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nationale pour raviver les sympathies du parti constitutionnel, et réconcilier la bourgeoisie et la royauté. Péthion, secrètement averti par la reine', donna contreordre pour cette revue; la Fayette, mal secondé par ses amis, et paralysé par les défiances de la cour, prit le parti de retourner à son armée. Le jour de son départ fut une fête pour les jacobins, que sa présence avait remplis d'une consternation profonde : ils firent brûler son effigie au Palais-Royal, et sollicitèrent sa mise en accusation. Cependant l'assemblée nationale, dans sa séance du 29 juin, entendit la lecture d'une adresse des citoyens de Rouen, qui était suivie de trente-sept pages de signatures: c'était une protestation énergique contre le crime du 20 juin, et une adhésion ferme et courageuse aux droits du roi et à la conduite de la Fayette. Cette manifestation significative contribua à augmenter l'incertitude des esprits, et tout fit prévoir, entre les partis rivaux, un combat inévitable qui serait le dernier.

Juin 1792.

projets

Nouvelles

de la famille

royale.

Les amis du roi cherchaient à le déterminer à une Nouveaux nouvelle évasion; mais Louis XVI ne voulait pas se d'évasion. rendre au delà de Compiègne, parce que la loi ne lui tribulations permettait de s'éloigner de Paris qu'à une distance de vingt lieues, sans l'assentiment du corps législatif. D'un autre côté, le château de Gaillon, situé en Normandie, à la distance constitutionnelle, paraissait offrir toutes les conditions désirables de dignité et de sécurité. Le duc de Liancourt offrait sa fortune; il tenait à la disposition du roi une somme de neuf cent mille

1 Toulongeon.

RÉVOL. FRANÇ.

ASS. LEGISLAT,

15

Juin 1792. francs. Ces projets de départ étaient souvent agités, mais la fâcheuse issue du voyage de Varennes consternait le roi et sa famille; et d'ailleurs, dans l'état où se trouvait la France, la fuite du roi ne pouvait sauver que sa tête; elle livrait la royauté aux fureurs des partis, à l'ambition du duc d'Orléans, ou aux entreprises des républicains. Voici dans quels termes madame Élisabeth rendait compte des anxiétés de la famille royale: « L'avenir paraît un gouffre, d'où l'on ne peut sortir que par un miracle de la Providence : et le méritons-nous? A cette demande on sent tout le courage manquer... Depuis l'affreuse journée du 20, nous sommes tranquilles; mais nous n'en avons pas moins besoin des prières des saintes âmes. Que ceux qui, à l'abri de l'orage, n'en ressentent pour ainsi dire que le contre-coup, élèvent leurs cœurs vers Dieu! Oui, Dieu ne leur a donné la grâce de vivre dans le calme que pour qu'ils fassent cet usage de leur liberté. Ceux contre qui l'orage gronde éprouvent parfois de telles secousses, qu'il est difficile de savoir et de pratiquer cette grande ressource, celle de la prière. Heureux le cœur de celui qui peut sentir, dans les plus grandes agitations de ce monde, que Dieu est encore avec lui!... » Madame Campan, dans les mémoires qu'elle nous a laissés, donne des détails plus précis encore: « Le roi, dit-elle, tomba, à cette époque, dans un découragement qui allait jusqu'à l'abattement physique. Il fut dix jours de suite sans articuler un mot, même au sein de sa famille, si ce n'est qu'à une partie de trictrac qu'il faisait avec madame Élisabeth, après son dîner, il était obligé de prononcer les mots indispen

sables à ce jeu. La reine le tira de cette position, si Juillet 1792. funeste dans un état de crise où chaque minute amenait la nécessité d'agir, en se jetant à ses pieds, et employant tantôt des images faites pour l'effrayer, tantôt les expressions de sa tendresse pour lui. Elle réclamait aussi celle qu'il devait à sa famille, et alla jusqu'à lui dire que, s'il fallait périr, ce devait être avec honneur, et sans attendre qu'on vînt l'un et l'autre les étouffer sur le parquet de leur appartement. »

Ce danger était plus rapproché qu'on ne le présumait peut-être, et jusque dans les rangs mêmes de la domesticité royale l'infortunée famille des Bourbons trouvait des ennemis. Un jour de dimanche, à l'office de vêpres, les musiciens de la chapelle eurent l'ingratitude de rappeler au roi son abaissement, en chantant, avec une affectation évidente, ce passage du Magnificat: DEPOSUIT POTENTES DE SEDE... La reine en fut émue jusqu'aux larmes; mais ses amis prirent leur revanche lorsqu'on en vint aux versets de l'Exaudiat DOMINE, SALVUM FAC REGEM...; ils l'entonnèrent avec l'exaltation du dévouement, en y ajoutant ces mots: Et reginam.

Réconcilia

tion

d'un jour,

provoquée

Lamourette.

A dater de cette heure jusqu'au terme de ses souffrances et de sa vie, le roi n'eut peut-être plus qu'un seul jour d'espérance et de repos, celui où l'assemblée par le député législative devint le théâtre d'une scène touchante, qui fut d'ailleurs stérile, parce que de telles démonstrations, pour être vraiment grandes, doivent aboutir à des résultats sérieux, et non à de passagères émotions. On discutait sur les mesures de sûreté générale qu'il était urgent de prendre dans l'intérêt de la France,

Juillet 1792. lorsque le député Lamourette, évêque constitutionnel du département du Rhône, demanda la parole pour faire une motion d'ordre. Remontant à la source des maux qui affligeaient la France, il crut la trouver, assurément bien à tort, dans les divisions de l'assemblée nationale elle-même. La cause des calamités publiqnes était ailleurs, le remède aussi; mais l'évêque intrus de Lyon pouvait-il le proclamer ou le comprendre? « Hé

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quoi! s'écria-t-il, vous tenez dans vos mains la clef << du salut public; vous cherchez péniblement ce salut « dans des lois incertaines, et vous vous refusez aux « moyens de rétablir dans votre propre sein la paix et « l'union! » Faisant ensuite l'examen rapide des erreurs et des fautes de chaque parti, il conclut le que bonheur ne tarderait pas à renaître en France, si, des deux côtés, on s'accordait à renoncer à l'aristocratie ou à la république, pour ne s'attacher qu'à la constitution. «Eh bien! dit-il, foudroyons, messieurs, par « une exécration commune et par un irrévocable ser«ment, foudroyons et la république et les deux cham«<bres. » A ces mots, des applaudissements unanimes éclatèrent dans l'assemblée et dans les tribunes, et partout on n'entendit que ces cris: Oui, vui, nous ne voulons que la constitution! « Jurons, poursuivit La<«<mourette, de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul «<< sentiment; de nous confondre en une seule et même << masse d'hommes libres, également redoutables à l'es

prit d'anarchie et à l'esprit féodal; et le moment où « l'étranger verra que nous ne voulons qu'une chose << fixe, et que nous la voulons tous, sera le moment où <«< la liberté triomphera, et où la France sera sauvée. »

Les mêmes applaudissements retentirent et se prolon- Juillet 1792. gèrent; l'orateur reprit : « Je demande que M. le pré«<sident mette aux voix cette proposition simple: Que « ceux qui abjurent légalement et exècrent la république « et les deux chambres se lèvent. »

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Lamourette parlait encore, que l'assemblée tout entière s'était levée, et que tous les membres, dans l'attitude du serment, prononçaient la déclaration de ne jamais souffrir ni l'établissement de la république, ni l'introduction du système des deux chambres, contraire à la constitution décrétée en 1791. Un cri général d'union suivit bientôt ce premier élan d'enthousiasme. Les membres assis à la gauche se précipitèrent vers la droite, les mains étendues vers leurs collègues, et les deux partis échangèrent des embrassements, confondirent leurs rangs, et abjurèrent pour un moment toute division. Scène étrange, fraternité imprévue, qui fit asseoir sur les mêmes bancs Jaucourt et Merlin, Dumas et Bazire, Albitte et Ramond, les girondins et les feuillants, les amis du roi et ses persécuteurs. L'étonnement redoublait en voyant les spectateurs eux-mêmes mêler leurs acclamations aux serments de l'assemblée, et se prodiguer, dans les tribunes, des témoignages d'affection et de cordialité. Au milieu de cette réconciliation, on se souvint du roi, et l'on décréta qu'une députation de vingt-quatre membres irait lui rendre compte de ce qui se passait au Manége; on fit plus, on décida que tous les corps constitués seraient appelés à la barre pour y être témoins de la réconciliation commune.

Dès que le roi eut appris l'événement de la séance,

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