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Juillet 1792. «Or, si cent mille Autrichiens marchaient vers la << Flandre, cent mille Prussiens vers l'Alsace, et que << roi n'opposât à ces deux redoutables armées que de « faibles détachements, pourrait-on dire qu'il a em«ployé des moyens de résistance convenables, et fait « l'acte formel d'opposition exigé par la loi?

<«< Si le roi, instruit des mouvements de l'armée prus<< sienne, n'en donnait aucune connaissance à l'assem« blée nationale; si un camp de réserve était évidem<<ment nécessaire pour arrêter le progrès de l'ennemi << à l'intérieur; s'il existait un décret qui rendît infail<«<lible et prompte la formation de ce camp; si le roi

rejetait ce décret et lui substituait un plan dont le <«< succès fût incertain et demandât pour son exécution << un temps si considérable que les ennemis auraient <«< celui de la rendre impossible; si le roi laissait le << commandement d'une armée à un général intrigant, <«< devenu suspect à la nation par les fautes les plus << graves, les attentats les plus caractérisés à la consti<«<tution; si un autre général, nourri loin de la corrup<«<tion des cours et familier avec la victoire, demandait « un renfort, et que par un refus le roi dît clairement: « Je te défends de vaincre; si, mettant à profit une si <<< funeste temporisation, une si constante persévérance <«< dans la perfidie, la ligue des tyrans portait des at<<< teintes mortelles à la liberté, pourrait-on dire que le «< roi a fait la résistance constitutionnelle, qu'il a rem<< pli pour la défense de l'État le vœu de la constitution, << qu'il a fait l'acte formel qu'elle lui prescrit?

<«<< Souffrez, messieurs, que je raisonne encore dans <«< cette supposition douloureuse. J'ai exagéré plusieurs

« faits; j'en énoncerai même tout à l'heure qui, je l'es- Juillet 1792. père, ne se réaliseront jamais... Et cependant, si tel « était le résultat de la conduite dont je viens de tracer « le tableau, que la France nageât dans le sang, que << l'étranger y dominât, que la contre-révolution fût là, <«< et que le roi vous dît pour sa justification : « Il est << vrai que les ennemis de la France prétendent n'agir << que pour relever ma puissance qu'ils supposent «< anéantie, venger ma dignité qu'ils supposent flétrie, <«< me rendre mes droits royaux qu'ils supposent com<< promis ou perdus; mais j'ai prouvé que je n'étais pas << leur complice, puisque j'ai mis des armées en cam<< pagne. Il est vrai que ces armées étaient trop faibles; <«< mais la constitution ne désigne pas le degré de force « que je devais leur donner : il est vrai que je les ai ras<< semblées trop tard; mais la constitution ne désigne pas << le temps auquel je devais les rassembler: il est vrai << que des camps de réserve auraient pu les soutenir; <«<< mais la constitution ne m'oblige pas à former des «< camps de réserve... Il est vrai que la contre-révolu<«<tion se fait, que le despotisme va remettre entre mes <<< mains son sceptre de fer, que je vous en écraserai, << que vous allez ramper, que je vous punirai d'avoir << eu l'insolence de vouloir être libres; mais j'ai fait << tout ce que la constitution me prescrit, il n'est émané <«<< de moi aucun acte que la constitution condamne; il << n'est donc pas permis de douter de ma fidélité pour << elle, de mon zèle pour sa défense. » (Vifs applaudissements.)

<< Si, dis-je, il était possible que dans les calamités <<< d'une guerre funeste, dans les désordres d'un boule

RÉVOL. FRANÇ. ASS. LÉGISLAT.

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Juillet 1792. << versement contre-révolutionnaire, le roi des Français « leur tint ce langage dérisoire... ne seraient-ils pas en <«< droit de lui répondre :

« O roi, qui sans doute avez cru, avec le tyran Ly«< sandre, que la vérité ne valait pas mieux que le men<< songe, et qu'il fallait amuser les hommes par des ser<<<<ments comme on amuse les enfants avec des osselets; << qui n'avez feint d'aimer les lois que pour conserver << la puissance qui vous servirait à les braver; la consti<«< tution, que pour qu'elle ne vous précipitât pas du << trône, où vous aviez besoin de rester pour la détruire; << la nation, que pour assurer le succès de vos perfidies, << en lui inspirant de la confiance! pensez-vous nous <«<< abuser aujourd'hui avec d'hypocrites protestations? << Pensez-vous nous donner le change sur la cause de << nos malheurs, par l'artifice de vos excuses et l'audace <«< de vos sophismes? Était-ce nous défendre que d'op<<< poser aux soldats étrangers des forces dont l'infério«rité ne laissait pas même d'incertitude sur leur dé<<< faite? Était-ce nous défendre que d'écarter les projets <<< tendant à fortifier l'intérieur du royaume, ou de faire << des préparatifs de résistance pour l'époque où nous << serions déjà devenus la proie des tyrans?... La con<«<stitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour << notre bonheur ou pour notre ruine? Vous fit-elle <«< chef de l'armée pour notre gloire ou pour notre <<< honte? Vous donna-t-elle enfin le droit de sanction, <«< une liste civile, et tant de grandes prérogatives, pour perdre constitutionnellement la constitution et l'empire? Non, non! Homme que la générosité des Fran<< çais n'a pu émouvoir, homme que le seul amour du

«< despotisme a pu rendre sensible, vous n'avez pas Juillet 1792. (( rempli le vœu de la constitution: elle est peut-être << renversée, mais vous ne recueillerez pas le fruit de <«< votre parjure! Vous ne vous êtes point opposé par <«< un acte formel aux victoires qui se remportaient en << votre nom sur la liberté, mais vous ne recueillerez « pas le fruits de ces indignes triomphes! Vous n'êtes

plus rien pour cette constitution que vous avez si di<< gnement violée, pour ce peuple que vous avez si << lâchement trahi! >>

Cet acte d'accusation si éloquemment perfide provoqua les applaudissements du côté gauche; quand le silence se fut rétabli, l'orateur reprit la parole, et demanda que le roi, s'il ne voulait point réaliser les hypothèses dont l'assemblée venait d'entendre dérouler le funeste enchaînement, et mériter le nom et le sort des traîtres, fût tenu de proclamer à haute voix, et par ses actes, son inébranlable résolution de triompher, ou de périr avec la révolution et avec la France. Vergniaud proposa ensuite à l'assemblée: 1o de déclarer, par une proclamation solennelle, que la patrie était en danger; 2° de décréter que les ministres seraient responsables des troubles qui auraient la religion pour prétexte, comme aussi de toute invasion du territoire, dont la formation du camp aurait pu prévenir les dangers; 3° d'ordonner qu'un message serait envoyé au roi, et une adresse faite à la nation française, pour réclamer l'adoption des mesures nécessitées par les circonstances; 4° de statuer que le 14 juillet prochain, jour de la fédération, l'assemblée se rendrait au Champ de Mars pour y renouveler ses serments; 5° qu'il

Juillet 1792. serait fait un prompt rapport sur la conduite de la

Opinions de Dumas

Fayette.

Le discours de Vergniaud avait excité dans l'aset de Brissot. semblée une émotion profonde. Dumas, qui chercha à lui répondre, eut à lutter contre l'inattention ou les murmures d'un auditoire prévenu. Comme il lui arriva de faire allusion à un mouvement rétrograde ordonné par le maréchal Luckner, qui avait pris le commandement de l'armée du Nord, l'assemblée entière se leva, et, sur la motion du député Kersaint, elle rendit un décret portant que Luckner avait conservé la confiance de la patrie. Dumas ayant repris la parole, déclara que, dans sa pensée, il n'y avait pas lieu de déclarer la patrie en danger; il ajouta que ce cri d'alarme qu'on voulait faire entendre dans l'empire ne pouvait avoir que de mauvais effets; que sans doute la patrie était en danger, que ses dangers étaient connus, mais qu'une vaine déclaration ne serait pas un remède; que, si l'on voulait exciter le zèle patriotique et non la fermentation, l'énergie et non l'exaltation, il fallait que le message porté au roi par l'assemblée témoignât de la concorde et de l'union de ses membres, et que tous les partis abjurassent leurs haines, pour ne s'occuper que des intérêts et des vœux du pays.

Dans la séance du 9 juillet, Brissot prit à son tour la parole. Le fougueux girondin, après avoir longuement surpassé la violence de Vergniaud, sans avoir égalé son talent, conclut en proposant à l'assemblée d'examiner la conduite du roi, de rendre les ministres solidairement responsables, de punir sévèrement la

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