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Juillet 1792. au moins pour eux l'excuse de la démence ou de la bonne foi. En vérité, on est réduit à en douter, et à ne voir dans ces cris de mort qu'un calcul destiné à exaspérer les masses crédules et à les pousser aux derniers attentats.

Situation transitoire.

veut

retarder

la chute

du trône.

Ici commence une situation transitoire qu'il importe de bien considérer. Tandis que le roi, incertain entre les plans d'évasion qu'on lui soumet et les lueurs d'espérance qu'il conserve encore, hésite entre les dangers du jour et ceux du lendemain, entre les extrémités de la faiblesse et celles de la lutte, les partis, pressés d'en venir à leurs fins, agissent en sens contraire. Les girondins se croient à la veille de recueillir les fruits de La Gironde l'anarchie qui dure depuis le 20 juin. La démission des ministres constitutionnels, l'impuissance de ceux qui ont accepté la pénible mission de leur succéder, tout fait espérer à Brissot, à Vergniaud, et à leurs principaux affidés, que le ministère est au moment de leur appartenir; que le roi, prisonnier, est désormais réduit à servir d'instrument à leurs volontés. Ils en viennent' donc à marchander avec la liste civile la modération dont ils consentent à user envers elle, les retards qu'ils mettent à frapper le roi. Mais, si la Gironde se résigne à épargner le trône, parce qu'il peut encore être exploité au profit de ses cupidités; si elle convoite les derniers oripeaux monarchiques dont son orgueil républicain cherche à s'affubler; si elle cherche à détourner les colères du peuple que ses intrigues ont soulevées, à donner le change aux emportements révolutionnaires qu'elle a irrités; les hommes que la république peut seule satisfaire, parce qu'elle leur ouvre

jacobins

la carrière profonde de l'anarchie, parce qu'elle pro- Juillet 1792. met d'autant plus qu'on aura plus d'audace, les jaco- Les bins et les cordeliers, redoublent d'impatience et de conspirent haine; ils se serrent, se retrempent, s'unissent pour porter un grand coup, et terminer enfin la longue et monarchie. déplorable agonie de la royauté.

pour

renverser

la

Robespierre, qui leur soufflait son esprit, n'osait ce- Robespierre. pendant prendre sur lui la responsabilité du mouvement. Tantôt il craignait qu'une victoire prématurée ne donnât le pouvoir aux girondins; et comme, soit jalousie, soit défiance, il les haïssait de toute son âme, il était plus disposé à pardonner à Louis XVI qu'à Brissot, à excuser Calonne et le comte d'Artois que Louvet et Roland; tantôt aussi le fantôme de la Fayette, vengeur du roi constitutionnel, apparaissait à son imagination troublée; et alors il se représentait le nouveau Cromwell, d'accord avec Louis XVI et le prince de Brunswick, sévissant contre les républicains, et livrant aux exécuteurs des hautes œuvres monarchiques ceux qui avaient échappé à la fusillade du Champ de Mars. En proie à ces sentiments opposés, aiguillonné par l'ambition et retenu par la peur, Robespierre conspirait à l'écart, au troisième rang, sans se montrer, désavouant les gens prêts à combattre, redoutant ses amis autant que ses ennemis, suppliant enfin ceux qui faisaient reposer en lui seul l'espoir de l'avenir et les rêves d'une prochaine dictature, de ne point mêler ainsi son nom obscur aux grands intérêts de la liberté et de la patrie. Mais plus il s'effaçait, plus les fanatiques de la révolution rendaient hommage à son dévouement, à son incorruptible vertu.

Juillet 1792.

Danton.

Fabre

d'Églantine.

Danton, qui par d'autres voies tendait au même but, se piquait peu qu'on honorât sa délicatesse et ses scrupules, pourvu qu'il assouvît les larges appétits de ses passions, de ses besoins, de ses vanités : véritable chef populaire, il résumait en lui tout ce qu'il y a de vicieux et de fort dans les masses; il était brutal dans ses instincts comme la bête fauve, terrible comme elle au combat; et, semblable à elle aussi, quand il était repu de puissance ou de gain, il dédaignait de tuer sans nécessité et de boire un sang inutile. C'était un homme à l'aspect repoussant par son visage empreint d'un caractère de dureté ou de débauche, non moins que par sa taille haute et sa voix rugissante, il épouvantait ses adversaires, et pénétrait d'une confiance sans bornes ceux qui luttaient sous sa conduite. « La nature, disait<«< il lui-même, m'a donné en partage les formes athlé

tiques et la physionomie âpre de la liberté. » Afin que ce Mirabeau de la borne eût, par proportion, tous les traits de caractère qui pouvaient le faire ressembler à son modèle, il était comme lui payé par la cour, et obtenait d'elle des sommes énormes, qu'il dépensait pour ses plaisirs dégradants. Mais de tels hommes ont beau recevoir de l'or à pleines mains, il n'est pas dans leur nature de se vendre ; et Danton, soldé par la liste civile, trahissait le roi en colorant ses attaques de cet étrange prétexte que, pour rendre la république impossible, il fallait épouvanter la France en lui montrant l'anarchie.

Danton entraînait à sa suite, comme un satellite, Fabre d'Églantine, autrefois comédien, et alors homme de lettres. Fabre avait composé pour le théâtre plu

sieurs pièces qui sont restées, et dont le style incorrect Juillet 1792n'exclut ni l'invention ni la verve: c'était un homme d'un talent distingué, mais d'un esprit ardent, d'un caractère jaloux, et que des fautes de jeunesse avaient de bonne heure frappé d'une déconsidération morale. Avide de les faire oublier en se faisant craindre, il avait quitté la scène étroite des spectacles de province pour la scène bien autrement redoutable des révolutions politiques. Il aimait d'ailleurs passionnément ces époques de troubles, où il est toujours facile de s'enrichir de tout ce que les autres perdent un tel homme devait s'attacher à la fortune de Danton, et par sympathie et par calcul.

Ami et condisciple de Robespierre, Camille Desmoulins, qui a déjà plusieurs fois marqué dans cette histoire, était moins dominé par ses convictions que par l'ardeur démesurée de jouer un rôle et de faire parler de lui. A la vanité des gens de lettres, il joignait une exaltation fébrile, un enthousiasme capricieux, une grande disposition à se créer pour un jour des héros, des idoles et des principes. Quoique l'énergie d'un homme d'action lui manquât, on le poussait à tous les excès, parfois même à ceux du dévouement et du courage, pourvu qu'on chatouillât son amour-propre et qu'on irritât son orgueil. Il était du nombre trop considérable de ces révolutionnaires, saisis du démon de la liberté, qui commettent de sang-froid le meurtre politique, et qui, rentrés dans l'intérieur de leur famille, sont pères tendres, époux affectueux, amis sincères; classe d'hommes qu'on plaint malgré soi, et qui, plus que les scélérats ordinaires, sont dangereux à la so

Camille

Desmoulins.

Juillet 1792. ciété, parce qu'ils émoussent l'indignation contre le crime; parce qu'à cause d'eux on invente une morale particulière, on déroge aux inflexibles lois de la justice. Camille (car on aimait à lui donner ce nom, à le traiter, sinon en enfant, du moins en adolescent dont l'opinion politique importe peu, et chez qui l'âge permet d'excuser beaucoup de fautes), Camille s'était successivement pris d'enthousiasme pour les divers chefs de parti il avait adulé Mirabeau, le duc d'Orléans, Danton, Robespierre, et n'avait témoigné de haine qu'à Brissot. Républicain de parade, aristocrate de mœurs, écrivain âpre et satirique, il aimait la poésie, les lettres, les arts; et, s'il n'eût ressenti la crainte d'être dépassé en patriotisme, il n'aurait été que girondin : mais, en dépit de sa propre nature, et parce qu'ailleurs les premières places étaient déjà occupées, il mettait sa gloire à être célèbre chez les cordeliers, à aiguiser, au sortir de ses repas épicuriens, des pamplets acerbes et cyniques, dans lesquels il ne ménageait ni la vertu, ni le malheur, ni même le crime, quand le crime était par trop entaché de mauvais goût. C'est ainsi qu'après s'être affublé de l'atroce surnom de procureur général de la lanterne, il en rougissait lui-même, « blâmant le peuple de se familiariser avec ces jeux sanguinaires, et d'envoyer le cordon à ses ennemis avec autant de facilité que le fait Sa Hautesse à ceux qu'elle disgracie. »> Et cependant, comme le souffle de la pitié n'avait point encore amorti son délire, il continuait à frayer, pour le roi et pour quiconque lui semblait un obstacle, cette fatale route de l'échafaud qu'à son tour il aurait à parcourir.

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