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Juillet 1792. il ne voulut pas tarder de venir assister à ce spectacle inattendu, à être témoin des embrassements offerts par M. de Pastoret à ce Condorcet que, le matin même, il accusait encore de calomnier dans les journaux, moyennant un salaire de quinze livres par jour. Le roi arriva, et se félicita de la concorde publique en prenant sa part du bonheur de l'assemblée; bonheur trop rare, et qui ne dura qu'un très-petit nombre d'heures. Le lendemain, ceux-là mêmes qui en avaient joui se demandaient s'ils avaient bien pu prendre au sérieux un rêve pareil; et les jacobins, jouant sur les mots, tournaient en ridicule le baiser d'Amourette, la fraternité de Judas, dont la sincérité et la durée auraient déjoué leurs espérances. Pour nous, qui retraçons après plus d'un demi-siècle cette scène sans exemple et malheureusement sans résultat, nous ne pouvons la prendre pour une perfidie arrangée d'avance, pour un piége tendu aux opinions rivales. Nous honorons trop le cœur humain pour conclure de cette façon désespérante contre les passions et les haines de ce temps-là. La réconciliation d'un moment, qui fut provoquée par Lamourette, nous apprend, au contraire, que jusque dans les cœurs les plus exaltés par les fureurs politiques il existait alors des sentiments de vérité, de dévouement et d'abnégation qu'on ne retrouvera point plus tard, quand il y aura chez les partis plus de politesse parlementaire, mais aussi plus d'égoïsme. Les hommes de cette terrible époque étaient sincères dans leurs sauvages emportements comme dans leurs affections, et, amis ou ennemis, vaincus ou vainqueurs, ils aimaient la patrie. Ces jours sont passés, et puissent-ils ne ja

mais se reproduire! mais puissent, en même temps, Juillet 1792. disparaître de notre histoire contemporaine cette corruption, cette mollesse de convictions, cet oubli de la patrie et des principes, ces lâches et honteux calculs qui déshonorent les générations présentes!...

LIVRE SEPTIÈME.

Juillet 1792.

de la

tion.

L'incident que nous venons de racconter n'eut aucun Courte durée résultat sérieux; les factions, qui, de toutes parts, déréconcilia- bordaient l'assemblée législative, ne la laissèrent pas maîtresse de suivre une politique de sentiment: le soir même, un arrêté du directoire de Paris ayant suspendu Péthion de ses fonctions de maire, pour le punir de sa conduite pendant la journée du 20 juin, le peuple prit parti pour le magistrat disgracié, et renouvela en sa faveur quelques-unes des démonstrations qui avaient signalé, en 1789, l'exil et le rappel de Necker. Dès le lendemain, la séance de l'assemblée se ressentit peu des embrassements de la veille, et les rivalités qu'on avait abjurées ne tardèrent pas à reparaître. De part et d'autre, on se renvoya la responsabilité de ces nouvelles divisions: la cour en accusa les jacobins, les jacobins y virent une manœuvre de la cour. Au fond, les événements ne faisaient que reprendre leur cours libre et naturel, et justifier cet adage du poëte persan, dont les hommes d'alors firent une juste application : « En ce <«< temps-là Ahrimane, le génie du mal, voyant que <«< l'homme désertait ses autels, alla trouver Oromaze,

discute

sur

les dangers

<«< le génie du bien, et lui dit : Frère, depuis assez long- Juillet 1792. « temps nous sommes en guerre; faisons la paix, et « n'ayons à nous deux qu'un seul temple. Jamais, << lui répondit Oromaze. Que deviendraient les hommes, << s'ils ne pouvaient distinguer le bien d'avec le mal1? »> Cependant l'assemblée législative discutait sur les dangers dont la patrie était menacée, et sa délibération L'assemblée se prolongeait déjà' on avait entendu Vergniaud prononcer, d'une voix frémissante, un long discours de la patrie. qui accusait le roi et ses ministres d'une trahison de tous les instants. L'éloquent orateur avait obtenu devant l'opinion un de ces triomphes qui pèsent sur le talent comme un remords: il était parvenu à faire partager à un grand nombre d'hommes simples et sincères l'injustice de ses convictions et la violence de ses ressentiments. « Quelle fatalité nous poursuit, Discours <<< avait-il dit, et signale chaque jour par de grands évé<«<nements qui nous livrent à l'agitation tumultueuse « des inquiétudes, des espérances et des passions? «Quelles destinées prépare à la France cette efferves«< cence au sein de laquelle, si l'on connaissait moins « l'amour impérissable du peuple pour la liberté, on << serait tenté de douter si l'agitation rétrograde, ou si << elle arrive à son terme?

<«< Au moment où nos armées du Nord paraissent << faire des progrès dans le Brabant et flattent notre «<courage par des augures de victoire, tout à coup on << les fait se replier devant l'ennemi; elles abandonnent

1 Saadi.

éance du 3 juillet, quatre jours avant la réconciliation illusoire provoquée par Lamourette.

de Vergniaud.

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fixe

Juillet 1792. « des positions avantageuses qu'elles avaient con« quises; on les ramène sur notre territoire, on y « le théâtre de la guerre; il ne restera de nous, chez << les malheureux Belges, que le souvenir des incendies qui auront éclairé notre retraite '. D'un autre côté, «<et sur les bords du Rhin nos frontières sont mena«cées par des troupes prussiennes. Telle est notre si<«<tuation politique et militaire, que jamais la sage <<< combinaison des plans, la prompte exécution des << moyens, l'union, l'accord de toutes les parties du pouvoir à qui la constitution délègue l'emploi de la <«< force armée, ne furent aussi nécessaires; que jamais « la moindre mésintelligence, la plus légère suspension, « les écarts les moins graves, ne purent devenir aussi <<< funestes.

« Comment se fait-il que ce soit précisément au « dernier période de la plus violente crise, et sur les <«< bords du précipice où la nation peut s'engloutir, (( que l'on suspende le mouvement de nos armées; que, « par une désorganisation subite du ministère, on ait <«< brisé la chaîne des travaux, rompu les liens de la «< confiance, livré le salut de l'empire à l'inexpérience <«< de mains choisies au hasard, multiplié les difficultés <«< de l'exécution, et compromis son succès par les << fautes qui échappent, même au patriotisme le plus <«< éclairé, dans l'apprentissage d'une grande adminis<<< tration?...

<«< Serait-il vrai qu'on redoute nos triomphes? Est-ce << du sang de l'armée de Coblentz ou du nôtre dont on

1 Allusion à l'incendie des faubourgs de Courtrai par un détachement français, avant la retraite.

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