent cinquante, et faisaient partie des bataillons des Petits-Pères et des Filles-Saint-Thomas, alors vivement suspectés de royalisme. Une rixe s'éleva entre eux et les jacobins; et ceux-ci, qui ne cherchaient que l'occasion d'une collision sanglante, appelèrent à leur secours les révolutionnaires venus du Midi. En un clin d'œil les Marseillais mirent le sabre à la main, franRÉVOL. FRANÇ. ASS. LÉGISLAT.

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Juillet 1792. chirent les fossés et les palissades, escaladèrent les

Progrès de la

croisées, se jetèrent sur les grenadiers, et les frappèrent. La résistance ne pouvait être longue les gardes nationaux, surpris et écrasés par le nombre, se dispersèrent et prirent la fuite. L'un d'eux nommé Duhamel, agent de change et lieutenant dans le bataillon des Petits-Pères, fut tué à coups de sabre; d'autres, parmi lesquels figuraient MM. Moreau de Saint-Méry, Parisot, Regnault de Saint-Jean d'Angely, Pigeon, Leclerc et Marquant, les uns déjà connus par leurs services rendus à la révolution, les autres écrivains constitutionnels ou attachés par des bienfaits à la famille royale, furent gravement meurtris ou blessés. Après cette lâche victoire, les Marseillais parcoururent les divers quartiers de la capitale, dansant la farandole, excitant le patriotisme, et forçant tous ceux qui portaient des cocardes à rubans à les quitter, pour prendre des cocardes de laine. Ces excès augmentèrent le deuil et la consternation de la cour, et les jacobins firent au roi et à l'infortunée Marie-Antoinette un crime nouveau des soins et des consolations que la famille royale prodigua aux victimes de cette triste journée.

La fermentation allait croissant, entretenue par les fermentation clubs, par les délibérations des sections de Paris, par naire. les provocations violentes de la presse. Sur la propo

révolution

sition de la section des Innocents, trente-trois autres sections de Paris se concertèrent et firent publier une Adresse des citoyens de Paris à l'armée française. On y conjurait les soldats de se défier du roi et de la Fayette; on leur donnait des explications sur les événements du 20 juin, on leur vantait les vertus de Pé

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